Souvenirs d’une nuit de terreur en Palestine
Caco Schmitt 28/02/2020 |
Il est deux heures du matin dans la nuit de dimanche à lundi à Ramallah, capitale provisoire de la Palestine. Je suis réveillé par un bruit de bagarre et d’altercations. Étrange.
Tradotto da Dominique Macabies
Editato da Fausto Giudice
Pendant 12 nuits, j’ai dormi dans cet hôtel d’un quartier élégant et je n’ai jamais entendu de bruits la nuit. Il y a peu de clients et personne n’est jamais arrivé ivre, en parlant fort. Je m’assois sur le lit, face à la porte et le dos à la fenêtre.
Le boucan devient plus fort, avec des bruits d’objets cassés, des cris. Je me dis : c’est eux ! Une forte détonation le confirme. La porte est enfoncée et quatre soldats de l’armée israélienne entrent dans la chambre en criant et avec des mitraillettes et des fusils pointés sur moi. Je lève les mains, je ferme les yeux et je reste immobile pendant quelques secondes interminables. Ils crient des mots dans une langue qui m’est incompréhensible, la pointe de leur fusil touchant ma poitrine. Je pense : ils vont me tuer ! Mais je n’entends aucun coup de feu.
J’ouvre les yeux et je commence à dire à haute voix : Brésil (avec un accent usaméricain), Brésil ! Brésil ! Les cris s’arrêtent, mais les armes sont toujours pointées. Je me rends compte de ce qui se passe. Devant moi se trouvent deux soldats masqués, armés jusqu’aux dents. Au pied du lit, un autre soldat ; derrière, le quatrième soldat masqué avec son fusil me pique le dos. La porte ouverte, je vois dans le couloir du quatrième étage une douzaine de soldats, des chiens, d’énormes masses brisant les portes, des hommes arrachés de leurs chambres.
Brésil, Brésil, Brésil… Voici un cinquième soldat, je remarque que son masque est différent, il a un autocollant de tête de mort effrayant, il tient un chien, il porte aussi un masque à gaz avec tête de mort collée dessus. Il sort, les armes restent pointées sur moi, les masses cassent tout, jusqu’à ce qu’un sixième soldat apparaisse, un petit, et me demande dans un portugais cassé : « Que faites-vous ici ? » Je réponds : « Je suis un journaliste brésilien, nous sommes en train de filmer la Palestine. » Il me fait face, m’ordonne de m’habiller – je n’étais qu’en sous-vêtements – et j’obtempère rapidement avant de me rasseoir sur le lit.
II
La pointe de la mitraillette me pique le dos plusieurs fois, je ne me retourne pas. Le petit gars sans masque me fait signe de me lever, ce que je fais sans respirer pour ne pas avoir l’air de réagir. Deux d’entre eux commencent à me pousser de la pointe de leur fusil. Les quatre appartements de mon aile de l’hôtel, deux de chaque côté du couloir, sont retournés par des soldats, les murs et les revêtements sont cassés, des cris, des masques et des chiens. J’arrive à l’ascenseur, on me pousse dans le dos et on me fait descendre les escaliers, accompagné de deux soldats masqués.
En descendant les escaliers, je pense à tout ce que j’ai vu pendant les 12 jours où nous étions en Palestine occupée à tourner des scènes pour le documentaire A Palestina Brasileira (La Palestine brésilienne), du réalisateur et scénariste Omar Luiz de Barros Filho, produit par CenaUm Produções. Entrer en Israël, le 26 octobre 2016, a été extrêmement difficile, à commencer par notre atterrissage à l’aéroport Ben Gourion, qui se trouve entre Tel-Aviv (20 km) et Ramallah (50 km).
Interrogatoires au comptoir des douanes, suspicion, atmosphère tendue. Un membre de notre équipe a tenté de faire un selfie et un soldat israélien est venu l’interroger. De l’aéroport à Ramallah, premier signe de l’occupation militaire : deux postes de contrôle, mais nous sommes passés librement ; dans ces lieux seuls ceux qui viennent de Palestine sont soumis à la fouille. Dans les environs de Ramallah, premier grand choc : des murs construits par Israël et un méga checkpoint contrôlant entrées et sorties. Les Palestiniens qui doivent se rendre à Tel-Aviv, et veulent utiliser cette route, doivent attendre des heures dans les files aux points de contrôle et beaucoup sont obligés de rentrer. La circulation en voiture sur cette route et sur d’autres routes contrôlées par l’armée israélienne est réservée à ceux dont le véhicule porte une plaque jaune.
Notre équipe, même si nous avons utilisé une voiture de location avec une plaque d’immatriculation jaune, a été bloquée lorsque nous avons essayé de quitter Ramallah pour nous rendre à l’aéroport Ben Gourion lors de notre retour au Brésil. Le soldat a affirmé qu’il y avait beaucoup de bagages et que nous devrions passer par un autre point de contrôle.
III
Il s’avéra plus difficile de sortir d’Israël que d’y entrer. Nous avons pris une autre route, un détour long et inutile vers l’un des points de contrôle d’accès à Jérusalem. Un nouveau point de contrôle, des questions, puis nous nous sommes dirigés vers l’aéroport. À l’entrée de l’aéroport Ben Gourion se trouvait un autre grand point de contrôle, avec une fouille, des explications, encore une fois en présentant des passeports, des billets, etc. Ouf ! Nous sommes arrivés à la salle d’embarquement. Nous sommes libres !
Déception : près des comptoirs d’enregistrement, les pires de tous, se trouvaient des soldats et des agents du Mossad, le service secret créé en 1949, un an après la fondation de l’État d’Israël. Des interrogatoires plus lourds, plus agressifs, des explications, des étiquettes séparant nos bagages pour un contrôle spécial. Bien sûr, nous avions déjà été identifiés à notre entrée en Israël et lors du tournage de chaque conflit auquel nous avons assisté, et surtout au moment de l’invasion de l’hôtel, deux jours avant notre retour.
Mais le départ d’Israël ne s’est pas arrêté à ce point de contrôle sans précédent à l’intérieur d’un aéroport, à dix mètres du comptoir d’enregistrement. Une fois les billets émis, nous avons été emmenés dans un sous-sol où des machines spéciales ont enregistré nos bagages à main. Des soldats et un vieil agent du Mossad étaient assis et observaient. Ce monsieur a été intrigué par notre réflecteur d’éclairage électrique qui, lorsqu’il n’était pas utilisé, se transformait en un cercle de la taille d’une pizza familiale. Nouvelles explications, il pourrait s’agir d’un explosif plastique. Nous avons décidé de leur laisser notre outil de travail …
Nous sommes passés à la zone d’embarquement. Nouveau retard. Parce qu’il avait un appareil photo à la main, l’un des directeurs photo de l’équipe a été contraint de se mettre dans une file séparée, fouillé, obligé de rester dans une sorte de mystérieuse et dangereuse cabine à rayons X. Après avoir quitté la cabine, il a voulu poursuivre son voyage, mais a été contraint de rester en « quarantaine » pendant 20 minutes afin de ne pas exposer à des radiations le personnel de l’aéroport. Nous avons failli manquer le vol, mais l’avion nous a attendus sur la piste. Un employé de l’aéroport nous a emmenés en courant jusqu’à la porte d’embarquement au niveau de la passerelle. Mais l’appareil photo a été retenu parce qu’on le soupçonnait de contenir des explosifs et n’a pas été rendu à ce jour. Perte de valeur. Récupération remise aux calendes grecques : pas avant la fin de l’occupation illégale de la Palestine et de l’apartheid.
IV
À chaque marche d’escalier menant à la réception de l’hôtel au rez-de-chaussée, escorté par deux soldats armés et masqués, sans savoir où ils m’emmenaient, j’ai repensé à chaque mouvement que nous effectuions sur le territoire palestinien, en rendant visite à des familles de Palestiniens émigrés au Brésil et à des Brésiliens venus ici à la recherche de leurs racines. Nous avons parcouru le territoire du nord au sud. Nous sommes allés à Naplouse, au nord ; à Jéricho, à la frontière avec la Jordanie et près de la mer Morte ; au centre, à Jérusalem et à Bethléem ; et, au sud, à Al Khalil, aussi connue sous le nom d’Hébron. Pendant quelques jours, nous avons fait l’intense expérience de ce que le peuple palestinien vit en permanence.
La plupart des Palestiniens restent dans leurs villages, des petites localités proches les unes des autres ; de temps en temps ils vont à Ramallah, ou dans les grandes villes. Il est toujours compliqué de voyager à travers un territoire occupé par les militaires. Les postes de contrôle, les réactions imprévisibles des soldats israéliens arrogants et nerveux, les retards, les agressions, les fusillades, les grenades lacrymogènes et les arrestations arbitraires sont la norme. Même le vendredi, lorsque des milliers de personnes se rendent à Jérusalem, pour prier à la mosquée sacrée Al Aqsa – contrôlée par les soldats aux portes de la vieille ville ouvrant accès à la mosquée – chaque mouvement est surveillé par des hélicoptères.
Le deuxième jour de tournage, nous sommes partis tôt pour Kafr Ni’ma, terre des protagonistes du documentaire. À côté se trouve le village palestinien de Bil’in. À moins d’un kilomètre de Bil’in, se trouve une énorme colonie juive, Kiryat-Sefer (« Ville de livres »), avec des dizaines de hauts bâtiments, protégés par un mur gigantesque. Corps étranger au paysage de basses montagnes, d’oliviers et de maisons à deux étages maximum. Dans la moitié du territoire qui appartient aux Palestiniens par décision du fameux (et non respecté) Plan de partage de la Palestine de l’ONU de 1947, Israël a envahi et construit plusieurs « implantations » [terme officiel pour désigner les colonies, NdE] comme celle-ci : ce sont en fait des villes illégales en terres palestiniennes. Après avoir photographié les murs et les points de contrôle pour le film, c’est la première fois que les forces israéliennes ont lancé des grenades lacrymogènes contre les manifestants et l’équipe du film.
V
Le vendredi en Palestine est le jour de protestation contre l’occupation militaire. Nous avons accompagné une manifestation, avec la présence de militants de plusieurs pays, devant la porte de la grande muraille. L’armée a lancé des grenades lacrymogènes à effet dissuasif. Tout le monde s’est mis à courir. Ensuite, les soldats sont restés en position de tir jusqu’à ce que les manifestants reviennent au point de départ de la manifestation, à environ 400 mètres du mur.
Je me souviens de l’affrontement qui a eu lieu lorsque nous avons quitté Ramallah pour Jérusalem, au checkpoint de Qalandiya, un ancien camp de réfugiés devenu un quartier populaire. Nous avons filmé les files d’Arabes qui passaient à pied pour entrer par la barrière du checkpoint, remonter dans leur bus de l’autre côté. Et nous avons filmé l’entrée et la sortie des voitures. Alors que nous approchions des postes de contrôle, deux soldats ont pointé des fusils sur nous. Plus tard, nous avons commencé à filmer les piétons et une voix dans un mégaphone a crié du haut d’une tour de contrôle : « Que se passe-t-il là-bas ? » La quatrième fois, la phrase était accompagnée de menaces que nous ne comprenions pas, mais qui – nous avons joué la sécurité – nous ont obligés à nous retirer.
Filmer dans les territoires palestiniens occupés est dangereux. Si vous levez la caméra et la pointez sur les soldats, ceux-ci peuvent tirer et prétendre que votre caméra pourrait être une arme à feu. Tout doit être fait avec une grande prudence. Et ceci à l’intérieur du territoire palestinien reconnu par l’ONU, et qui sur les cartes (pas toutes) apparaît comme Cisjordanie ou Israël.
VI
Un jour, nous avons pris l’autoroute 60, à deux voies et bien asphaltée, en direction de Jérusalem et de Bethléem. Sur une distance de 10 km, seules circulaient des voitures arabes avec des plaques blanches. Sur cette route, nous avons passé un poste de contrôle d’un type très différent. Avec une tour d’observation, un drapeau israélien et des soldats, ils n’arrêtent pas régulièrement les voitures, mais lorsqu’ils le jugent nécessaire, ils mettent rapidement en place une barrière pour empêcher les véhicules de circuler.
Drones et satellites sont utilisés pour surveiller tout ce qui bouge. Dans tout le territoire palestinien, il existe ce genre d’installations prêtes à bloquer tout mouvement. Dans chaque coin, vous pouvez voir des ballons dirigeables avec des caméras qui surveillent tout, des hélicoptères en patrouille, des tours d’observation. Et cela relativement loin de la bande de Gaza.
Au hasard de nos allées et venues dans les villes et villages visités, y compris la capitale Ramallah, nous passions toujours par des points de contrôle, avec des soldats armés sur le qui-vive (effrayés, ils ont peur). À proximité des villages et des villes connus pour leur résistance à l’occupation, les tours d’observation et de contrôle de l’armée israélienne surveillent tous les mouvements sur les autoroutes. Lorsque nous sommes allés filmer les montagnes dans certaines de ces zones, nous avons été observés par les soldats. À chaque étape, un soldat. Parfois, ils bloquent l’accès secondaire aux villages avec des blocs de béton, pour empêcher le passage des véhicules et concentrer l’observation sur l’accès principal au village. Nous avons ressenti cette pression pendant nos deux semaines passées en Palestine ; elle est constante et croissante. Le peuple palestinien ressent cette même pression depuis plus de 80 ans.
VII
Arrivé dans le hall de l’hôtel (des soldats m’y avaient amené de ma chambre) j’ai vu un groupe d’employés palestiniens de l’hôtel, tous assis sur des chaises et des fauteuils disposés en fer à cheval. Soulagement : cela signifiait que je devais d’abord passer par un filtre, et non être emmené immédiatement vers un lieu incertain. Parmi les personnes arrêtées dans le hall se trouvaient le réalisateur du film, Omar Luiz de Barros Filho, et le directeur de la photographie, Ivo Czamanski. Ils étaient assis, silencieux, l’air inquiet comme tout le monde dans le hall. Le groupe était gardé par une quinzaine de soldats israéliens, tandis que beaucoup d’autres couraient dans les escaliers, certains avec des marteaux de forgeron, d’autres avec des scies électriques et tous avec des armes.
Nos passeports ont été confisqués et chacun d’entre nous a été photographié, filmé et interrogé. Comme j’avais déjà parlé au gars de petite taille dans la chambre, ils n’avaient plus que deux ou trois questions à me poser. J’ai vu qu’il y avait des soldats de l’armée, des policiers en civil et des agents du Mossad, dont celui chargé de l’opération, un homme aux cheveux gris avec une tête de rat. À l’intérieur de l’hôtel, je crois, 40 hommes ont participé à cette opération dont personne ne pouvait déterminer l’objectif. Essayaient-ils de nous intimider, de récupérer le matériel filmé ? – Après tout, nous avons eu plusieurs contacts avec les militaires et ils ont suivi chaque étape de notre équipe près des postes de contrôle, des murs et dans les manifestations. Dans ce cas, ils étaient confrontés à une impasse, car la veille, un ami palestino-brésilien avait apporté au Brésil tous nos principaux fichiers numériques, avec tout ce que nous avions enregistré auparavant avec nos deux caméras.
VIII
J’ai commencé à revivre mentalement nos deux voyages à Jérusalem. Le vendredi, nous avons filmé le mouvement autour de la mosquée Al Aqsa pendant la journée sainte dans cette ville – sainte pour les musulmans, les chrétiens et les juifs. À Al Aqsa, il y avait plus de 300 000 musulmans, plus des soldats israéliens qui ouvraient de grands yeux, des hélicoptères, des portes gardées. Nous étions tous là après être passés et avoir été identifiés et fouillés aux points de contrôle entourant la ville. Le dimanche 6 novembre 2016, quelques heures avant l’invasion à l’hôtel, lors de notre deuxième visite à Jérusalem, nous avions eu un autre incident grave avec l’armée israélienne. Après avoir filmé la ville, nous avions l’intention de retourner à la mosquée Al Aqsa, où des personnalités religieuses musulmanes nous attendaient. Sur la route indiquée par le producteur, un Palestino-Brésilien, nous avons tous été refoulés et envoyés vers une autre voie d’accès. Nous y sommes allés jusqu’à ce que nous tombions sur un point de contrôle à l’intérieur d’un des couloirs de Vieille la ville. Comme notre producteur et interprète était d’origine palestinienne, la police l’a renvoyé en disant qu’il ne passerait pas par là. Nous nous étions identifiés comme journalistes, mais avons néanmoins été détenus pendant plus d’une heure. Nous avons essayé de renoncer à entrer et leur avons dit que nous voulions simplement retourner là où nous étions, mais la police nous a quand même arrêtés. En d’autres termes, ils ont refusé de nous laisser partir tant qu’ils n’auraient pas découvert ce que nous faisions là. Le directeur Omar Luiz de Barros Filho a ensuite été conduit dans une caserne de police, où il a été soumis à un nouvel interrogatoire.
C’est ainsi qu’il a été contraint de signer un engagement écrit en hébreu qui interdisait les interviews ou l’utilisation de projecteurs et toute utilisation de magnétophones. C’est seulement de cette façon que nous avons été libérés de ce barrage et sommes entrés sur la place où se trouve le Mur des Lamentations. De là, nous avons continué notre progression, à travers les rues, vers la mosquée. Là, la police israélienne nous a encore une fois interdit d’aller au-delà de son contrôle. Nous avons une dette envers nos spectateurs, car nous n’avons rien pu filmer de l’intérieur d’Al Aqsa, nous n’avons pris que des plans généraux depuis un terminal touristique.
IX
Même si j’envisageais toutes les possibilités de tournure finale de cette opération militaire, j’étais tranquille car tout le matériel filmé jusqu’à ce moment était en sécurité, conservé dans la maison d’amis. Et j’étais encore plus tranquille quand j’ai vu le quatrième membre de l’équipe, le directeur de la photographie Juliano Ambrosini, descendre les escaliers, escorté par deux soldats armés, et rejoindre le groupe de détenus dans le hall.
Mon inquiétude s’est accrue lorsque j’ai imaginé quel serait notre destin. L’un des responsables de l’opération a dit, en anglais, que tout était presque terminé, que l’opération serait bientôt finie. Mais le va-et-vient des soldats a continué, en grande partie déterminé par les explosions de grenades à l’extérieur de l’hôtel. Puis nous avons appris que le mouvement des troupes israéliennes avait attiré l’attention des habitants de Ramallah, et de nombreux Palestiniens étaient venus protester aux alentours de l’hôtel. L’armée a lancé des grenades pour intimider et disperser la foule.
Peu de temps auparavant, dans les rues de la ville, la résistance palestinienne a lancé des bombes artisanales sur les véhicules blindés israéliens qui entouraient encore l’hôtel où nous étions hébergés. Après tout, une armée d’un autre pays menait une opération militaire illégale, une invasion nocturne, presque au centre de la capitale palestinienne. Quelques minutes plus tard, le même officier est entré de nouveau dans le hall et a prononcé la grande phrase de la nuit : « No panic, no panic ». Comment ne pas paniquer ? Si le conflit s’aggravait avec les Palestiniens dans la rue, des coups de feu seraient tirés. Si quelqu’un dans le hall bougeait et que le geste était interprété comme une riposte, des coups de feu seraient tirés. La seule pensée des balles perdues et des actions incontrôlées des soldats, phénomène courant en Palestine, enveloppait le hall de panique. Jusqu’à ce que, plus tard, le grand patron dise finalement qu’ils battaient en retraite… Un sentiment de soulagement envahit le hall, bientôt interrompu par l’entrée de l’homme gris au visage de rat du Mossad. « Video, video». Nouveaux papillons dans le ventre. Ils voulaient nos images, pensais-je, mais heureusement, ils s’intéressaient aux images des caméras de sécurité de l’hôtel. Ils ont pris les ordinateurs et ont commencé à partir. Pendant quelques minutes, tout le monde est resté assis là, nerveux. Jusqu’à ce que le premier se lève et commence à protester. Je suis monté dans la chambre et j’ai commencé à rassembler les quelques vêtements éparpillés sur le lit et par terre. Le coffre-fort était ouvert, mais rien n’avait été pris. Dans la chambre de notre directeur, une hache avait fracassé le mur jusqu’à la hauteur du plafond. J’ai regardé le téléphone portable : plus de cinq heures s’étaient écoulées depuis le début, le jour était presque levé…
X
Quatre heures après cette nuit de terreur, nous nous sommes dirigés vers Al Khalil (Hébron), ville habitée sans interruption depuis plus de cinq mille ans. Notre dernier lieu de tournage en Palestine. En chemin, nous avons remarqué qu’il y avait plus de véhicules blindés de l’armée israélienne dans les rues et sur les routes. En chemin, nous avons traversé plusieurs routes et vu de nombreux véhicules arrêtés en position d’observation. On avait le sentiment que quelque chose de grave allait se passer dans le territoire et, de ce fait, vigilance accrue. Lorsque nous sommes arrivés à Al Khalil, nous avons dû faire marche arrière sous observation de deux véhicules militaires, attentifs à toute manœuvre.
Hébron est un cas particulier. Aux dires des relations publiques de l’administration palestinienne sur place, deux mille soldats israéliens surveillent la région. Ils ont créé des zones où seuls les Juifs entrent et d’autres où seuls les Palestiniens circulent. Tout cela à cause de la mosquée d’Ibrahim [Abraham], qui abrite le Tombeau des patriarches des trois religions musulmane, juive et chrétienne. Pour filmer, nous avons dû passer, à grands frais et grâce à la pression de l’administrateur de la ville historique, par un obscur poste de contrôle enterré dans les couloirs du marché public, qui donne accès à la porte principale de la mosquée. Toute personne souhaitant prier à la mosquée est obligée de passer par ce point de contrôle. Tout autour, des soldats surveillent la zone.
Après la mosquée, nous nous sommes rendus au camp de réfugiés de Faouar, l’un des plus anciens de Palestine, où nous avons enregistré des scènes et des témoignages pendant que deux hélicoptères survolaient la zone. Dans ce dernier lieu de tournage, nous avons entrevu le condensé de toute la situation en Palestine : des gens qui ont été forcés de quitter leur foyer, qui ont vécu pendant des décennies entourés, isolés et gardés sur leur propre terre. J’ai pensé, après la nuit d’angoisse dans notre hôtel, que ce sont les Palestiniens – eux qui résistent encore dans les camps de réfugiés et vivent dans les villes encerclées – qui vivent, à ce jour, une longue nuit de terreur !