Traite de personnes: le projet de loi traîne en Chambre, un comité consulte
Mélanie Marquis 15/02/2018 |
Un comité parlementaire prévoit dépenser plus de 100 000 $ pour mener des consultations à travers le pays sur la traite de personnes, alors qu’un projet de loi visant à s’attaquer à ce fléau a été déposé il y a plus d’un an — et n’a pas bougé d’un centimètre depuis.
Le comité permanent de la justice et des droits de la personne a annoncé jeudi que ses membres sillonneraient le Canada d’est en ouest du 18 au 23 mars afin de prendre le pouls des survivants de la traite de personnes et d’intervenants du milieu.
Dans le communiqué annonçant la tournée du comité, qui fera escale à Halifax, Montréal, Toronto, Edmonton et Vancouver, il est notamment mentionné que l’on «tiendra compte des modifications proposées dans le projet de loi C-38».
Or, ce projet de loi fait du surplace depuis son dépôt en Chambre, le 9 février 2017. Il avait été présenté en remplacement d’un autre, d’initiative parlementaire, qui avait franchi toutes les étapes législatives, obtenu la sanction royale en juin 2015, mais qui n’est jamais entré en vigueur.
En arrivant au pouvoir, en octobre 2015, les libéraux de Justin Trudeau n’avaient qu’à signer un décret pour que s’appliquent les dispositions du projet de loi C-452, déposé par l’ex-députée Maria Mourani. Ils ne l’ont cependant pas fait, disant avoir identifié des problèmes de constitutionnalité.
La ministre de la Justice, Jody Wilson-Raybould, a mis plus d’un an à présenter la nouvelle mouture libérale du projet de loi. Et un an après ce dépôt, C-38 en est toujours à l’étape de la première lecture, ce qui signifie qu’il n’a même pas fait l’objet d’un débat en Chambre.
Le libéral Anthony Housefather, qui préside le comité, a défendu la pertinence de la démarche. «C-38 ne parle pas des raisons pour lesquelles nous avons encore le problème, de comment on devrait résoudre le problème», a-t-il argué en entrevue à La Presse canadienne.
Invité à dire s’il ne fallait pas plutôt donner la priorité à l’adoption du projet de loi, il a souligné qu’il n’avait «pas de contrôle» là-dessus. «Ce n’est pas moi qui décide de la priorité des lois qui viennent devant la Chambre», a noté le député montréalais.
Lorsqu’on a questionné celle dont le bureau a le contrôle de l’agenda législatif libéral, la leader du gouvernement en Chambre, Bardish Chagger, elle a dû reconnaître qu’elle ignorait de quel projet de loi il s’agissait.
«Je l’ai clairement mélangé avec un autre. (…) Alors je vais me pencher là-dessus et vous revenir», a-t-elle dit à La Presse canadienne à sa sortie de la période des questions en Chambre, jeudi après-midi.
En début de semaine, la ministre Wilson-Raybould n’a pu justifier la lenteur du cheminement de son projet de loi. Elle a simplement offert qu’elle aimerait voir toutes les mesures législatives dont elle est marraine bouger plus vite et formulé le souhait que cela soit le cas pour C-38.
La marraine du projet de loi C-452, de son côté, a dit toute son exaspération face à l’inaction libérale. «Au fond, ce sont les victimes et les familles, encore, qui vont payer la note, tout simplement», a regretté en entrevue Maria Mourani, s’exprimant à titre de criminologue.
La note, pour les contribuables, sera de plusieurs dizaines de milliers de dollars. Un montant de 116 171,40 $ a été mis de côté par le comité pour le voyage. «Évidemment, c’est une estimation seulement et le véritable coût ne sera connu qu’au retour», a précisé la greffière.
Des élus de tous les partis d’opposition interrogés par La Presse canadienne plus tôt cette semaine ont dénoncé à l’unisson la lenteur du processus d’adoption de C-38 et exprimé des craintes qu’il ne meure au feuilleton, alors que les libéraux ont entamé leur troisième année au pouvoir.
Le député néo-démocrate Murray Rankin a fait valoir que le gouvernement devrait signer le décret afin qu’entre en vigueur le projet de loi Mourani en attendant de livrer sa réforme des peines minimales.
Le conseil des ministres de Justin Trudeau avait refusé de donner le feu vert à C-452 puisqu’il avait des doutes sur la constitutionnalité de la section du projet de loi entourant les peines consécutives.