Auparavant, les écoliers des Etats-Unis étaient réprimandés lorsqu’ils parlaient espagnol. Aujourd’hui on les félicite.
24 Octobre 2016
Cet article de Simón Thompson d’abord paru sur PRI.org le 7 juillet 2016 est republié ici dans le cadre d’un accord de partage de contenu.
L’amphithéâtre est animé : les professeurs courent d’un bout à l’autre, les élèves murmurent sur leurs feuilles d’orthographe et leurs parents, fiers d’eux, les motivent et donnent leurs derniers conseils. Après les dernières embrassades et quelques larmes versées, les concurrents de l’épreuve d’épellation s’installent derrière la scène.
C’est la deuxième fois que Reinoso Hidrogo, élève de sixième participe à l’épreuve. Il a fini dans les cinq premiers l’année dernière mais n’a pas gagné de trophée. Chaque jour depuis, il passe deux heures ou plus à la pratique de l’orthographe. Cela lui a donc permis de passer devant ses camarades et de gagner le concours préliminaire qui lui permet d’être là aujourd’hui.
“Je pensais ça impossible et pourtant aujourd’hui je suis ici. C’est comme un rêve”, raconte Jybr.
Ce n’est pas le Concours National d’Orthographe que vous voyez sur ESPN. C’est le Concours National d’épellation en espagnol de juillet à San Antonio, au Texas.
Les mots sont extraits de la “Liste de Mots”, une liste de 1.448 mots en espagnol. Lorsque les participants ont besoin qu’un mot soit répété, défini ou utilisé dans une phrase, on les encourage à le demander aux jurés en espagnol. Ils doivent aussi mettre correctement les signes diacritiques, tels que le dans artimaña (la ruse), le tréma dans ungüento (onguant) ou l’accent dans constelación.
“C’est donc parfois très difficile”, dit Jybr. “Il y a certains mots où il n’y a pas l’air d’avoir d’accent — peut-être qu’on ne l’entend pas — mais il est pourtant bien là”.
Jybr apprend l’espagnol depuis qu’il est bébé. Bien qu’il étudie dans la section bilingue du collège Bradley, dans le District scolaire Indépendant du Nord-est de San Antonio, il parle en anglais avec ses amis du collège.
Ses parents sont arrivés aux Etats-Unis depuis le Mexique avant sa naissance. Son père, Liborio Reynoso, raconte qu’il est très fier de voir son fils concourir dans sa langue maternelle.
“Oh man!” dit-il. “Ma langue maternelle, ma première langue”. Nous souhaitons que notre langue se développe davantage dans ce pays”.
Cela ne fait pas si longtemps que la première génération de citoyens américains comme Jybr étaient réprimandés lorsqu’ils parlaient espagnol à l’école et incités à abandonner leur langue maternelle.
Le directeur du concours d’orthographe en espagnol, David Briseño, a grandi dans l’Etat du Nouveau Mexique aux Etats-Unis, où ses parents, ayant comme langue maternelle l’espagnol, étaient convaincus qu’enseigner leur langue maternelle à leur enfants pourraient les freiner dans la vie. Il a 60 ans maintenant, et affirme qu’il ne domine toujours pas l’espagnol.
“Mes parents sont de l’époque où on était puni quand on parlait espagnol”, dit-il. “Eux voulaient être certains que nous ne nous ferions pas punir”.
Il nous dit que ses parents étaient traité avec mépris, ils recevaient des fessées ou on leur lavait la bouche avec du savon si leurs professeurs les entendaient parler dans leur langue maternelle. De nombreuses personnes préfèrent ne pas parler de cette histoire douloureuse mais un autre administrateur du concours me raconte que ses parents avaient subi les mêmes choses. Durant le concours d’orthographe de l’an passé, José Reyes, un instructeur bilingue du District scolaire indépendant de Gadsden au Nouveau Méxique, a raconté qu’une institutrice l’avait puni pour avoir parlé en espagnol. Il était à l’école d’El Paso, au Texas, entre les années soixante et soixante-dix.
“J’ai parlé en espagnol et je me souviens qu’elle m’a emmené aux toilettes et m’a lavé la bouche avec du Borax, du savon et m’a dit, “Ne recommence plus jamais à utiliser cette langue”.
Fifth-grader Mariana Moya-Rubiano from Thomas Harrison Middle School, Harrisburg, Virginia, correctly spells her first word in the competition. 27 students competed — accents, tildes and all — in the bee this year. Credit: Simon Thompson/PRI
Mariana Moya-Rubiano, élève de CM2 de l’école primaire Thomas Harrison, à Harrisburg en Virginie, a épellé correctement son premier mot de la compétition. 27 écoliers ont participées au concours — accents, tilde et autres — lors du concours d’épellation de cette année. Crédits: Simon Thompson/PRI.
Briseño a fondé le Concours National d’épellation en espagnol il y a six ans afin de changer cette attitude et d’améliorer le statut de la langue espagnole aux Etats-Unis.
Ce sont ce genre d’efforts qui font la différence. Les bénéfices de l’apprentissage bilingue ont été reconnus en 1968 avec la loi de l’éducation bilingue. La législation fédérale encouragea les différents districts scolaires à incorporer l’instruction d’une langue native chez les enfants ayant de moindres facilités à parler l’anglais.
Une étude de l’année 2010, parue dans le Compte-rendu du Journal de la Recherche Éducative, examine pas moins de 63 études sur les effets du bilinguisme. Elle établit qu’être capable de parler plusieurs langues est correlationné à une augmentation de la mémoire de travail, de meilleures capacités à résoudre des problèmes et une plus grande capacité d’attention.
Ce n’est pas seulement d’une grande aide pour ceux qui parlent une langue différente à l’anglais à la maison. Briseño raconte que davantage de personne non-natives parlant espagnol profitent aussi des programmes bilingues dans les écoles. Selon la Lettre d’Education d’Harvard, les programmes ont été multipliés par 10 en dix ans. En 2011, il y avait environ 2 000 programmes dans le pays qui enseignaient en anglais et dans une seconde langue.
Les élèves ayant comme langue maternelle l’anglais sont très bons au concours d’épellation en espagnol. Après trois heures et différents tours remplis de tension, trois des meilleurs finalistes n’ont pas comme langue maternelle l’espagnol.
Joe Dooley est élève en quatrième à Dedham, dans le Massachusetts. Il fut éliminé juste avant la pause de la mi-journée.
“J’ai mieux fait que ce que je pensais”, dit-il. “Je me suis bien senti quand j’ai répondu de la bonne manière”.
Dooley fait partie des quelques participants au concours d’épellation qui ne font pas partie du programme bilingue à l’école. L’Etat du Massachusetts requiert que les écoles publiques enseignent seulement en anglais. Selon l’Association d’éducation bilingue, seulement 33 écoles dans l’Etat offrent des programmes en plus d’une langue ou des programmes d’immersion dans une autre langue que l’anglais.
Le collège de Dedham n’est pas une de ces écoles, c’est pour cela que Dooley étudie l’espagnol là bas. C’est là qu’il a entendu parler du Concours d’épellation en espagnol.
Dooley a dit: “J’étais très enthousiaste et j’ai gagné dans ma classe et ensuite j’ai fini troisième de mon école et deuxième aux régionales”.
Le Massachusetts considère actuellement une législation qui permettrait aux disctricts scolaires de choisir le programme éducatif le plus appropié pour ses élèves qui sont entrain d’apprendre l’anglais. Changer la loi pourrrait permettre de réunir davantage d’élèves qui apprennent l’anglais dans des classes bilingues, avec des élèves ayant l’anglais pour langue maternelle comme Dooley.
Sa mère, Liz O’Donnell, espère que le modèle bilingue sera mis en place dans l’école de son fils.
“J’aimerais bien que ça arrive. Je pense que ça serait incroyable, spécialement lorsqu’on va devenir un pays avec une majorité de minorités”, raconte elle, faisant référence aux prévisions de l’Agence de Recensement des Etats-Unis qui estiment que les non-blancs seront plus nombreux que les blancs dans les 30 prochaines années.
Le Concours National d’épellation en espagnol avait 11 concurrents lors de sa première édition. Dans le passé il avait lieu à Alburquerque, au Nouveau Mexique. Lors du concours de cette année il y a eu 27 élèves représentants neuf Etats: Californie, Colorado, Floride, Massachusetts, Nouveau Mexique, New York, Oregon, Texas et Virginie. Selon Briceño, pas loin de 270 élèves étaient en compétition lors des concours par Etat et régionaux, préalables à la compétition nationale.
William Moss est éducateur dans le district de Brentwood à l’école Union Free de Long Island, à New York. 79% de la population du district est hispanique, étant l’un des districts les plus hispaniques de l’Etat. C’est la première année que New York est representé lors de ce concours.
“Un programme comme celui-ci, qui arrive à sa sixième année, on penserait qu’il devrait être présent dans tous les Etats”, dit-il.
Moss est en train d’organiser le premier concours d’épellation dans l’Etat de New York, qui aura lieu en 2017: “Je suis surpris que cela n’ai pas été fait avant. Pourquoi les professeurs d’espagnol des Etats-Unis n’ont pas de concours d’épellation en espagnol? C’est idiot !”
C’est également la première année que le concours national a lieu hors de l’Etat du Nouveau Mexique. Briseño raconte qu’en déplaçant le concours à San Antonio, il serait possible d’attirer une plus grande partie de la population qui parle espagnol et profiter de plus grands moyens de communication qu’offre la ville. Malgré tout, le financement et la notoriété continuent d’être des obstacles au développement du concours.
“Nous avions un autre [participant] qui devait venir – en réalité d’un territoire des Etats-Unis, les Îles Vierges – mais ils n’ont pas pu rassembler suffisamment d’argent pour venir jusqu’ici.” dit-il “C’est un travail fait d’amour et pour le moment c’est moi qui le finance de ma poche”.
Au dernier round, la concurrence est maintenant entre Jybr et Kiara Rivas-Vásquez, élève de sixième venant d’Oregon. Les pas des concurrents sur le podium font écho dans la salle, les sièges grincent pendant que l’audience se tend avant chaque mot.
L’audience laisse échapper de profonds soupirs de soulagement lorsque les épellations sont acceptées. “Correcte,” dit le juge tour après tour.
Les participants avancent et reculent pendant un moment qui semble durer des heures (mais qui sont en réalité environ 25 minutes) jusqu’à ce que Rivas-Vásquez commette une erreur. Elle a mis un “h” au début d’ermite.
Jybr peut difficilement rester assis avant qu’on l’appelle à son tour. Il marche jusqu’au micro et épelle doucement et posément: “E-r-m-i-t-e”.
“Correcte”.
Jybr reste impassible pendant qu’il se retourne vers les juges pour l’annonce du dernier mot. S’il l’épelle correctement, il obtiendra le titre national.
Le mot est Tahiti, l’île de l’océan pacifique.
Jybr ne demande pas de définition, de contexte ni de clarification.
“T-a-h-i-t i avec accent”.
“Correcte”.
La foule se lève pour l’acclamer. Jybr laisse échapper le soupir qu’il semblait contenir depuis les 3 derniers tours. Famille, amis et professeurs se jettent sur la scène pour célébrer le nouveau champion du Concours d’Epellation en Espagnol. Jybr dit qu’il est très impatient d’aller à l’école pour le raconter à ses amis.
“Ils diront probablement: ‘Oh mon dieu’. Ils vont être super impressionnés”.
Il pense déjà défendre son titre l’année prochaine au concours d’épellation en espagnol. Mais il pense aussi à participer au concours d’épellation en anglais.
Luego de ganar con la palabra Tahití,” Jybr Reynoso Hidrogos de Texas es presentado con el premio Nacional 2016 y el premio de 500 dólares en dinero. Está rodeado por los organizadores del concurso de spelling bee, y el fundador y director David Briseño, quien está mas a trás a la derecha. Credit: Simon Thompson/PRI
Après avoir gagné avec le mot “Tahití,” Jybr Reynoso Hidrogos du Texas est presenté avec le prix de 500 dollars en argent du Championnat National 2016 d’Épellation en Espagnol. Il est entouré des organisateurs du concours et du fondateur et directeur David Briseño (premier à droite). Crédits: Simon Thompson/PRI.