HÉLÈNE MIASUEKAMA KIESE : « LA LÉGITIMITÉ DE LA FEMME EST TOUJOURS REMISE EN QUESTION »
Eva Sauphie |
Directrice générale de Canal + RDC depuis 2016, la Congolaise Hélène Miasuekama Kiese est parvenue à s’imposer dans le secteur des finances et de l’audiovisuel grâce à une vision du leadership en phase avec ses équipes et son époque. Elle est aujourd’hui chargée de 150 employés. Retour sur son parcours.
Originaire de Kinshasa, Hélène Miasuekama Kiese a suivi, comme nombre de ses homologues, des études universitaires en Belgique. Une fois son diplôme d’ingénieure, puis son MBA obtenu à l’Université Libre de Bruxelles en poche, elle a l’opportunité de rejoindre Euroclear Bank. Elle y fait ses premières armes, avant d’être débauchée par la société maritime Maersk lors d’un séjour à Kinshasa pour les vacances. « On m’a fait passer les tests le matin, et on m’a recontactée dans l’après-midi », s’enthousiasme-t-elle encore.
Trouver son style
Ni une, ni deux – malgré quelques réticences à l’idée de rentrer à Kinshasa, mais encouragée par sa famille – l’aînée de la fratrie récupère ses affaires en Belgique et commence sa carrière en tant que contrôleur de gestion. Nous sommes en janvier 2004. Et déjà, cette multi-casquette oscille entre deux départements, les finances et les opérations. Un secteur où elle passe des semaines sur le bateau à vérifier les coûts des différents navires.
Puis il lui faut choisir. Femme de terrain dans l’âme, elle ne s’imagine pas directrice financière. Seulement voilà, elle est une femme… Justement. « Il y a une loi en RDC qui dit qu’une femme ne peut pas monter sur un navire sans être accompagnée de deux agents de l’état sinon on considère qu’elle se prostitue ». Une nouvelle qui tombe comme un coup de massue pour celle qui se rêvait directrice des opérations. Hélène n’a nul autre choix que de se rediriger vers les finances, en tant qu’assistante directeur financier.
Et là encore, elle vit de plein fouet les discriminations. Elle voit la direction lui passer sous le nez, et être confiée à « un homme, Danois, sans les compétences requises ». Pour autant, c’est bien à un homme qu’elle devra son ascension future. L’arrivée d’un nouveau directeur général annonce le changement. Ce dernier acceptera de lui donner sa chance et de la coacher. « Tu dois trouver ton style, ne pas être dans le mimétisme », se souvient-elle encore avec reconnaissance…
Elle évoluera deux ans en tant que directrice financière en charge de la RDC. Puis, parviendra progressivement à assumer les deux Congo.
Se lancer des défis
Ambitieuse, Hélène finit pourtant par tourner en rond. Elle veut plus. C’est à ce moment-là que Canal + lui propose un poste de directrice administratif et financier. « Je ne connaissais pas du tout le secteur de la télévision payante. Et c’est exactement ce que j’attendais. Alors j’y suis allée » !
Elle voit rapidement la possibilité d’évoluer. Preuve, au bout de trois ans en tant que directeur financier, on la nomme à la direction générale, poste qu’elle occupe depuis février 2016. Mais c’était sans compter sur un travail de fond, une vision stratégique claire pour positionner Canal + comme une marque de référence malgré un paysage ultra-concurrentiel.
« En RDC, sur toute la République, il y a au moins une centaine de chaînes de télé et de radio. L’offre gratuite est pléthorique. J’ai dû installer une stratégie très poussée, me servir de mon background de financier pour faire parler les chiffres », avoue celle qui gère aujourd’hui 150 salariés, et qui pense qu’un bon leader c’est aussi quelqu’un qui croit en ses équipes, « qui sait reconnaître où sont les talents et les mettre en valeur pour atteindre des résultats ».
Son plus gros challenge : installer une politique de management par rapport au changement. « Je suis très participative. Je crois au team building et je suis contre le conflit, détaille-t-elle. Une vision du leadership qu’elle estime être typiquement féminine. « Dans la famille, la mère est celle qui rassemble, qui modère et apaise ». Aussi, elle n’hésite pas avec son équipe à faire des mannequins challenge, des lip dub où vendeurs et directeurs sont ensemble, pour éclater les clivages et faire passer de bons messages.
Lutter contre les préjugés
Si elle assume – et assure – son statut de femme célibataire et de directrice, les clichés ont la dent dure. « Elle a dû se faire parachuter, elle doit être dure etc. », autant de stéréotypes auxquels Hélène Miasuekama Kiese doit encore faire face. Pour autant, pas question de se laisser désarçonner. « La légitimité de la femme est toujours remise en question. De fait, on doit être deux fois plus experte, deux fois plus factuelle pour pouvoir imposer notre point de vue ».
C’est pourquoi, cette femme leader croit aux rassemblements de femmes, comme le forum les Héroïnes, où elle n’a pas hésité à répondre présent lors du coup d’envoi à Dakar. « Les femmes ont besoin de rôles modèles féminins, on a besoin de s’entraider. Les femmes n’ont pas que le travail, elles ont la maison… Conséquence on n’a pas toujours le temps de se retrouver dans ces espaces pour réseauter, à la différence des hommes. Pourtant c’est essentiel », soutient-elle. Et de continuer : « Travailler ensemble pour permettre à la nouvelle génération de se projeter, c’est notre responsabilité », clame celle qui estime avoir beaucoup reçu. Raison pour laquelle, elle souhaite donner à son tour.