Les Sous neufs de l’Empereur La révolution monétaire d’après le Covid-19
Leopoldo Salmaso 26/03/2020 |
Nous espérons pouvoir bientôt raconter cette nouvelle version d’une vieille fable.
Tradotto da Fausto Giudice
Dans les textes d’enseignement de l’économie, le printemps 2020 marque la fin de la rareté monétaire, d’abord en Europe, puis dans le reste du monde.
Tout s’est passé selon un processus spontané et naturel que seuls quelques-uns des inconnus reconnurent d’emblée, témoins impuissants du fiasco de leurs armes classiques : ni l’hypnose médiatique ni la répression policière ne purent empêcher le développement autonome des événements. Cela aurait été comme essayer d’arrêter la pluie ou, justement, le retour du printemps après un hiver économique prolongé et dur avec tous les artifices financiers, communicationnel, politiques et militaires possibles.
La « monnaie dette » de sinistre mémoire 1 avait été l’outil sournois et mortel pour asservir les individus, les entreprises et les nations du nord et du sud du monde. Seuls quelques États rebelles, dits « États voyous » 2 , s’y étaient opposés, mais avaient été ramenés dans le giron « à la manière douce » (sanctions économiques et coups d’État télécommandés) « à la manière forte » (bombardements, invasions, pendaisons ou lynchages exemplaires des chefs rebelles).
Un contrôle mondial aussi efficace et omniprésent semblait destiné à se consolider toujours plus, mais il s’effondra en peu de temps, en raison des mêmes mécanismes qui l’avaient garanti jusqu’alors. Tout a dérapé en raison de la propagation quasi-épidémique d’un virus, le Covid19, légèrement plus mortel que la grippe saisonnière ordinaire. Le premier foyer d’épidémie s’est manifesté en Chine, et aurait été résolu comme un « feu de paille » comme cela s’était déjà produit en 2002 et 2012 avec des virus de la même famille. Mais cette fois, les maîtres du monde voulurent en faire trop. Ils voulaient profiter de l’occasion pour renvoyer au chenil le géant asiatique qui revendiquait une place de plus en plus importante dans le concert mondial. Ils déchaînèrent donc leurs médias et, dans un intervalle de temps qui fait encore aujourd’hui la fortune des astrologues (exactement entre le Nouvel An occidental et le Nouvel An chinois), la peur et la haine mondiales se concentrèrent sur la Chine, la mettant au tapis économiquement. Pendant quelques mois.
Mais la première crêpe n’est jamais la meilleure : ce virus, et plus encore les médias, se comportèrent comme un boomerang qui revient et frappe le chasseur avec un effet bien plus dévastateur que sur la proie.
Le chasseur fut frappé en plein nez (l’Italie) : il y avait une légère hémorragie qui pouvait être résolue avec un simple tampon. Au lieu de cela, c’est à ce moment-là que l’erreur fatale fut commise, imposée par le sadomasochisme structurellement inhérent à ce système de pouvoir : le chasseur ne semblait pas vouloir rater l’occasion de donner une bonne leçon à son propre nez, qu’il considérait toujours trop long et trop large, disgracieux, impertinent au point de vouloir rivaliser avec les nez français ou les parfaites pyramides nasales teutoniques …
À vrai dire, depuis au moins cinquante ans, le chasseur avait entrepris une série d’opérations de liposuccion sur son corps, et en particulier sur ce gros nez, mais l’occasion se présentait maintenant pour une intervention plus radicale, et il procéda sans hésitation ni doute sur d’éventuelles contre-indications. Après tout, une cryothérapie similaire avait « très bien fonctionné » cinq ans plus tôt sur le menton la (Grèce) qui avait été « trop arrogant ».
Eh bien, avant que l’équipe ne commence l’intervention proprement dite, il suffit d’anesthésier le nez pour que les événements se déroulent de façon autonome, bien sûr, en quelques minutes…
Terminons cette métaphore et revenons à la réalité : ce n’étaient pas quelques minutes mais quelques semaines. Quelques-unes, mais suffisantes pour faire tomber tout le château de cartes du système financier-monétaire mondial.
Les frontières de l’Italie furent scellées, les écoles et les lieux de rencontre fermés ; seules les activités productives essentielles restaient en activité. 60 millions de citoyens étaient confinés à la maison, avec la permission de sortir uniquement pour faire des courses ou pour d’autres besoins impératifs.
La décision de ces mesures fut difficile à prendre pour les dirigeants italiens, mais dans l’ensemble, elle s’avéra facile à mettre en œuvre et à appliquer, avec beaucoup de récriminations mais peu d’incidents dignes d’intérêt. La psychose collective avait été prise en compte, elle faisait même partie intégrante du plan : non seulement renvoyer la Chine au chenil mais aussi, et surtout, faire en sorte que les citoyens occidentaux soient de plus en plus effrayés, donc de plus en plus dociles. D’ailleurs, un principe incontesté régnait en Europe : en punir un pour éduquer cent !
Bref, tout semblait aller encore mieux que prévu, et au contraire, le caractère autodestructif de toutes ces manœuvres commença à se révéler lorsque le gouvernement italien fut contraint de prendre des mesures urgentes tous les jours, plusieurs fois par jour, pour colmater les fuites qui s’ouvraient progressivement dans tout le système -pays, avec un effet domino inexorable. Pour ne citer que quelques étapes : la fermeture des écoles entraîna une augmentation du nombre de congés parentaux pour s’occuper des enfants ; la suspension des activités sociales paralysa une grande partie du secteur tertiaire ; la suspension ou la réduction des activités productives non essentielles toucha le secteur secondaire, et aussi en partie, le secteur primaire.
Je laisse de côté les étapes intermédiaires et j’en arrive immédiatement à la conclusion : l’économie réelle subit un ralentissement spectaculaire, mais s’adapta spontanément et rapidement aux nouveaux équilibres imposés par les besoins essentiels. En effet, de nombreux auteurs ont relevé des secondaires importants et durables, tant individuels que sociaux et environnementaux, sans aucun doute positifs.
La finance s’est effondrée, et je ne fais pas référence aux cours de la bourse, mais à quelque chose de bien plus fondamental. En fait, tout put être arrêté ou réduit, sauf le paiement des salaires. Et la perception des taxes et des droits dut également être suspendue pro tempore, d’abord dans des secteurs restreints, puis de plus en plus larges et enfin, après quelques jours seulement, dans tous les secteurs.
Alors que ces mesures calmaient les esprits en Italie, le mécontentement s’accru dans le reste de l’Europe, avec des récriminations et des accusations, des menaces et des ultimatums croisés entre Rome, Bruxelles, Paris et Berlin. Le cartel de Visegràd criait plus fort que les autres, tandis que la troïka (BCE, FMI, Commission) est restée sur la touche aussi longtemps qu’elle a pu. Les grands médias, ne pouvant ignorer ce raffut, suivirent la stratégie classique consistant à déplacer continuellement l’attention sur les questions marginales, de sorte que l’on débattait de tout sauf des salaires et des impôts. En Italie, les salaires continuaient à être versés, et les impôts n’étaient pas perçus, dans un strabisme européen collectif où les Italiens jouaient réellement, et maintenant par obligation, le rôle qui leur était jusqu’alors attribué selon des stéréotypes plus ou moins fondés : celui des cigales.
Le fait est que la BCE se taisait et payait. Faisait des reproches et payait. Elle lançait des ultimatums payait…
Pendant ce temps, les foyers d’épidémies se multipliaient en Europe et aux USA, pas assez pour égaler les taux de mortalité que la grippe saisonnière ordinaire provoque chaque année, mais plus qu’assez pour alimenter la guerre de tous contre tous, dans une sorte de jeu des quatre cantons où l’accusateur d’hier devenait l’encenseur d’aujourd’hui : un scénario d’apparence comique, mais d’ essence tragique.
Puis, au bout de trois mois, la virose s’est éteinte, à tel point qu’aujourd’hui elle n’est plus mentionnée que dans les textes ultra-spécialisés de la médecine et des sciences biologiques. Mais tout élève du secondaire sait ce qu’est le « Printemps 2020 ». Il ne comprend peut-être pas bien quand ses parents parlent de l’époque où il fallait travailler dur pour payer le loyer ou l’hypothèque et autres dîmes étranges, mais quand on l’interroge, il répond comme un perroquet : « Le printemps 2020 a marqué la fin de la pénurie monétaire ! » Pourquoi ? Parce qu’un tiers des Européens se sont trouvés contraints d’être des cigales, peut-être pas pendant trois mois comme les Italiens, mais suffisamment longtemps pour que tout le monde, cigales et fourmis de toute l’Europe, se rende compte que les salaires, les impôts, les hypothèques, les factures n’étaient pas payés avec des pièces d’or, métal vraiment rare, ou même plus avec des billets de banque : ils étaient payés avec les électrons d’un système informatisé.
Et on peut dire ce qu’on veut sur les électrons, sauf qu’ils sont rares !
– « Oui, j’avoue que moi aussi, à l’époque, je jetais le carnet au visage des élèves s’ils ne répondaient pas à l’examen : « les électrons qui circulent dans le système bancaire informatique mondial remplissent la même fonction que l’or dans le passé, ils doivent donc être rares» !
– « Nous étions tous comme ça : à moitié drogués et à moitié victimes de chantage, sinon tu pouvais toujours rêver d’une chaire de professeur d’université ! Aujourd’hui, ils pensent que vous êtes fou si vous dépoussiérez une vieille théorie économique, alors qu’avant 2020, quiconque remettait en question le « sacro-saint principe de la rareté monétaire » était considéré comme fou ».
Ce château de cartes s’est effondré parce que les Européens, grâce à cette épidémie de médiatico-virale, ont fait une série d’expériences concrètes et collectives qui ont nié catégoriquement trois siècles de théories et de pratiques monétaires.
Au début, ils ont constaté que l’économie réelle, bien que temporairement réduite de moitié, fonctionnait bien. Dans l’intervalle, leurs revenus, multipliés par la suspension des impôts et de nombreux autres paiements, ainsi que par l’effondrement des dépenses somptuaires et consuméristes, leur permirent de mettre de côté en un mois ce qu’ils n’avaient pas pu épargner en un an. Une autre agréable surprise arrive à l’été, lorsque tout le monde put s’offrir de longues et confortables vacances en famille ou entre amis, grâce à une partie de l’argent mis de côté au printemps.
Les avertissements des Cassandre, BCE en tête, sous la forme d’un « retour à l’époque de l’inflation à deux chiffres » n’avaient aucune valeur. Au contraire, plus les Cassandre faisaient rage dans les médias, plus les travailleurs élevaient des barricades pour défendre les bénéfices (ré)acquis, et moins l’inflation augmentait. Avec le recul d’aujourd’hui, les « experts » de l’époque étaient soit clairement confus, soit réticents, s’accrochant en tout cas obstinément aux dogmes de la « monnaie dette ».
– « Aggripés par amour ou par force, avec les diktats du FMI, et avec le fusil de l’OTAN sur leurs tempes ! Il faut dire que ce virus était effectivement « providentiel » car il a paralysé les USA dans les mois qui ont suivi, nous permettant de nous libérer du vieux joug. Aujourd’hui, le dollar est l’une des nombreuses devises du panier mondial, et les citoyens usaméricains eux-mêmes s’en réjouissent, mais leur « État profond » était alors prêt à déclenché une guerre mondiale pour défendre le monopole du dollar…»
– « Oui. Le FMI a donc dû admettre ce qui est universellement admis aujourd’hui : que l’inflation ne vient pas du tout d’un excès d’argent mais d’une pénurie de biens et de services essentiels. Et que dans la catégorie « essentielle », tout ce qui satisfait non seulement les besoins physiques, mais aussi psychologiques, sociaux et esthétiques des personnes et des groupes organisés peut être bien inclus.»
Aujourd’hui, avec une économie durable à 95%, il n’y a pratiquement aucune limite à la production de biens et de services. La robotisation généralisée nous permet de travailler quelques heures, quelques jours par semaine, et seulement par passion, par plaisir, ou du moins par choix. Une fois disparu le croque-mitaine de l’inflation, chacun d’entre nous perçoit le revenu de base universel inconditionnel, du berceau à la tombe, et les accusations d’ « être une cigale » n’ont plus lieu d’être car ceux qui veulent être une fourmi, même un peu, reçoivent des incitations monétaires plus que de généreuses (monnaie-crédit, sans taux d’intérêt).
– « Et vous vous souvenez des impôts ? Aujourd’hui, on les étudie comme un objet archéologique… »
– « En fait, la persistance jusqu’au XXIe siècle d’instruments aussi iniques socialement et même contre-productifs économiquement défie toute compréhension historique : elle ne peut s’expliquer que par une conception obstinée imposée et maintenue jusqu’au bout par des élites antidémocratiques. L’alternative la plus rationnelle, les surestaries [angl. demurrage, du vieu français demeurage, NdT]3 , avait déjà été expérimentée avec succès un siècle auparavant, et avec l’avènement des ordinateurs, cela pouvait être un jeu d’enfant, du moins depuis le premier jour de l’an 2000. Il a fallu du temps, mais aujourd’hui nous avons un monde plus juste, plus durable et plus pacifique. Et enfin, nous, les économistes, nous donnons du crédit aux pionniers 4 que, avant 2020, nous avons ignoré, voire dénigré… »
– « Béni soit le printemps 2020 !… Un virus peu pertinent dans l’histoire de la médecine a désintégré l’économie classique, simplement en révélant que l’empereur était nu ».
Notes
1- Jusqu’en 2020, toute émission de monnaie impliquait une dette mathématiquement insaisissable et inexorablement croissante.
3- La monnaie électronique, dès qu’elle est émise, commence à perdre de la valeur à un rythme intrinsèque, comme les éléments radioactifs. C’est-à-dire que la taxe est intrinsèque à chaque unité monétaire, au lieu d’affecter les activités productives.