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13,9 % des jeunes filles sont-elles excisées au Sénégal?

Par Coumba
Sylla, Africa Check, 13 mars 2018

Le
quotidien privé sénégalais EnQuête, dans un article récent, a rapporté que 13,9
% des jeunes filles sont excisées au Sénégal. Ce pourcentage est-il exact ?
Africa Check a vérifié.
   

« 13,9
% des jeunes filles sont excisées au Sénégal. Le taux est jugé élevé par les
acteurs, dans la mesure où le pays a voté la loi contre cette forme de
violence », a écrit EnQuête en introduction de cet article publié le 28
février 2018, également consultable
sur son site
.
« De
ce fait, le taux d’excision est à 13,9 % au Sénégal », en a déduit le
journal, citant une experte de la question, Soukeyna Ndao Diallo, sans
toutefois lui attribuer ce chiffre entre guillemets.
Ce
chiffre est-il correct? Nous avons cherché les preuves.
Du
journal au rapport
Africa
Check a joint l’auteure de l’article, Aïda Diène, qui a indiqué que le chiffre
a été communiqué par Mme Diallo à l’occasion d’un atelier d’information et de
partage sur les « Mutilations génitales féminines (MGF). Cet atelier a été
organisé à Dakar par Génération
Fille
(Girl Generation, en anglais), une plate-forme internationale
d’organisations de la société civile engagées contre l’excision, dont Mme
Diallo est une des responsables au Sénégal.
Contactée
par Africa Check, Mme Diallo a précisé avoir cité un taux de « 13,9 % pour
les filles de moins de 15 ans » avec, à l’appui, le document contenant
cette statistique. Il s’agit d’un rapport de 380 pages intitulé « Sénégal
– Enquête démographique et de santé continue (EDS-continue) 2016 », publié
en août 2017 par l’Agence nationale de la statistique
et de la démographie
(ANSD) du Sénégal. Mme Diallo a également joint
à sa documentation un résumé (24 pages) de ce rapport.
Cette
enquête a été réalisée, selon l’ANDS, « avec l’appui financier du
gouvernement du Sénégal » et de plusieurs partenaires dont l’Agence américaine pour le développement international
(USAID) et le Fonds des Nations unies pour la
population
(FNUAP). Elle a reçu « l’assistance technique »
du programme mondial des Enquêtes
démographiques et de santé
(DHS).
Qu’est-ce
que l’excision ?
L’excision
est une des formes de mutilations génitales féminines, que l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
appelle également « mutilations
sexuelles féminines
« .
Ce sont
« des interventions qui altèrent ou lèsent intentionnellement les organes
génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales » et
« elles sont pratiquées le plus souvent sur des jeunes filles entre
l’enfance et l’âge de 15 ans », affirme l’OMS. Elle estime « que plus
de 200 millions de jeunes filles et de femmes, toujours en vie », ont subi
ces pratiques «concentrées» dans une trentaine de pays en Afrique,
au Moyen-Orient et en Asie.
Quatre
catégories de mutilations
Les
mutilations sexuelles féminines sont classées en quatre catégories, détaillées
dans une fiche
d’information
publiée sur le site de l’OMS.
Elles
vont de l’amputation de tout ou d’une partie du clitoris (clitoridectomie) à la
brûlure des organes génitaux (cautérisation) en passant par le fait d’agrafer
ou de coudre une grande partie des petites et grandes lèvres (infibulation).
Taux
d’excision variés selon l’âge
Le
rapport de l’ANSD et sa synthèse transmis à Africa Check par Mme Diallo
fournissent des pourcentages par tranches d’âge de la population féminine : les
moins de 15 ans et les 15-49 ans, en précisant que les données pour les moins
de 15 ans sont fondées sur les déclarations de la mère et, pour les 15 ans et
plus, sur les déclarations des concernées. Les chiffres présentent de fortes
disparités selon les zones de résidence, les origines ethniques ou encore le
niveau de scolarisation.
« Au
Sénégal, 23 % des femmes de 15-49 ans ont déclaré avoir été excisées », un
taux en diminution par rapport à 2005 où il était de 28 %, est-il indiqué dans
le rapport global. Le pourcentage de filles de 0-14 ans excisées est de 13,6 %,
selon le même document.
Il
indique qu’il s’agit d’une moyenne de pourcentages pour différents groupes au
sein de la même tranche d’âge (0-4 ans, 5-9 ans et 10-14 ans) devant être
« interprétés avec prudence ».
Le
rapport de synthèse affirme que « parmi les filles de moins de 15 ans, 14
% sont excisées » au Sénégal et que « la grande majorité était
excisée avant l’âge de cinq ans. »
Autres
chiffres caducs
Ces
statistiques sont les plus récentes consultées par Africa Check. Concernant le
même sujet, certaines organisations spécialisées disposent de chiffres caducs
dans leur base de données, demeurant accessibles au public jusqu’à la
publication de cet article, ce 13 mars 2018.
C’est le
cas pour le FNUAP qui mentionne un taux
d’excision de 26 % pour les 15-49 ans au Sénégal
et de 18 %
« pour les filles », en citant des données du programme DHS de
2010-2011. L’Unicef, de son côté, évoque 25 %
d’excisées parmi les 15-49 ans
, et de 13 % pour les 0-14 ans au
Sénégal, en s’appuyant sur des données des DHS de 2010-2011 et DHS continue de
2014.
L’ »Atlas
des statistiques sanitaires de la région africaine 2016
du bureau régional de l’OMS pour
l’Afrique
fournit des pourcentages de « prévalence de
mutilations génitales féminines » pour le continent sur la période
2005-2013 pour deux groupes distincts, « filles » et
« femmes », sans cependant préciser de tranches d’âges.
Selon ce
document, sur la période indiquée, cette prévalence pour le Sénégal est de 18 %
« parmi les filles » et de 26 % « parmi les femmes ».
Conclusion
: le taux indiqué peut induire en erreur
Le
quotidien sénégalais EnQuête a indiqué dans un article récent qu’au Sénégal,
« 13,9 % des jeunes filles » étaient excisées, en déduisant que le
taux d’excision dans ce pays était « à 13,9 % ».
L’experte
à qui le journal a attribué le chiffre, Soukeyna Ndao Diallo, a précisé que le
taux concernait les filles de moins de 15 ans en s’appuyant sur la dernière
enquête démographique et de santé continue dans le pays, publiée en août 2017.
Cette enquête conclut que « parmi les filles de moins de 15 ans, 14 % sont
excisées » tandis que ce taux est de 23 % pour les femmes ayant entre 15
et 49 ans.
D’autres
chiffres consultés par Africa Check, notamment dans les bases de données du
FNUAP, de l’Unicef et de l’OMS, sont caducs mais font état de taux différents
selon la tranche d’âge.
Ces
indications permettent cependant de conclure que le taux d’excision indiqué par
EnQuête peut induire en erreur.