« Je ne voulais pas mourir » : ces migrants qui ont choisi de rentrer chez eux
Mathieu Olivier 16 décembre 2017 |
Ils sont trois. Trois parmi tant d’autres, plus de 300 au total. Issa, Mamadou et Abdou* viennent de Conakry, en Guinée, ont tenté leur chance pour passer en Europe via le Mali puis l’Algérie ou la Libye, avant de finalement renoncer et de rentrer chez eux, pour « ne pas mourir ». Depuis quelques jours, ils sont de retour à Agadez, le corps et l’esprit meurtri. Reportage.
Ils ne se connaissaient pas à Conakry. Pourtant, tous trois auraient pu faire un bout de chemin ensemble. La vingtaine, ils partagent une passion pour le football et une histoire commune : celle d’avoir emprunté la route de la Méditerranée en espérant voir l’Europe et d’avoir choisi de renoncer. Sont-ils soulagés ? Sont-ils effrayés de retourner dans leur famille avec le poids d’un échec ? Les deux, sans doute. Ils ne le diront pas. La pudeur. L’envie de laisser derrière soi « une catastrophe », confiera Abdou.
Lui n’a pas connu la Libye. Il y a choisi la route algérienne. De Conakry, il a pris le bus, comme tant d’autres. De Conakry à Bamako, au Mali. De Bamako à Ouagadougou. De Ouagadougou à Niamey. De Niamey à Agadez, où il est arrivé, pour la première fois en mai 2017, allégé de quelques dizaines de milliers de francs CFA payés à la compagnie de bus Rimbo. Aux portes du désert, le regard tourné vers Alger, il patientera huit jours dans un « ghetto », une simple maison où les candidats à la migration attendent les passeurs.
Espoir à Tripoli
Est-ce le même ghetto qu’a fréquenté Mamadou ? Sans doute pas. Au minimum, Agadez en compte actuellement une centaine et ils étaient beaucoup plus nombreux les années précédentes. Toujours est-il que Mamadou a suivi le même trajet, dans une compagnie de bus privée dont il ne se souvient plus du nom. Lui aussi a connu le « ghetto », avant le grand départ. Il a choisi la Libye, au contraire d’Abdou. Le trajet est plus cher, mais les ports de la Méditerranée semblent plus susceptibles de l’amener en Italie.
Avec 24 personnes, Abdou finit par embarquer, moyennant 180 000 francs CFA (274 euros). Il a le sourire aux lèvres : son passeur lui a « accordé » une ristourne de 20 000 francs CFA. Il passera cinq jours dans le désert. Mais il ne s’épanche pas. A-t-il entendu parler de personnes abandonnées dans les dunes ? « Oui », concède-t-il. Il n’ira pas plus loin. Son récit reprend à Tripoli, où il parvient une nouvelle fois à payer 500 euros. Le prix d’un passage par bateau vers l’Italie. Chaque jour, il espère prendre la mer. Mais rien ne vient. L’angoisse.
Tournés vers le Maroc
La voie algérienne est-elle plus fructueuse ? Issa ne serait pas de cet avis. Parti de Conakry pour Bamako, il a, au contraire de Mamadou et d’Abdou, continué sa route vers Gao. Un passeur l’a ensuite conduit vers Tamanrasset, en Algérie. Lui espérait aller directement à Alger, mais le conducteur en a décidé autrement, tout en ayant pris l’argent, plusieurs centaines de milliers de francs CFA.
Dans le sud algérien, il parvient à appeler sa famille, qui lui envoie une nouvelle somme. Nouveau passeur, nouveau deal : 35 000 dinars (256 euros) pour rejoindre le nord de l’Algérie. Issa finit par arriver à Alger. Il y restera dix mois, le regard tourné vers le Maroc. Son objectif : l’enclave espagnole de Ceuta. Comme beaucoup avant lui… Issa, Mamadou et Abdou avaient-ils plus de chances de se croiser à la frontière entre l’Algérie et le Maroc qu’à Conakry, leur point de départ ? Peut-être.
Aller… et retour
Tous trois tenteront le passage par les terres pour pénétrer le royaume chérifien. Abdou, après ses huit jours d’attente à Agadez, est lui aussi passé par Tamanrasset. Plusieurs fois rançonné, il est parvenu à remonter vers le nord de l’Algérie, après avoir travaillé et sollicité sa famille. Mais le Maroc se refuse à lui. À trois reprises, il est refoulé par des policiers algériens à la frontière. Il y perd chaque fois son argent, son téléphone. Désespéré, il prend la décision : il n’y aura pas de quatrième fois : Abdou va retourner vers Conakry.
Issa et Mamadou n’ont guère plus de chance. Mamadou a bien attendu son embarquement à Triplo mais celui-ci n’est jamais venu. Ses 500 euros se sont envolés avec le passeur. Venu en Algérie pour tenter sa chance côté marocain, il se heurte lui aussi à la frontière. C’en est trop. Sans argent, sans espoir, il prend lui aussi la décision du retour en Guinée.
Issa ne pourra guère davantage oublier ses « échecs » en Algérie. Il en garde les stigmates. Une cohabitation de cinq jours avec des policiers marocains. Issa a été tabassé et son argent s’est volatilisé. Aujourd’hui encore, la douleur le réveille chaque matin. Il espère se faire soigner à Conakry.
En bonne compagnie ?
Issa, Mamadou et Abdou, trois parmi tant d’autres, resteront-ils liés lorsqu’ils retourneront à Conakry ? Ils attendent ensemble, à Agadez, où la route du retour les a menés, dans le centre de l’Organisation internationale pour les migrations. Entre parties de football et de pétanque, ils patientent avant de prendre place dans le bus qui les ramènera à Conakry. Ils ont choisi de « ne pas mourir », explique Abdou.
Cette fois, ils ne paieront pas leur place dans l’autocar qui les attend. L’OIM prendra en charge leur retour. Agadez-Conakry, un voyage en sens inverse, pour Mamadou et Abdou. Mais une même compagnie : dans la cour du centre de l’OIM, en périphérie d’Agadez, entre le terrain de football et l’infirmerie, un autocar attend ses passagers. Le nom de la compagnie est inscrit en grand sur son flanc : Rimbo.