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Le vieux rêve des putschistes travestis Le capital politique de l’Uruguay en déclin

Jorge Majfud 24/11/2019
Il y a quarante ans, le capitaine Nino Gavazzo a « travaillé » mon grand-père à coups de poing pendant que le vieux avait les mains attachées lors d’un interrogatoire.

C’était la méthode, la règle de procédure. Tel a été le concept de l'”honneur” et du “courage” des professionnels lâches qui ont la bouche et la poitrine pleines de courage, de patriotisme et de défense de la nation.

Quarante ans plus tard, pour continuer l’histoire ancienne, et pour être au diapason du néofascisme stratégique en Amérique latine, Uruguay aussi, les militaires de haut rang tâtent le terrain d’un coup d’État au cas où la “coalition multicolore”* dont ils font partie ne remporterait pas le scrutin aujourd’hui 24 novembre. Puisqu’il est très probable qu’ils gagneront avec la contribution minoritaire des dix pour cent de leur électorat, ils n’auront pas besoin d’utiliser le Plan B historique et, comme auparavant dans tant d’autres pays du continent, il sera question de “récupération de la démocratie” et de “l’héritage maudit”.
Oui, dans cette coalition, il y a des démocrates, et il n’y a rien de mal à l’alternance politique au pouvoir. Bien au contraire. Le problème, c’est quand un démocrate commence à recevoir le soutien des nazis et des fascistes, de ceux qui conspirent dans l’ombre, depuis leurs bastions de pouvoir dans les grandes entreprises et les casernes, de ceux qui menacent à partir de divers groupes associés à l’armée (institution supposément neutre subordonnée à l’Etat), quand ils demandent un “vote patriotique” aux parents des militaires et personne se demande pourquoi.
Une ironie tragique réside dans le fait que les “patriotes” et les “ultra-nationalistes” autoproclamés du monde entier ne détestent pas les autres nations autant qu’ils détestent leurs propres compatriores qui ne pensent pas comme eux et qui, de plus, ont l’audace de gouverner une fois élus. Ils passent presque tout leur temps à combattre les autres avec leurs propres citoyens. Si parfois le discours est contre l’étranger, c’est dû à un déplacement sémantique : ils ne peuvent pas dire qu’ils détestent ou veulent exiler leurs compatriotes, comme les racistes parlent de nations et non de races, mais toutes leurs énergies sont investies contre leurs propres compatriotes. Ils divisent au nom de l’Union. Ils ne sont pas unis par la Patrie, par l’intégration de l’autre qui vit dans le même pays, mais par la haine du différent, la haine de ceux qui osent penser et revendiquer leur droit de le dire et de le faire dans le respect de la loi.
Dans tous les indices internationaux, y compris ceux de groupes conservateurs comme le Democracy Index britannique, l’Uruguay s’est positionné ces dernières années avant des pays comme les USA en termes de démocratie et d’exercice des libertés individuelles. Comme la stratégie discursive a toujours été le divorce effectif entre récit et réalité, militaires et politiciens se sont chargés d’insister pour dire le contraire : « En Uruguay il y a une dictature » etc. Quatrième page du manuel ancienne et bien connue.
Ce clan hermétique et conspirateur, tel un serpent qui se mord la queue, a vécu en se nourrissant rétrospectivement de la littérature politique inventée pendant la guerre froide par les agences de propagande des services de renseignement étrangers (ce n’est pas une opinion, c’est une confession ancienne et multiple de la part du gouvernement usaméricain, disponible dans les documents déclassifiés). Ainsi, ils continuent à réciter l’histoire du Petit Chaperon rouge comme un rosaire, afin de ne pas perdre la foi et de la garder vivante chez un groupe significatif de personnes qui les défendent avec fanatisme bien qu’elles les aient subis de multiples façons indirectes.
Ceux qui jouissent d’une certaine sécurité fiscale accusent d’ autres, membres du gouvernement ou de la fonction publique, d’en faire autant. Ceux qui ont violé les droits de l’homme les plus élémentaires fait silence sur ces violations crient : « La loi doit frapper non pas avec douceur mais implacablement les corrompus de toute condition ». C’est le degré d’indécence auquel peut venir un homme.
Le Klan menace chaque fois qu’il le peut, avec des collectifs anonymes ou personnalisés de divers médias avec une impunité familière, de ses bunkers sombres, avec ses demi-mots ou ses silences significatifs lorsque les victimes de son ancien régime fasciste réclament la vérité sur leurs proches disparus.
Ou avec des discours comme celui du Général en retraite Manini Ríos, sénateur élu, violant le silence électoral et reconnaissant (désormais explicitement) le profil politique et idéologique des forces armées latino-américaines depuis la fin du 19ème siècle. Le général oublie son haut rang militaire et le fit d’avoir été promu par ce gouvernement qu’il méprise et déclare, à la manière des « Communiqués » du passé : « À ceux-là, nous autres soldats répondons cette fois-ci que nous les connaissons déjà ». Expression bien connue (suffisamment ambiguë, comme indiqué dans le Manuel) qui s’applique généralement aussi à ceux d’entre nous qui ne sont pas politiciens et qui n’appartiennent à aucun parti.
C’est vrai, vous les connaissez et ils nous connaissent. Ils savent ce que nous disons et faisons, parce qu’on ne cache rien. Nous ne nous cachons pas pour intriguer, ni dans des casernes, ni dans des sectes. Tout ce que nous pensons, faux ou non, nous le disons en public, dans des interviews, dans nos classes ; nous le publions dans des livres, dans des articles, avec des signatures, jamais de façon anonyme.
Au cours des quinze dernières années, l’Uruguay n’a jamais connu de récession économique, il est devenu le pays d’Amérique latine avec le PIB par habitant le plus élevé et en même temps le pays qui distribue le mieux la richesse dans un contexte régional qui, pendant des années, a connu de profondes crises économiques et sociales. Pour cette raison, le colonel Carlos Silva assure que c’est précisément ce gouvernement qui a conduit le pays à la ruine parce qu’il est “marxiste” (je suppose marxiste comme le président Donald Trump, qui construit une tour et y a des entreprises). Comme si cela ne suffisait pas, le gouvernement démocratique de son pays est traître et antipatriotique.
Pour les fascistes, tous ceux qui ne pensent pas comme eux sont antipatriotiques. Cependant, et avec des exceptions, si dans les pays d’Amérique latine, il y a eu ingérence directe et effective, s’il a été possible de céder les ressources nationales et les droits les plus fondamentaux de leurs populations sous dictatures pendant 150 ans, c’est grâce à ces “patriotes” autoproclamés qui s’accrochent mutuellement des médailles, en racontant le bobard s qu’ils ont sauvé le pays du bazardage aux intérêts étrangers.
Le général Manini Rios accuse ses adversaires politiques d’être « ceux-là mêmes qui ne se lassent pas d’insulter celui qui porte un uniforme ». Non, Général. Ce ne sont ni les gens, ni les critiques, ni aucun parti politique qui ont « insulté l’institution armée » ; avec les inévitables exceptions à la règle, l’histoire et le présent disent que c’est vous, vos capitaines et vos généraux, avec la complicité sadique de certains soldats et la complicité intéressée de nombreux civils.
* Le 5 novembre, les chefs de l’opposition du Parti national, du Parti Colorado, du Parti des gens, du Parti indépendant et du Cabildo Abierto (Cabildo ouvert) ont signé le document “Engagement de pays”, dans le but d’éliminer le Frente Amplio (Front élargi) du gouvernement. C’est ainsi qu’est née la “coalition multicolore”. Cabildo Abierto, créé il y a seulement six mois, est dirigé par l’ancien commandant en chef de l’armée uruguayenne, Guido Manini Ríos, objet d’enquête pour avoir protégé un militaire accusé de violation des droits humains pendant la dictature civilo-militaire (1973-1985) et qui a été congédié en mars dernier pour avoir remis en question le fonctionnement du pouvoir judiciaire dans des décisions portant précisément sur cette dictature. [Note de Tlaxcala]