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La réglementation sur les pesticides risque fort d’être allégée

22 Octobre 2016

L’arrêté qui définit les conditions d’utilisation des pesticides est en cours de réécriture. Les associations environnementales ont été écartées des discussions et craignent que le nouveau règlement soit moins protecteur que le précédent.
Dans le milieu, on l’appelle « l’arrêté phyto ». Un simple texte, bien bas dans la hiérarchie des normes, et pourtant primordial, car il fixe les règles d’utilisation des pesticides : à quel moment peut-on les épandre ? comment protéger ceux qui les utilisent ou ceux qui pourraient y être exposés ? etc. Le texte actuellement en vigueur existe depuis 2006.
Mais en juillet dernier, une décision de justice a imposé son abrogation dans les six mois pour une raison de procédure (le gouvernement n’avait pas consulté l’Union européenne). Depuis, c’est la course : faute de nouvel arrêté, à partir du 6 janvier 2017, la France n’aura plus de règlement sur l’application des produits phytosanitaires. Il faut donc écrire ce nouveau texte réglementaire rapidement.
« Cet arrêté nous semblait totalement incompatible avec le métier d’arboriculteur », s’est félicité l’Association nationale pommes poires (ANPP), à l’origine de la procédure qui a permis l’abrogation du texte de 2006. Elle défend un allègement des contraintes dans le nouvel arrêté.
À l’inverse, du côté des associations de défense de l’environnement, on oscille entre craintes et espoir : « Craintes de voir cet arrêté raboter encore sur la question de la protection de l’environnement et des personnes exposées. Espoir de voir sa révision permettre une mise à plat de la situation », résume Générations futures dans un communiqué. Alors, le texte de 2016 sera-t-il plus protecteur de la santé que celui de 2006 ?
« Ne pas faire mieux que le droit européen ni grever la compétitivité » 

Ce serait nécessaire, estime l’association Eaux et rivières de Bretagne. « Le contexte a beaucoup évolué en dix ans », dit son délégué général, Gilles Huet. « On connaît beaucoup mieux les niveaux de contamination aux produits phytosanitaires. En Bretagne, par exemple, on recensait l’an dernier 81 pesticides différents dans les cours d’eau. Or, ce cocktail a des effets sur la santé qui ne sont pas pris en compte parce que, lorsqu’ils sont mis sur le marché, les produits sont étudiés un par un. Ensuite, plusieurs rapports [1] montrent un bond en avant des connaissances sur les liens entre pesticides et maladies chroniques, liens qui sont aussi reconnus par les tribunaux. »
Conclusion : « On ne peut pas réguler les pesticides aujourd’hui comme en 2006. »


Mais, il n’est pas dit que cet avis soit pris en compte. Carles associations de la société civile ont été exclues des négociations autour du futur arrêté. À peine ont-elle obtenu un rendez-vous au ministère de l’Environnement, lundi 17 octobre.
Les discussions se déroulent au sein d’une instance dont elles ne font pas partie, et qui réunit les représentants des syndicats agricoles, des coopératives, des chambres d’agriculture, et les ministères de l’Environnement, de l’Agriculture et de la Santé. Il s’agit du Corena, ou comité de rénovation des normes en agriculture. Il a tenu depuis fin septembre trois réunions concernant l’arrêté phyto.
« C’est un comité établi à la demande de la FNSEA [Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, premier syndicat de la profession] », rappelle Emmanuel Aze, agriculteur en charge du dossier pesticides à la Confédération paysanne, syndicat d’opposition. « Le cadrage politique y est très clair : on ne doit pas faire mieux que le droit européen ni grever la compétitivité. »
« Si les petits cours d’eau ne sont pas protégés, cela ne sert à rien de protéger les grands » 

Emmanuel Aze a pourtant participé à deux réunions de ce groupe de travail. Et ce n’est pas sa seule interrogation : « Ce qui est aussi très, très, problématique, c’est que l’on profite d’une abrogation de l’arrêté sur la forme pour le modifier sur le fond. On aurait pu le garder tel quel et simplement corriger la forme. Qui a décidé de le modifier sur le fond ? Cela s’est décidé dans l’opacité la plus complète. »


Sentant les regards se tourner vers elle, la FNSEA décline toute responsabilité. « On n’a absolument pas poussé pour réviser cet arrêté, explique Éric Thirouin, président de la commission environnement à la FNSEA. Mais maintenant que c’est en train de se faire, on va faire en sorte que le nouveau texte soit réaliste et applicable. »
Sur le terrain, son syndicat met la pression. Le weekend dernier, il a appelé ses adhérents à « taguer les routes de notre pays avec des messages forts ».
Premier point d’achoppement dans le texte, les « zones de non-traitement » (ZNT), c’est-à-dire les surfaces sur lesquelles les agriculteurs ne peuvent pas épandre. Pour l’instant, elles se situent le long des points et cours d’eau, sur des largeurs allant de 5 à 20 mètres dans la pratique, plus exceptionnellement 50 ou 100 mètres. « Actuellement, certaines dérogations sont possibles pour réduire la distance à 5 mètres, explique Éric Thirouin, pour la FNSEA. Mais le texte proposé ne les prend pas en compte, on repasserait à 20 mètres donc c’est quasiment une multiplication par quatre des zones de non-traitement ! » Le nouveau décret devrait en plus protéger les zones d’habitations, introduisant de nouvelles ZNT. « Ce serait 4 millions d’hectares de cultures, l’équivalent de 7 milliards d’euros de chiffre d’affaires, qui disparaîtraient en pleine crise agricole », s’inquiète le syndicaliste.


Un discours loin d’apitoyer Nadine Lauverjat à Générations futures : « En fait, il a été proposé en annexe du décret une véritable usine à gaz de dérogations, notamment pour les matériels anti-dispersion qui poussent les agriculteurs à acheter du matériel. Et pour les habitations, ils veulent que la limite soit fixée au bâtiment plutôt qu’en bordure de propriété. Cela voudrait dire que les jardins ne sont pas pris en compte, c’est inacceptable ! »
Autre bataille sur ce point : « Actuellement, seuls les cours d’eau sur les cartes au 1/25.000e de l’IGN sont pris en compte, regrette Gilles Huet, d’Eaux et rivières de Bretagne. Mais les travaux d’inventaire ont montré qu’environ un tiers de ces cours d’eau n’y sont pas répertoriés. Nous aimerions les inclure, car si les petits cours d’eau ne sont pas protégés, cela ne sert à rien de protéger les grands, dans lesquels ils se déversent… » À l’inverse, les partisans d’une moindre réglementation demandent d’éliminer les fossés de la liste des points d’eau à protéger.
Bras de fer entre ministère de l’Agriculture et ministère de l’Environnement 

Autre sujet d’âpre débat : le « délai de rentrée ». Il s’agit de la durée à partir de laquelle il est possible de revenir sur une parcelle après traitement. Pour les produits les plus dangereux, elle est de 24 à 48 heures selon leur catégorie. « Ce délai pourrait être raccourci à 6 ou 8 heures en cas de port d’habits de protection adaptés, c’est du bon sens », estime Éric Thirouin.
« Mais vous croyez que l’été, sous 30 °C, ces vêtements de protection seront portés ? » s’interroge Nadine Lauverjat. À la Confédération paysanne, Emmanuel Aze rappelle que « récemment, une étude a montré que le fongicide le plus utilisé en viticulture, 10 jours après l’application, est toujours aussi présent sur la parcelle traitée. Les délais de rentrée ont été calés sur les contraintes économiques de la production, pas sur la protection de la santé publique. En plus, un rapport de l’Anses a récemment montré que ces équipements de protection sont inefficaces. »
Enfin, dernier point d’inquiétude, celui de la mesure de la vitesse du vent. Actuellement, les pesticides ne peuvent être pulvérisés que si la force du vent est inférieure à 3 sur l’échelle de Beaufort (de 12 à 19 km/h, environ). Le gouvernement a présenté un texte fixant la vitesse à 19 km/h pendant 10 minutes. Une mesure beaucoup plus précise et difficile à mesurer qui ne satisfait personne. « Nous voulons garder la même limite que dans le texte actuel », demande Nadine Lauverjat. Idem pour la FNSEA… Mais elle souhaiterait en plus des « dérogations pour tenir compte de l’évolution des techniques qui permettent d’éviter la dispersion malgré le vent », signale Éric Thirouin. « Cela reviendrait presque à supprimer la limite », craint-on à Générations futures.


Que va-t-il sortir de ces discussions ? Tout devrait se jouer dans le bras de fer entre ministère de l’Agriculture et ministère de l’Environnement. Ce dernier, qui plaide pour une amélioration de la protection face aux pesticides, semble en position de faiblesse. « Le ministère de l’Environnement avait l’air dépité lors de notre rendez-vous », note Nadine Lauverjat. De son côté, le ministère de l’Agriculture apparaît coincé par les pressions de la FNSEA. « Le ministère de l’Agriculture lui donne une position de force depuis cinq ans, ils n’avaient qu’à se questionner avant », déplore Emmanuel Aze.
Le résultat des négociations devrait être connu d’ici fin octobre. Ensuite, le décret sera soumis à consultation de l’Union européenne et du public, avant d’être enfin promulgué. « Le casse-tête de ces réglementations sur les zones non traitées découle du fait que l’on maintient l’autorisation pour des produits cancérigènes, mutagènes et reprotoxiques, fait remarquer Emmanuel Aze. Or la société va demander de plus en plus de protections vis-à-vis des pesticides. Nous plaidons donc pour leur abandon, mais avec l’accompagnement technique et économique nécessaire, pour que le poids de la sortie des pesticides ne repose pas sur les seuls paysans. »