Colombie : fascisme à la criolla*
Reinaldo Spitaletta 10/09/2019 |
Il règne une atmosphère pestilentielle. C’est une sorte de coupole qui tente à tout prix d’imposer à sa guise une “pensée unique”, une vision unique du monde, qu’ils disent “juste”, celle qui qualifie le contradicteur d’ennemi à effacer, à censurer, à soumettre à ses diktats.
Cette attitude despotique n’est pas nouvelle en Colombie, mais, ces derniers temps, elle a nourri – avec fébrilité et avec le concours des médias au service du pouvoir – l’extrémisme. Et cela fait partie d’une machination de l’extrême droite.
Tradotto da Fausto Giudice
L’aberration est basée sur l’ancienne “culture” mafieuse, qui non seulement exalte la vulgarité et les dérapages, en plus de l’imposition de méthodes de lumpen, mais aussi l’élimination, physique ou autre, du contradicteur. Et, en même temps, déguisée en ” scientificité ” et profitant des espaces qu’elle a ouverts pendant des années, tantôt au moment de la terreur, tantôt par des agressions tantôt par des attaques contre l’Etat, pour déformer ou arranger l’histoire à sa sauce.
Et dans sa dérive, elle a fait appel à un système de discrimination et de propagation du mensonge qui a connu son apogée à l’époque du sénateur Joseph McCarthy, aux USA, dans les années 1950.
La conspiration créole a ses manières de décontextualiser, par exemple, des termes comme “patrie” (réduite au sentimentalisme de pacotille) et, pour aller dans le même sens, de falsifier des événements historiques. C’est pourquoi il n’est pas étrange qu’à certains moments certains de ses membres, les plus extravagants et les plus grossiers, viennent dire qu’il n’y a pas eu de massacre des bananeraies**, que c’est là l’invention de narrateurs exaltés par des réalismes magiques.
Ainsi, dans le montage visant à balayer de ce qui peut être utilisé contre leurs pillages (il y a aussi le pillage idéologique), c’est la domination des histoires officielles qui est établie, la mémoire est effacée, les mouvements sociaux sont disqualifiés, les justes protestations des populations sont minimisées face au chamboulement et à la violation des droits… Et apparaît alors dans sa dimension infamante le maccarthysme, assaisonné bien sûr de menaces, de “raisons sociales” comme celles des Aigles Noirs [groupe de tueurs paramilitaires, NdT]. Ou avec des propos (essentiellement stupides) comme quoi les assassinats de dirigeants sociaux ont été commis pour des “querelles de jupons” (= affaires de cul), ou qu’il n’y a pas de résurrection du paramilitarisme, mais que ce qui arrive, c’est qu’il y a des “méchants qui tuent des gens bien” (ou vice versa ?).
La conspiration crie depuis belle lurette contre la Juridiction Spéciale pour la Paix, contre les manifestations d’étudiants pour la défense de l’éducation publique, contre les enseignants, contre la minga*** indigène… C’est une mise en scène qui va de concert avec des reportages, journaux, stations de radio. Et elle profite des comportements mafieux pour ses objectifs sinistres.
Ceux qui sont imprégnés de cette vision manichéenne de l’extrême droite, qui par ailleurs a délibérément décoloré des termes comme “socialiste” ou “communiste”, les assimilant à des matières criminelles, n’hésitant pas à mettre en avant comme idoles les sicarios (tueurs à gage) de la mafia ou le patron Escobar en personne. Ce qui s’est passé à Miami, par exemple, lors du match de football Colombie-Brésil, n’est qu’un petit exemple de la mentalité trouble des fanatiques uribistes. Non seulement ils évoquent avec nostalgie le capo [Escobar], mais ils insultent les opposants à leur “messie” [Uribe] contesté.
Le nouveau credo, une sorte de laureanisme**** mais en pire, envisage l’isolement, comme une imposition d’ état de siège, des médias indépendants, comme come cela est arrivé à Noticias Uno*****. Ce sont d’autres formes de censure qui ont été exercées contre le journal télévisé. Le petit empereur [Uribe] a annoncé il y a longtemps qu’avec le gouvernement de son élève [Duque], ils n’auraient plus la possibilité d’exercer la critique et la dénonciation. Ce journal télévisé, comme on l’a vu, a appliqué dans sa trajectoire le principe du journalisme d’investigation qui consiste à rendre compte de ce que certains – le pouvoir – ne veulent pas qu’on sache.
Être indépendant dans un pays comme celui que l’extrême droite veut dominer, c’est être synonyme de “guérillero”, de contestataire du système, d’ennemi de la démocratie, autre expression que les cartels politichiens ont dégradée. Une combinaison de mafieux et de-paramilitaires, marinée d’agressions verbales, a été installée par une clique grotesque d’ exaltés qui veulent chevaucher les chevaux de l’intolérance.
Parmi leurs drapeaux de pirates, on trouve non seulement une tête de mort, mais aussi l’effigie (et la voix – comme à Miami) d’un brigand [Escobar], symbole de barbarie et d’irrationalité. Ce sont ceux qui savent chanter en chœur, sans aucune honte, que “le plomb est ce qu’il y a, le plomb est ce qui vient”.
Il se peut qu’ils s’en prennent d’abord à un bulletin de nouvelles, puis à un professeur, puis à un étudiant, puis à un ouvrier, un communiste, un socialiste, un libre-penseur, comme dans un vieux poème. Avant qu’il ne soit trop tard, il faut dire NON à ces sectes qui, comme le fascisme, nient l’homme.
NdT
*Criollo : terme espagnol issu du portugais crioulo et qui a donné créole en français. Désignait à l’origine, dans la société de castes des colonies espagnoles des Amériques, les Blancs nés sur place de parents ou d’origine espagnols, pouvant donc faire état de la « limpieza de sangre », la « pureté de leur sang » (par opposition aux Indiens, Noirs et métis) . Aujourd’hui, dans toute l’Amérique de langue espagnole, criollo signifie simplement « local, du pays ». En Colombie, en particulier, criollo est le terme fort pour qualifier ce qui est national, toutes origines mêlées. En revanche, crioulo désigne au Brésil les Noirs et métis, tandis qu’au Rio Grande do Sul, criolo désigne les descendants d’Européens.
**Le massacre des bananeraies (Masacre de las bananeras), aussi appelé massacre de Ciénaga, ou massacre de Santa Marta a eu lieu dans la ville de Ciénaga au nord de la Colombie, le 6 décembre 1928 lorsqu’un régiment de l’armée colombienne ouvrit le feu sur des travailleurs grévistes de l’United Fruit Company, faisant sans doute un millier de morts.
*** Une minga, également appelée minka (en langue quechua) ou minca ou encore mingaco, est une tradition andine de travail collectif à des fins sociales. D’origine précolombienne, cette tradition met le travail commun au service d’une communauté, d’un village ou d’une famille, à des moments déterminés où un effort important est nécessaire : récoltes agricoles, constructions de bâtiments publics, déménagements. Elle se pratique en particulier au Pérou, en Équateur, en Bolivie et au Chili. Des pratiques équivalentes existent ailleurs : en Haïti on l’appelle koumbit (du français coup de main), aux Comores mranda (du français rendez-moi service), au Maroc tawaza ou tawiza. La Minga Indigène et Populaire pour la Résistance a démarré en Colombie en octobre 2008 et a mis en mouvement des centaines de milliers d’hommes et de femmes de toutes les ethnies de Colombie. L’abolition du Statut Rural eétait l’une des ses 5 principales revendications. Lire à ce sujet Un peuple armé seulement avec la force de la parole.
**** Laureano Eleuterio Gómez Castro (1889-1965), dirigeant ultraconservateur, admirateur de Hitler et Mussolini, président de Colombie en 1950-1951, vécut quelques années en exil dans l’Espagne franquiste. Bref, le gendre idéal.
*****Noticias Uno est un journal télévisé diffusé sur le Canal 1, considéré comme exemplaire en matière d’investigation, qui a dénoncé une série de scandales politiques, notamment de corruption. Il cessera d’émettre en décembre 2019. Son ancien directeur David Coronell, exilé aux USA suite aux menaces de mort des uribistes , est devenu directeur des informations d’Univisión, la chaîne hispanophone des USA récemment rachetée par le groupe mexicain Telvisa. Coronell a été traité de « chien communiste » par les fans colombiens de foot de Miami lors du matche évoqué par l’auteur.