Khaled Barakat : « La solution à deux États est un crime contre le peuple palestinien »
Samidoun 13/07/2020 |
Interview de Khaled Barakat, écrivain et militant de la gauche palestinienne, sur les enjeux politiques de la période autour du plan d’annexion de la Cisjordanie et la mobilisation en Palestine et ailleurs pour y faire face.
Tradotto da Collectif Palestine Vaincra
Samidoun : Aujourd’hui et dans les jours précédents, nous avons vu des dizaines de mobilisations dans des villes et des villages du monde entier, de la marche de Ramallah organisée par Samidoun Palestine à des milliers de personnes dans les rues de Paris et de New York, en passant par de petites activités dans des villes locales où les gens se sentent obligés de sortir pour résister à cette dernière injustice. Nous avons vu une participation massive à Gaza, nous avons vu des caravanes de voitures, des gens qui marchaient et toutes sortes d’actions. Que pensez-vous que cela signifie ?
Khaled Barakat : Les Palestiniens se réveillent de la grande tromperie du soi-disant « processus de paix » et des accords d’Oslo. C’est en fait une voie de trahison menée par Mahmoud Abbas. Les Palestiniens n’ont cessé de réaliser depuis les accords d’Oslo, au cours des 30 dernières années, qu’il n’y a aucun espoir que cette voie leur permette de faire valoir leurs droits. Une nouvelle génération de Palestiniens est née après la signature des accords d’Oslo et la création de l’Autorité palestinienne, à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine.
Aujourd’hui, cette génération élève la voix. Elle a la tâche historique d’assumer le rôle qui lui revient dans la conduite du mouvement de libération palestinien, par la force et la mobilisation, en offrant une vision alternative. Toutes ces mobilisations ne viennent pas seulement pour dire qu’elles sont contre la colonisation et l’annexion de la vallée du Jourdain ou le vol de la terre palestinienne en Cisjordanie.
La force politique majeure qui propulse cette résistance est la conviction du peuple palestinien que tout le projet d’Israël et son existence sont le problème. Nos actions pour avancer doivent se dérouler sur cette base : affronter tout le système et travailler à son démantèlement complet, pour la libération totale de la terre et du peuple palestinien.
Samidoun : Quelles sont, selon vous, les prochaines étapes du mouvement ?
Khaled Barakat : Notre peuple n’a pas d’autre alternative que d’être uni. Cette unité doit être sur le chemin de la libération et du retour. La vraie division n’est pas entre le Hamas et le Fatah mais entre la voie du gouvernement « autonome » qui ne sert que les 1% de capitalistes palestiniens – et la voie des masses palestiniennes, des classes populaires, qui veulent la libération de la Palestine.
L’OLP a été confisquée aux classes populaires par les 1% de capitalistes palestiniens et ses outils, et elle doit être libérée et rendue au peuple. Vous êtes soit avec le gouvernement autonome, soit avec la libération de la Palestine, en soutenant les 1% de collaborateurs ou les 99% de notre peuple engagés dans une résistance globale.
Aujourd’hui, notre peuple se rend compte que personne ne peut le tromper avec la soi-disant « solution à deux États ». En fait, adopter et promouvoir la solution à deux États est un crime contre le peuple palestinien.
En ce moment, ce mouvement pour faire face à l’annexion n’est pas seulement important pour défendre la terre palestinienne, bien que cela soit crucial. C’est aussi un mouvement pour défendre les travailleurs et les agriculteurs de la vallée du Jourdain. Lorsque nous parlons de détermination, nous parlons de pêcheurs, d’ouvriers et d’agriculteurs. Ce sont eux qui portent notre cause sur leurs épaules. Chaque fois qu’un pêcheur palestinien va dans la mer de Gaza pour nourrir sa famille, il est un fedayin – un combattant de la liberté. Parfois, ils ne reviennent pas. Israël peut les tuer, les arrêter ou détruire leurs bateaux. Lorsque les agriculteurs palestiniens de Gaza vont aujourd’hui planter leurs terres, ils peuvent être confrontés à des bombardements avec des chars israéliens et des armes fabriquées aux États-Unis. Soutenir le peuple palestinien, c’est soutenir les classes populaires. Cela signifie aussi, bien sûr, se battre pour la libération de tous les prisonniers palestiniens.
Chaque jour, ceux qui luttent par tous les moyens – en organisant leurs communautés, en organisant leurs campus et en construisant la résistance – sont la cible des enlèvements, des tortures, des interrogatoires et des emprisonnements israéliens. Le mouvement des prisonniers palestiniens représente les leaders de notre lutte. Les réfugiés palestiniens dans les camps au Liban, en Jordanie et en Syrie et partout en exil et en diaspora sont confrontés à diverses circonstances de siège et de répression, au cœur desquelles se trouve le déni de leur droit au retour. Ce sont les masses palestiniennes, le peuple palestinien, pour et avec qui ce mouvement mondial lutte.
Samidoun : Maintenant, tout le monde dit qu’ils sont contre l’annexion, même les forces de droite palestiniennes responsables de la signature des accords d’Oslo. Quelle est votre vision de la scène politique actuelle pour les Palestiniens, et comment le mouvement de libération palestinien peut-il réellement se lever pour présenter un parcours de lutte populaire ?
Khaled Barakat : Notre tâche aujourd’hui est de former un front national unifié basé sur les droits fondamentaux du peuple palestinien, définis par notre peuple lui-même. Ces droits sont systématiquement niés et violés par les États-Unis et Israël. La priorité du peuple palestinien aujourd’hui est de protéger sa terre, de protéger ses droits et d’accumuler sa force de manière globale. En même temps, la construction d’un front uni ne doit pas nous retenir ou devenir une condition qui nous empêche de faire avancer le mouvement. La résistance doit devenir de plus en plus forte.
Les mouvements populaires doivent devenir de plus en plus forts, y compris les mouvements ouvriers, de femmes et étudiants. Des mouvements comme Tal’at représentent les aspirations du peuple palestinien. Des mouvements comme les coalitions et les comités Al-Awda défendent le droit au retour des réfugiés palestiniens partout dans le monde. Des organisations et des réseaux comme Samidoun mobilisent les gens dans le monde entier pour défendre les droits des Palestiniens, les prisonniers palestiniens et la libération de la Palestine. Les jeunes Palestiniens prennent la tête du mouvement. Des organisations comme Within Our Lifetime – United for Palestine, le Hirak Shebabi (mobilisation de la jeunesse palestinienne) à Berlin, l’organisation de femmes palestiniennes Al-Karama en Espagne, Hirak Haifa en Palestine occupée de 48, le mouvement des étudiants et des jeunes, et bien d’autres, présentent une voie à suivre. Ce sont ces forces qui ont mené les mobilisations aujourd’hui, non seulement en dehors de la Palestine, mais aussi à l’intérieur de la Palestine, avec la résistance palestinienne à Gaza. Ce sont les forces qui ne dépendent pas du financement des ONG par l’Union européenne. Par conséquent, elles osent affronter l’Autorité palestinienne, Israël et les États-Unis, et adopter une vision révolutionnaire de la libération palestinienne qui se concentre sur les luttes des classes populaires, les luttes des femmes, la libération nationale et sociale.
Samidoun : En ce qui concerne cette question de l’unité, il y a eu beaucoup de publicité dans les médias palestiniens sur cette conférence de presse commune de Jibril Rajoub du Fatah et de Saleh al-Arouri du Hamas. Pensez-vous que cela représente une réelle opportunité pour l’unité palestinienne dans la lutte, ou est-ce autre chose ?
Khaled Barakat : Il n’est pas possible d’unir deux voies opposées – celle d’un programme de résistance, et celle d’un programme de concessions, de négociations et de la dévastation d’Oslo – sous le couvert de la « réconciliation nationale », même au milieu du projet d’annexion. La promotion de telles réunions et conférences comme un espoir d’unité pour les Palestiniens ne fait que promouvoir l’illusion, surtout quand il ne reste aucun signe significatif que l’Autorité Palestinienne s’est vraiment écartée de quelque façon que ce soit de sa voie d’échec capitularde face aux États-Unis et à Israël tout en réprimant la résistance palestinienne par une coordination sécuritaire. Il s’agit également d’une tentative de nettoyer l’image de Jibril Rajoub, précédemment à la tête du service de sécurité préventive de l’Autorité Palestinienne en Cisjordanie. En cette qualité, il a pratiqué toutes sortes de répressions, de surveillance et de détention de résistants et d’organisations. Nous ne pouvons pas effacer cette histoire et la présenter avec la simple apparition d’une conférence de presse commune en ligne. Un tel affichage médiatique cherche également à limiter les termes de l’unité palestinienne à celle de l’Autorité palestinienne : à savoir, la « solution à deux États ». Le peuple palestinien n’a confiance que dans l’unité de la résistance en lutte. Tout le reste doit être accueilli avec un haut niveau de scepticisme. L’unité nationale doit être fondée sur les principes du peuple palestinien et sur un programme de lutte qui coupe tout lien avec la voie et le programme dévastateurs d’Oslo. Elle ne doit pas être utilisée pour polir l’apparence de la même Autorité « autonome » en Cisjordanie qui continue, dans la pratique, la coordination sécuritaire avec Israël et la répression politique de la résistance palestinienne.
Samidoun : De nombreuses personnes à travers le monde se mobilisent pour la Palestine en organisant des campagnes de boycott, de désinvestissement et de sanctions, pour le boycott d’Israël et des sociétés complices qui profitent de l’oppression du peuple palestinien. Nombre de ces mêmes forces sont responsables de crimes contre les communautés opprimées dans le monde, les prisons privées et les sociétés de sécurité et les alliances officielles qui s’en prennent également aux communautés noires aux États-Unis et aux peuples autochtones au Canada. Comment voyez-vous les tâches du mouvement de boycott aujourd’hui ?
Khaled Barakat : La tactique du boycott a une longue histoire dans le mouvement palestinien. Nous avons boycotté les produits britanniques dans les années 1930. L’une des premières organisations palestiniennes et arabes qui s’est mobilisée en 1951 après la Nakba a été l’Assemblée pour le rejet de la réconciliation avec Israël. Cette organisation a été fondée par George Habache [le leader de la gauche palestinienne qui a ensuite co-fondé et dirigé le Mouvement Nationaliste Arabe, puis le Front Populaire de Libération de la Palestine]. Bien sûr, nous avons aussi les riches leçons du boycott palestinien de la première Intifada. Le boycott est un outil permanent de la résistance palestinienne, à l’intérieur et à l’extérieur de la Palestine. La campagne BDS et les initiatives de boycott sont une partie importante du mouvement de solidarité palestinien. Lorsque nous examinons le BDS, nous le voyons dans une perspective de libération nationale. C’est un outil internationaliste important qui peut mobiliser une participation directe à la lutte pour soutenir le peuple palestinien. La campagne BDS comprend de nombreuses organisations et initiatives internationales qui ont répondu à un appel palestinien au monde. C’est une partie importante du mouvement de solidarité palestinien. C’est un outil et une tactique essentielle. En même temps, elle n’est pas une alternative au mouvement de libération palestinien. Nous ne pouvons pas non plus dire que des questions politiques clés peuvent être reportées à l’avenir. En réalité, comme je l’ai déjà mentionné, la solution à deux États est un crime contre le peuple palestinien. Il est temps d’être clair sur la nature du projet sioniste et la nécessité d’une libération totale, y compris le droit inaliénable du peuple palestinien à résister à l’occupation.
Samidoun : Comment pensez-vous que la colère et l’engagement reflétés dans ce Jour de colère peuvent continuer à se construire, à avancer et à se battre ?
Khaled Barakat : Le mouvement de libération nationale palestinien est un mouvement anti-impérialiste dans sa nature. La lutte palestinienne fait partie de la lutte mondiale, de celle qui affronte l’impérialisme américain, le système capitaliste. Le système qui pille les ressources des peuples du monde, le système qui a asservi, exploité et continue à opprimer brutalement les communautés et les peuples Noirs, le système qui a volé la terre et commet un génocide contre les peuples indigènes. Le système qui pompe les ressources des peuples du monde, qui détruit des vies et des nations pour le profit. La Palestine fait partie du camp de la révolution mondiale. Elle ne changera jamais sa position en tant que mouvement anti-impérialiste et antiraciste. Lorsque nous construisons notre mouvement, nous construisons ce mouvement. Lorsque ce mouvement mondial est victorieux n’importe où dans le monde, nous le ressentons immédiatement en Palestine. Lorsque ce mouvement subit des revers ou des attaques n’importe où dans le monde, d’un coup d’État en Bolivie à la guerre économique américaine contre Cuba, le Zimbabwe, le Venezuela ou l’Iran, nous le ressentons aussi immédiatement. Nous faisons également partie d’une lutte arabe progressiste et révolutionnaire. Les Palestiniens ont aujourd’hui la tâche de reconstruire la vision révolutionnaire et de libération nationale arabe. Nous devons être à la hauteur de cette tâche avec le peuple arabe et les peuples de la région – et les peuples du monde – pour nous tenir en tant que Palestiniens sur la ligne de front, face au sionisme, à l’impérialisme et aux régimes réactionnaires arabes qui collaborent avec eux.