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L’incroyable complexité de la situation en Syrie

27 Août 2016

Analyser ce qui se passe en Syrie et au Moyen Orient devient une discipline à haut risque. Ainsi les multiples interprétations sur le coup d’état manqué, on dira foiré si l’on imagine que la CIA est derrière, livrent des versions parfois totalement contradictoires. 

Avec l’invasion turque et la prise de la ville de Jarablus, à la position stratégique entre la zone sous l’emprise kurde depuis Kobané et la région nord d’Alep où se joue une bataille fondamentale, une nouvelle explication a été trouvée. Le coup d’état en Turquie a en réalité été planifié par la CIA, qui contrôle Fethullah Gülen entre autres, et Erdogan lui-même [1]. 

Les motivations d’une telle entente n’étant ni claires ni d’importance suffisante, on écartera cette analyse. Malgré tout l’analyse de Thierry Meyssan sur la même hypothèse n’est pas sans intérêts. [3]

Il ne fait guère de doute que les USA voulaient se débarrasser d’Erdogan, personnage peu fiable.

Les raisons d’une telle complexité dans l’analyse de événements au Moyen Orient sont multiples.

Tout d’abord un certain nombre de pays concernés mènent des politiques à trois bandes, à multiples facettes. Comme la Turquie précisément, l’Arabie Saoudite, Israël…. La Russie, même si elle joue loyalement le jeu, et la Chine, qui a déclaré vouloir accroître sa présence militaire en Syrie, ne sont pas non plus dépourvues d’arrière-pensées.

Mais, sur le fond, comme plusieurs analystes l’ont souligné c’est surtout la marque de l’émergence d’un monde multipolaire.

La bataille d’Alep.

Avec la désinformation de nos médias on ne se rendait pas compte que seule une petite partie d’Alep était entre les mains des takfiris, plutôt la mouvance Al Nostra, et que cette ville de la plus haute importance, par ailleurs magnifique, était assiégée par les groupes mercenaires dont il n’est plus un mystère maintenant qu’ils sont financés par l’Arabie saoudite et le Qatar, et soutenus logistiquement et armés par les USA, la France et la Grande Bretagne. 

La Turquie joue un rôle clé dans l’afflux de takfiris, dans leur ravitaillement et leur séjour en Turquie même, ainsi que par son soutien aux frères musulmans [qui ont les coudées franches en France, il faut aussi le noter].

Pour l’état légitime syrien la libération d’Alep et la sécurisation de sa région est maintenant l’étape décisive pour la reprise en main de la partie active et productive de son pays. 

Concrètement cela suppose de couper militairement toutes les voies de communications, notamment vers la Turquie contrôlées par les mercenaires d’Al Nostra. 

C’est ce que l’armée syrienne et ses forces alliées dont le Hezbollah, les forces de défense…, appuyées par les raids des aviations russe et syrienne, sont en train de réaliser à coups de conquêtes de collines stratégiques et de bases telles que the Technical College at the Ramouseh Artillery Base. 

Les groupes affiliés à Al Nostra doivent faire venir des combattants d’autres zones, permettant ainsi d’importantes avancées des forces syriennes loyalistes ailleurs, pour lancer des contre attaques souvent repoussées où ils laissent beaucoup de victimes.

C’est un étouffement méthodique dont l’issue ne semble pas faire de doute si l’on en juge par les actions initiées par les américains avec les forces combattantes « libres » et « démocratiques » qu’ils encadrent, ainsi que l’invention turque à la nature très complexe.

L’intervention turque

On notera d’abord que ce que l’on peut qualifier d’invasion limitée turque, avec des chars et des combattants de milices déjà sur le territoire syrien, soutenu par l’aviation américaine semble-t-il, a lieu dans un territoire entre les mains de Daesh.

Dont les combattants ont quitté Jarabulus, ville syrienne proche de la frontière turque, à la situation stratégique, apparemment sans combattre. Laissant à penser qu’il y a derrière tout cela une stratégie d’ensemble.

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Erdogan avait planifié la pénétration de son armée en territoire syrien afin d’y établir une zone tampon depuis déjà assez longtemps. Si ces attaques n’avaient pas eu lieu c’est certainement qu’il n’avait pas le feu vert américain, qu’il craignait aussi la réaction russe et que des responsables militaires de haut rang de l’armée turque s’y opposaient.

C’est sans doute cette donne qui a changé. Les militaires turcs d’opposition ont été éliminés, les américains avec leur coup d’état manqué, on dira foiré par la CIA notamment pour avoir négligé le fait qu’Erdogan est soutenu par une grande partie du peuple turc, ont sans doute été obligés de faire cette concession au dirigeant turc afin de conserver un minimum de liens, et les russes n’ont pas réagi.

La question que l’on peut se poser est de savoir si les russes (et les iraniens, mais aussi les syriens qui ont des contacts secrets avec le régime turc) étaient avertis et avaient également décidé de laisser faire. Dans certaines limites certainement.

La chose la plus claire dans cette affaire est la déconvenue des kurdes. Qui voient leur espoir de créer une zone indépendante sous leur pouvoir (comprenant y compris des cités arabes) complètement anéantit. 

Les kurdes se voient ainsi trahis par les USA et par la France qui manœuvre sur cette question par l’intermédiaire de Salih Muslim coprésident de l’YPG, mouvement kurde syrien à priori progressiste, reçu récemment à l’Elysée.

Cette action vise aussi à assurer la promotion de combattants takfiris, qui figurent au côté des troupes turcs dans les actions militaires, plus directement sous contrôle turc. 

Et sans doute plus liés aux frères musulmans.

Sur cette question l’avis de The Saker [2] est certainement un des plus pertinents. Il est en accord avec ce qui est dit plus haut et prévoit que les choses vont apparaître sous leur vrai jour sous peu.

La position américaine

On aura compris que la politique américaine en Syrie, mais aussi au Yémen, n’est pas une ligne droite sans histoires.

L’Administration américaine est prise entre les réalités des guerres au Moyen Orient et la pression des groupes type neocons qui militent pour une intervention militaire américaine plus poussée.

La possibilité de chasser Bachar El Assad est passée depuis longtemps déjà, la division de la Syrie a également du plomb dans l’aile, et le Kurdistan syrien vient d’être sacrifié de même qu’une certaine crédibilité du soutien américain.

Cette crédibilité devrait aussi reposer sur une supériorité militaire. Deux événements récents montrent que celle-ci n’est plus vraiment reconnue par les parties adverses.

* nous avons eu droit à une représentation hollywoodienne par les responsables militaires américains en Syrie, où ils sont de manière totalement illégale, d’un chasseur américain tenant en respect deux avions syriens. Après que l’aviation syrienne ait frappé des groupes terroristes encadrés par des conseillers américains qui agissent de concert avec les forces kurdes. Alors que ces forces venaient d’agresser les éléments de défense syrienne dans une ville arabe syrienne. Cette action peut aussi être interprétée comme un avertissement d’Assad aux américains.

* Dans le détroit d’Ormuz quatre vedettes rapides iraniennes viennent d’agresser un destroyer américain. Grâce à une vidéo de la marine américaine (qui shunte ainsi les médias qui auraient évidemment présenté l’affaire autrement) on voit clairement le destroyer céder et modifier sa route pour s’éloigner des navires rapides iraniens.

L’Iran affirme ainsi sa souveraineté sur le détroit d’Ormuz.

* On parle d’un renforcement de la présence militaire chinoise en Syrie. On peut penser que c’est une manœuvre anti américaine qui vise aussi à placer les entreprises chinoises sur le marché de la reconstruction de la Syrie. 

Dans le même temps on entend le secrétaire d’état américain John Kerry, à la crédibilité tellement entamée que l’administration américaine envoie maintenant Biden, le vice président américain, délivrer les messages importants, se plaindre des missiles iraniens lancés par les yéménites dans leur lutte contre l’Arabie Saoudite qui massacre des civils essentiellement avec des armes américaines, française, britanniques…. 

Ceci est évidemment la conséquence du monde multipolaire qui se constitue. 

Sur cette base là les américains devraient réorienter leur diplomatie vers des compromis réalistes. Malheureusement le poids des lobbies, – militaro industriel, sioniste, neocon, Wall Street qui a besoin de la suprématie du dollar et du contrôle des voies d’échanges par l’armée américaine, pétroliers texans (quasiment tout ce qui a programmé l’assassinat de JFK) … – est tel qu’il conduit à cette impasse dangereuse. La candidate de ces lobbies Hillary Clinton, si elle est élue (des forces influentes aux USA s’attachent à plomber sa candidature) peut amener à une guerre nucléaire mondiale. 

[Quand on voit en France un journal comme Libé faire une campagne quasi hystérique pour elle on mesure combien notre pays est pris dans le piège d’une vassalisation honteuse]

Conclusion

Cet énoncé de tendances dans une situation générale très mouvante, ne conduit évidemment pas à une conclusion définitive.

En dehors de l’émergence d’un monde multipolaire, qui se traduit par une redistribution des rapports de forces militaires.

Pour confirmer les interprétations le « wait and see » de The Saker est de mise.

On doit également parler de la position complexe de la Russie. 

Nul doute que celle-ci joue un jeu loyal dans son soutien à la Syrie et au peuple syrien. Mais son action militaire en Syrie vise aussi à défendre la Russie elle-même sur son flanc exposé aux éléments islamistes guerriers.

On peut constater, certains y voient des signes de faiblesse alors qu’il s’agit plutôt d’habilité et de subtilité, – plutôt que de réagir militairement à son avion abattu la Russie s’est employée à isoler diplomatiquement Erdogan et à le sanctionner économiquement -, que la Russie privilégie souvent la voie diplomatique. 

Cela a l’immense avantage d’éviter de la faire passer pour une puissance hégémonique. 

C’est à ce prix qu’elle peut conclure des accords avec l’Iran par exemple.

Il y a aussi les relations avec Israël qui pèsent. Dans les deux sens d’ailleurs.

Il faut aussi considérer qu’elle est en position de défense avec la nécessité de reconstruire son économie. A qui les sanctions américaines ont évité le tournant néo libéral qui a un certain poids en Russie.

En tous les cas la Russie a acquis un rôle majeur dans la question syrienne. On vient de voir ainsi le chef des forces armées russes, le général Valery Gerasimov venir sans doute expliquer aux turcs les limites de leur action militaire en Syrie. [4]

En tout état de cause nous en sommes à un tournant majeur sur la question de la Syrie.


[1] http://www.globalresearch.ca/turkey-invades-northern-syria-truth-of-turkish-coup-revealed/5542322

[2] http://thesaker.is/a-turkish-invasion-of-syria-maybe-not-lets-wait-and-see/

[3] http://www.voltairenet.org/article192969.html

[4] https://southfront.org/turkish-russian-general-staff-chiefs-to-meet-in-ankara/