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Dans la tête d’un enfant d’une école coranique sénégalaise

Courrier International, 19/04/2018

Plus de
50 000 talibés vivent au Sénégal. Ces enfants placés dans des écoles
coraniques, sont souvent contraints par leurs maîtres à mendier dans la rue. Le
journaliste-écrivain sénégalais El Hadji Souleymane Gassama a imaginé la lettre
d’un de ces enfants racontant son quotidien.
Un jeune
talibé devant la grande mosquée de Touba, dans le centre du Sénégal,
le 23
février 2012.  Photo / Issouf Sanogo / AFP

Vous pouvez
m’appeler Ibrahim. J’ai 7 ans. Je suis un talibé [élève dans une école
coranique]. Mon père est mort. Je ne le connais pas. Ma mère est au village
avec mes deux sœurs, Kadiata et Aïssata. Je ne les vois pas souvent, je les
aime beaucoup. Ma mère m’a dit, quand elle m’a confié à mon oncle Moustapha,
que j’allais apprendre la chose la plus importante : la religion. Et
qu’ensuite je deviendrais un homme, pour m’occuper d’elle et de notre famille.
Que mon papa sera fier de moi au paradis.
Je suis
parti avec mon oncle, très content. Je vis avec lui. Il est comme mon papa. Il
est parfois gentil, parfois méchant. Il me frappe et m’achète des vêtements. Il
m’apprend le Coran, il dit que je ne comprends pas vite, mais il m’aime, même
quand il me frappe, il me frappe moins que les autres.
Le matin,
quand je me réveille, j’apprends mes sourates. Après je vais mendier. Je suis
toujours avec mon ami Boubacar. On préfère le vendredi, les gens sont trop
gentils. Les autres jours ils nous chassent, ils ne nous donnent rien.
“Comme
les autres enfants”
Hier,
deux messieurs nous ont arrêtés dans la rue. Ils nous ont dit qu’ils
travaillaient pour une association qui aide les talibés. Ils nous ont donné des
bonbons, de la nourriture, et nous ont dit qu’ils feraient tout pour que nous
quittions la rue. On a répondu qu’on ne voulait pas, qu’on avait une maison. La
rue c’est pour mendier, on n’y habite pas, comme d’autres.
Ils ont
dit que nous devions être comme tous les autres enfants, avoir des jouets,
aller à l’école, porter de jolis vêtements, vivre avec nos familles et avoir
des rêves. Nous, on ne comprenait rien. Ils nous ont posé des questions pour
savoir si on nous frappait. Et combien on donne à notre papa. Et l’un d’eux a
dit qu’il fallait qu’on nous sauve, qu’on nous retire de la rue. Avec Boubacar,
on n’a rien compris.
Ils ont
dit qu’ils voulaient qu’on parle à la radio, qu’on raconte notre histoire.
Nous, on voulait s’en aller. Ils m’ont demandé où était ma mère. J’ai répondu
qu’elle était au village, que c’est elle qui m’a dit que Dieu aime les gens
bien qui obéissent et qui ont peur de lui. Et qu’être un bon musulman, c’était
la seule chose bien. Ils ont dit oui, c’est vrai, mais qu’on pouvait apprendre
différemment. Moustapha, c’est notre seul papa, il sait ce qui est bon pour
nous. Ils ne veulent pas aller le voir.
“Être un
homme et un bon musulman”
Dans
notre daara [maison, école coranique], ils ont changé les choses. Maintenant,
ils nous donnent des cahiers, on doit apprendre et lire en arabe. Moi je
préférais avant, quand on récitait. Je n’aime pas trop la lecture, car je ne
comprends rien. Je trouve ça joli les livres, les écritures, les journaux.
Parfois,
je suis curieux et je demande aux adultes ce qui est écrit dans leur journal et
leur livre. Ils me chassent. Ils n’aiment pas être dérangés, ils sont très
sérieux. Nous repartons mendier. Les gens ne nous aiment pas.
Quand je serai grand, je serai comme mon oncle. Je veux être un homme pour
aider ma maman, Aïssata et Kadiata.
Je ne
sais pas pourquoi on s’intéresse à nous, les gens pleurent. Mais même nous, on
ne pleure pas. Moustapha a dit que ce sont les femmes, les poltrons qui
pleurent. Nous, on veut être des hommes. C’est notre seul rêve. Rendre fiers ma
maman et mon oncle Moustapha. Et être un bon musulman.