Rozenn Le Berre : « Combien de temps les jeunes migrants vont-ils supporter les injustices et l’arbitraire ? »
24 Février 2017
Rozenn Le Berre a été éducatrice pour l’Aide sociale à l’enfance, chargée d’accueillir les jeunes migrants, d’évaluer leur âge, de les mettre à l’abri s’ils sont mineurs, de les renvoyer à leur incertain destin d’expulsables s’ils sont majeurs. Face à cette insupportable contradiction, elle a choisi de démissionner puis d’écrire un livre De rêves et de papiers, 547 jours avec les mineurs isolés étrangers. Elle nous raconte les coulisses de la protection des enfants isolés en France, qui s’accommode mal de l’arbitraire de la politique migratoire. « A 18 ans moins un jour on est un enfant à protéger, à 18 ans plus un jour on est un étranger à expulser ». Entretien.
Rozenn Le Berre, est devenue éducatrice par hasard, en 2013, après des études de sciences politiques. Pendant un an et demi, elle a « reçu et évalué » celles et ceux qui se présentaient comme mineurs isolés étrangers. Puis elle a démissionné, « avant d’être lassée, avant de devenir un monstre ». Un soir de décembre, elle a commencé « à mettre des mots sur ses souvenirs », puis elle a écrit un livre, De rêves et de papiers, 547 jours avec les mineurs isolés étrangers (éd. La Découverte). Elle y raconte la vie des jeunes migrants qu’elle a rencontrés, leur courage et leur détresse, l’absurde des parcours administratifs français et l’inhumanité de nos politiques migratoires. Aux instants de vie réelle, elle a mêlé un récit fictionnel, celui d’un adolescent nommé Souley, de sa montée dans un pick-up aux confins du Sahara jusqu’à son arrivée en France.
Basta ! : Pourquoi est-il si important aux yeux des autorités de déterminer l’âge des jeunes migrants qui souhaitent une prise en charge ? Sur quels critères est menée cette évaluation ?
Rozenn Le Berre : La question de l’âge est en fondamentale pour l’institution, car la prise en charge est totalement différente selon que l’on a plus ou moins de 18 ans. À moins de 18 ans, on est considéré d’abord comme un enfant à protéger. L’aide sociale à l’enfance (ASE), gérée par les conseils départementaux, doit prendre en charge n’importe quel gamin qui est en danger, peu importe sa nationalité ou sa situation administrative. Les mineurs isolés étrangers, par le simple fait qu’ils n’ont pas de représentant légal en France, sont considérés comme étant en danger. Par contre, si le jeune a plus de 18 ans, il est d’abord un étranger. L’État, et non plus le Conseil départemental, va alors s’occuper de savoir s’il est en situation régulière. Du coup, à 18 ans moins un jour on est un enfant à protéger, à 18 ans plus un jour on est un étranger à expulser. Ce pourquoi les autorités cherchent à déterminer l’âge du jeune avant tout.