Trump et Jérusalem : vague d’avertissements à travers le monde
L’annonce prévue du transfert de l’ambassade des États-Unis à Jérusalem soulève de profondes inquiétudes dans le monde arabo-musulman jusqu’en Europe ou en Chine. «Inquiétude», «escalade», «préoccupation», «Ligne rouge», «décision dangereuse», «grande catastrophe», «déclaration de guerre»: dans de nombreuses capitales à travers le monde, de façon plus ou moins véhémente, les mises en garde se multiplient contre la reconnaissance annoncée par Donald Trump ce mercredi de Jérusalem comme capitale d’Israël.
Au Vatican, le pape François a appelé ce mercredi au respect du statu quo de Jérusalem et à faire preuve de «sagesse et prudence». «Je ne peux taire ma profonde inquiétude pour la situation qui s’est créée ces derniers jours», a déclaré le pape lors de son audience hebdomadaire. «J’adresse un appel vibrant pour que tous s’engagent à respecter le statu quo de la ville, en conformité avec les résolutions pertinentes de l’ONU». L’envoyé spécial de l’ONU au Proche-Orient, Nickolay Mladenov, a quant à lui déclaré que le statut futur de Jérusalem devait faire l’objet de négociations.
Même «inquiétude» à Pékin, qui dit craindre une «escalade» dans la région. «Toutes les parties concernées doivent avoir à l’esprit la paix et la stabilité régionales, être prudentes dans leurs actions et leurs déclarations, éviter de saper les bases d’une résolution de la question palestinienne et s’abstenir d’engendrer une nouvelle confrontation dans la région», a indiqué Geng Shuang, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères lors d’un point de presse.
Understatement tout britannique, Londres se déclare «préoccupé» par le projet de Donald Trump. «Nous observons avec préoccupation les informations que nous avons entendues», a réagi le ministre des Affaires étrangères, Boris Johnson en arrivant à une réunion de l’Otan. «Nous pensons que Jérusalem devrait, évidemment, faire partie d’une solution définitive (au conflit) entre Israéliens et Palestiniens, une solution négociée», a-t-il insisté.
L’Union européenne a, elle aussi, mise en garde contre les «graves répercussions» d’une telle décision américaine. «Il faut rester concentré sur les efforts pour faire redémarrer le processus de paix et éviter toute action qui saperait ces efforts», ont estimé mardi les services de la haute représentante de l’UE pour la politique étrangère, Federica Mogherini. «Tout ce qui contribue à attiser la crise est contre-productif en ce moment, a renchéri le ministre allemand des Affaires étrangères, Sigmar Gabriel. Une solution à la problématique de Jérusalem ne peut être trouvée que dans le cadre de négociations directes entre les deux parties.»
Lundi soir, dans un entretien téléphonique avec Donald Trump, Emmanuel Macron avait «exprimé sa préoccupation sur la possibilité que les États-Unis reconnaissent unilatéralement Jérusalem comme capitale d’Israël».
«La colère des musulmans dans le monde entier»
Mais c’est davantage encore dans les pays du monde arabo-musulman que les condamnations sont les plus vives. Alors que l’armée israélienne a récemment visé des installations militaires iraniennes en Syrie, le régime de Damas a condamné «le projet dangereux» de Donald Trump tandis qu’à Téhéran, le Guide suprême Ali Khamenei a évoqué une «erreur et une incompétence» de la Maison-Blanche.
Depuis plusieurs jours déjà, les Etats de la région condamnaient ce prochaine reconnaissance américaine. Même l’Arabie saoudite, alliée des États-Unis au Moyen-Orient et en pleine lune de miel avec l’État hébreu, a exprimé mardi sa «profonde inquiétude» sur un possible transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel-Aviv à Jérusalem. Une telle décision «aura de sérieuses implications et compliquera encore plus le conflit israélo-palestinien (faisant) obstacle aux efforts actuels pour raviver le processus de paix», a affirmé une source du ministère saoudien des Affaires étrangères à Riyad. Le roi Salmane en personne a mis en garde contre une décision qui risquait de provoquer «la colère des musulmans dans le monde entier». «C’est un pas dangereux», a-t-il averti lors d’entretien téléphonique avec le président américain, a rapporté la télévision d’Etat al-Ekhbariya. L’Arabie reste attachée au plan de paix présenté par feu le roi Abdallah en 2002 qui prévoyait une reconnaissance d’Israël par les 22 pays arabes, en échange de la création d’un État palestinien, avec Jérusalem-Est comme capitale. Une offre rejetée à l’époque par le premier ministre israélien, Ariel Sharon.
«Cette décision mettrait fin au rôle des États-Unis comme médiateur de confiance entre les Palestiniens et les forces (israéliennes) d’occupation»
Ahmed Aboul Gheit, secrétaire général de la Ligue arabe
De son côté, la Turquie déclare aussi craindre l’escalade. La mesure proposée par Donald Trump est susceptible de «précipiter la région et le monde dans un incendie dont personne ne sait quand il prendra fin», a déclaré le porte-parole du gouvernement turc Bekir Bozdag sur Twitter.
Mardi déjà, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a lancé une très explicite mise en garde au président américain: «Monsieur Trump, Jérusalem est une ligne rouge pour les musulmans.» Il a évoqué une possible rupture des relations diplomatiques avec Israël, si Washington devait reconnaître la Ville sainte comme capitale. «Nous allons mener cette lutte jusqu’au bout avec détermination. En tant que président en exercice de l’OCI (Organisation de la conférence islamique, NDLR), nous allons suivre cette question jusqu’au bout. Si une telle décision est prise, nous réunirons sous 5 à 10 jours un sommet des leaders de l’OCI à Istanbul (…). Nous mettrons en mouvement tout le monde musulman lors de ce sommet», a prévenu mardi Recep Tayyip Erdogan devant le groupe parlementaire du parti islamo-conservateur au pouvoir, AKP.
Lundi, la Turquie avait déjà parlé de «grande catastrophe». Fervent défenseur des Palestiniens, le président turc a normalisé les relations de son pays avec Israël en 2016, après une crise déclenchée six ans plus tôt par un raid israélien meurtrier contre un navire affrété par une ONG turque pour tenter de briser le blocus infligé à la bande de Gaza.
Devant les membres de la Ligue arabe convoqués mardi au Caire pour évoquer cette épineuse question, son secrétaire général, Ahmed Aboul Gheit, a jugé «dangereux» un transfert de l’ambassade américaine à Jérusalem. «Cette décision mettrait fin au rôle des États-Unis comme médiateur de confiance entre les Palestiniens et les forces (israéliennes) d’occupation», a-t-il ajouté. Il s’agirait d’«un assaut clair contre la nation arabe, les droits des Palestiniens et tous les musulmans et les chrétiens».