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Catherine, Christine, le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours

Eva Darlan 15/01/2018
Très chères Catherine, Christine et leurs copines

J’ai tant lu votre tribune que je pense bien la connaître désormais. Elle n’est d’ailleurs pas très compliquée à comprendre. Il y a malentendu, mesdames.
Vous interprétez à votre façon ce mouvement mondial qui dénonce les violences faites aux femmes, qui dénonce l’inégalité, qui dénonce enfin un abus de pouvoir, oui, masculin. Parce que vous l’avez sûrement remarqué, ce sont les hommes qui ont le pouvoir. Ils dirigent la politique, l’économie, la religion. Et ces trois pouvoirs définissent une société : le patriarcat, analysé par Tylor et Morgan, repris par Engels, étudié par Levi Strauss et l’immense Françoise Héritier. Ca s’appelle la domination masculine.
Vous n’y êtes pour rien, tout cela est arrivé il y a très longtemps, vous n’étiez pas nées (je crois).
Vous allez à l’encontre de générations de chercheurs et de scientifiques, mais vous ne le saviez pas. C’est fait maintenant. Et ce que vous allez découvrir, c’est que le patriarcat ne donne des droits qu’à lui-même. Tout, lui appartient. Il ordonne à la nature, aux animaux, aux êtres. Et il se sert comme il le souhaite. Le monde : c’est open bar.
Toute petite parenthèse: les féministes hétéros, comme moi, adorent les hommes, apprécient la galanterie, premier pas du respect, et aiment faire l’amour, mais seulement quand elles sont d’accord. Elles adorent se faire courtiser, mais seulement par ceux qu’elles ont choisi. En gros, quand on dit non, c’est non. Et notre corps n’est pas à la disposition de tous, offert à ceux qui veulent s’y frotter, le tâter, le pénétrer. On vous le répète: seulement par ceux qu’on choisit. C’est du puritanisme? Non, c’est du respect de soi, de la dignité. Une main aux fesses (l’avez vous déjà vécu?), ou un frottement, n’est pas l’expression d’un désir (pauvre petit homme qui ne peut pas se retenir… ), mais bien l’expression d’un pouvoir : celui de se servir, de posséder, de rabaisser, de forcer, de violer.
Vous insultez toutes les femmes qui ont souffert dans leur corps, dans leur cœur et dans leur sexualité
Parce que si on accepte ça, où est la limite? Une fesse mais pas deux? Un frotteur mais pas deux en même temps? Les fesses oui, mais les seins non? Et le sexe, oui? Non? Ben pourquoi non ? Vous êtes drôlement puritaines ! Se faire toucher le sexe par n’importe qui, c’est pas si grave quand même. Vous êtes vous déjà faites peloter dans le métro? C’est une violence. Qui n’a pas de limite. Si on accepte ça, comme vous l’indiquez, on induit qu’on accepte tout, on dit implicitement vas y sers toi, ça ne me dérange pas, je comprends, je suis d’accord. C’est indigne de vous. Et c’est dangereux. Vous mettez en danger la vie des femmes. Si si, la mort, ça peut commencer par une main aux fesses.
Mes chères Catherine, Christine et consors, mettez vous bien ça dans la tête: le féminisme n’a jamais tué personne, le machisme tue tous les jours.
Vous connaissez Louba? Elle est Ukrainienne, elle a d’abord été mariée à un de ses compatriotes. D’abord séduite, elle a été enfermée, battue et finalement jetée dehors (sans son enfant de 1 an) parce qu’elle envisageait de divorcer. Et comme elle est tellement jolie, tellement brillante comme avocate, un metteur en scène français s’est épris d’elle et l’a épousée. Elle était heureuse. Pas longtemps. C’était compter sans son ex mari qui, furieux de sa nouvelle vie, l’a menacée de mort. Un an après sa « répudiation », jour pour jour, le 21 décembre 2017, l’indicible arrive : un homme, visage caché sous sa capuche, s’approche d’elle en pleine rue, et lui asperge le visage de vitriol en disant : tu vas mourir. Ses poumons et ses cordes vocales sont touchés, son visage est détruit à jamais. Pourquoi ? Parce que cet homme, son ex mari avait perdu sa proie et qu’il ne l’a pas supporté. Il a pensé être le propriétaire de cette femme, de son corps. Comme celui qui se permet de toucher une fesse sans savoir si on l’y autorise. Nous ne sommes pas la propriété de n’importe qui. Mieux : de qui que ce soit. Nous ne reconnaissons pas les hommes violents, ceux qui considèrent que nous leur appartenons. Je ne suis pas à disposition de qui veut. Mon corps est à moi. A moi seulement et à celui ou celle que je choisis. Et je m’autorise évidemment à « dénoncer » (comme dit notre président qui a fait de l’égalité la cause nationale de son quinquennat. On est vigilantes, on le regarde) Je suis prête à désigner publiquement celui qui me force et qui ne me respecte pas. La loi est là pour me protéger. La loi mesdames. Il y a des lois. Vous les remettez en cause ?
Celles et ceux qui au nom de la liberté ou de la supposée misère sexuelle, autorisent les mains au cul, les frottements et autres violences, autorisent par le fait même que Louba soit vitriolée.