Éliminer les mutilations génitales féminines d’ici à 2030
par Nafissatou J. Diop,
01 Juin 2016.
Les nouveaux objectifs
de développement proposés par l’ONU incluent le fait de mettre un
terme aux pratiques traditionnelles préjudiciables comme celle des
MGF d’ici 2030. Nous connaissons maintenant les étapes clefs
nécessaires pour y arriver.
Un poème de l’écrivain
somalien Dahabo Ali Muse exprime la douleur causée par les
mutilations génitales féminines (MGF), une pratique subie par plus
de 140 millions de filles et de femmes dans le monde :
«C’est
ce que ma grand-mère appelait les trois chagrins féminins. Elle
disait que le jour de la circoncision, la nuit de noce, et la
naissance d’un enfant, sont les trois chagrins féminins.»
Les MGF, le premier des
trois chagrins féminins, se réfèrent à toutes les interventions
aboutissant à l’ablation partielle ou totale des organes génitaux
externes de la femme, ou à toute autre lésion des organes génitaux
féminins pratiquée à des fins non thérapeutiques. Cette pratique
est potentiellement mortelle tant pendant l’intervention qu’au
cours de la vie de la fille. Elle constitue également une violation
des droits reproductifs et du droit à la santé et à l’intégrité
physique, ainsi qu’une forme de violence contre les femmes et les
filles.
La plupart des pays se
sont engagés à protéger les droits des femmes et des filles en
ratifiant un certain nombre de traités régionaux et internationaux.
En décembre 2014, l’Assemblée générale des Nations Unies a
adopté une résolution sur «l’intensification des efforts
mondiaux visant à éliminer les mutilations génitales féminines»,
réitérant l’engagement de la communauté internationale à
éliminer les MGF.
Dans les mois qui
viennent, les grands dirigeants du monde vont se mettre d’accord
sur une nouvelle série d’objectifs de développement durable pour
remplacer les Objectifs du millénaire pour le développement. L’une
des propositions est d’inclure l’élimination de toutes les
pratiques préjudiciables, comme les MGF, avant 2030.
Cela peut-il être fait ?
La tâche semble dantesque.
En dépit des actions menées au niveau
mondial et national afin d’éliminer cette pratique, les MGF
restent largement répandues. Elles sont très courantes dans 29 pays
en Afrique, dans certains pays en Asie, au Moyen-Orient et en
Amérique Latine, ainsi que parmi les migrants de ces régions qui
s’installent dans les pays occidentaux.
La prévalence des MGF
varie selon les pays, de 96,7 pour cent parmi les filles âgées de
15 à 19 ans en Somalie, à 0,4 pour cent au Cameroun. Bien que la
prévalence des MGF ait chuté dans de nombreux pays, le taux de
déclin est largement en deçà du nécessaire. Si la tendance
actuelle perdure, le Fonds des Nations Unies pour la Population
(FNUAP) estime que 86 millions de filles nées entre 2010 et 2015
risquent d’être mutilées d’ici 2030.
Mais cette tendance
peut être inversée.
Nous devons tirer des enseignements de notre
expérience pour concevoir et intensifier les programmes qui ont un
réel impact sur la vie des femmes et des filles.
C’est pourquoi le
FNUAP et l’UNICEF dirigent le plus grand programme
mondial pour accélérer l’abandon des MGF. Ce programme porte
actuellement sur 17 pays.
Alors, qu’avons-nous appris jusqu’ici ?
Qu’est-ce qui fonctionne ?
Créer un
mouvement pour éliminer les MGF
Il est nécessaire
d’entrer en contact avec les filles et femmes dont les droits sont
violés par les MGF, tout en impliquant les gouvernements et les
autres parties qui ont pour responsabilité de les éliminer. Il est
particulièrement important de sensibiliser les dirigeants politiques
sur les MGF, de cultiver les réseaux de partisans et de militants et
de diffuser l’information sur les évolutions locales, régionales
et mondiales.
Traduire la
législation en actes
Les États doivent
garantir des dispositions juridiques appropriées sur le plan
national afin de stopper les MGF, y compris via la criminalisation,
l’application du droit et les poursuites.
Les pays rapportent des
degrés divers dans l’application du droit et les intervenants sont
nombreux à dire que l’existence des lois anti-MGF leur donne les
moyens et la légitimité de mener à bien leur travail de
sensibilisation.
Parallèlement, le fait d’informer la population
sur une nouvelle loi offre l’opportunité de discuter publiquement
des MGF et de mieux la sensibiliser. La couverture médiatique des
poursuites judiciaires et des audiences publiques peut également
informer davantage le public sur la législation.
Impliquer les
professionnels de la santé dans l’élimination des MGF
Les professionnels de la
santé, pleinement conscients des conséquences considérables des
MGF sur la santé sexuelle et reproductive, prennent de plus en plus
position contre cette pratique. Leur expertise, dans la prévention
ainsi que dans les soins procurés aux filles et aux femmes qui ont
subies des MGF, complémente les processus de changement des
comportements des communautés.
Redéfinir les
concepts et les traditions et autonomiser les filles
Les MGF sont profondément
enracinées dans la tradition et persistent en tant que norme sociale
soutenue par les relations de pouvoir et les structures de genre
sous-jacentes.
Redéfinir les concepts et les traditions relatives
aux MGF, plutôt que de chercher à discréditer des traditions
anciennes, est essentiel pour accélérer l’abandon de ces
pratiques.
La création de nouvelles normes sociales a eu des
résultats encourageants dans des pays comme le Soudan, où un terme
positif pour les femmes et les filles n’ayant pas subit d’excision
a été créé, Saleema, pour remplacer les concepts négatifs
utilisés pour ces filles.
Parallèlement, au Kenya, en Ouganda et en
Tanzanie, un rite de passage alternatif a été introduit, accompagné
par des sessions éducatives pour les communautés.
Les filles sont
éduquées sur une grande variété de sujets, comprenant les valeurs
traditionnelles positives et les compétences de la vie courante,
ainsi que les droits de l’homme. Elles sont ainsi préparées à
devenir des mentors et des modèles de référence.
Les activités
éducationnelles et le dialogue communautaire créent un espace
sécurisant dans lequel les membres des communautés peuvent
réévaluer leurs propres croyances et valeurs concernant les MGF.
La valeur des
déclarations publiques
Faciliter les
déclarations publiques sur l’abandon des MGF rend le changement
dans le comportement des communautés plus visible et encourage les
autres à adopter de nouvelles normes sociales. Un engagement public,
en particulier quand il est pris par les chefs traditionnels ou
religieux, génère une pression sociale qui rend difficile pour les
membres des communautés de revenir à leurs anciennes pratiques et
de contredire leurs promesses.
Amplifier le
changement par le biais des médias
Vu la nature complexe des
MGF et la désinformation fréquente à leur sujet, renforcer la
capacité des professionnels des médias reste une priorité.
Il est
vital d’impliquer les médias nationaux et locaux, y compris au
niveau communautaire, pour diffuser l’information, améliorer la
visibilité des communautés qui ont abandonné les MGF, et
promouvoir un changement comportemental positif.
Renforcer la
coordination et les capacités
Les Comités nationaux
présidés par le gouvernement et composés des principaux
intervenants sont mis en place dans plusieurs pays pour traiter des
MGF. Une meilleure collaboration parmi les intervenants a fait ses
preuves pour ce qui est de renforcer les capacités individuelles et
collectives à éliminer cette pratique.
Les liens entre la
législation, les droits de l’homme et un changement social positif
se traduisant par l’abandon des MGF sont complexes. Des progrès
importants ont été réalisés, mais la prévalence des MGF reste à
un niveau élevé et inacceptable. Les droits de l’homme peuvent
aider à accélérer l’abandon de ces pratiques et à atteindre
l’égalité entre les sexes, mais ils ne doivent pas exister
uniquement sur le papier.
Les droits de l’homme doivent devenir une
réalité dans la vie des femmes et des filles.
Soyons attentifs à ce
que le poème somalien cité en préalable dit sur la manière dont
nous devrions traiter les filles: «Initiez-les
au monde de l’amour et non pas au monde du chagrin féminin!!»
Open democracy