Après l’affaire Weinstein, voici comment il faudrait renforcer l’égalité entre les femmes et les hommes dans la culture
Danielle Bousquet 16/02/2018 |
L’affaire Weinstein, en révélant de nombreux cas de violences sexuelles ou sexistes, a libéré la parole des femmes à travers le monde et secoué le secteur des arts et de la culture, qui cultive d’ordinaire déni et omerta sur ce sujet.
Si de tels faits se sont produits, c’est parce que des inégalités flagrantes y demeurent entre les femmes et les hommes.
La découverte de ces inégalités n’est pourtant pas récente. Ce secteur avait déjà été bousculé en 2006 par le rapport rédigé par Reine Prat à la demande du Ministère de la Culture. Elle y dénonçait, statistiques à l’appui, des retards considérables en matière d’accès des femmes aux postes de directions, moyens de production et espaces de reconnaissance et de médiatisation. Ce rapport alarmait déjà sur les représentations stéréotypées des femmes dans bon nombre de productions artistiques.
En 10 ans, rien n’a bougé, ou presque. Les résistances persistent malgré les actions pédagogiques conduites, notamment par le mouvement HF (Hommes-Femmes), malgré les alertes régulières de la SACD (Société des Auteurs et Compositeurs Dramatiques), et malgré les constats publiés par le Ministère lui-même.
Pour ne citer que deux chiffres: aucune femme ne dirige de théâtre national ou de centre national de création musicale, 97% des groupes programmés par les grands festivals de musique sont composés exclusivement ou majoritairement d’hommes ; 85% des expositions-hommage dans les grands lieux d’exposition sont dédiées à un homme; 72% des avances sur recette du Centre national du Cinéma vont à des projets menés par des hommes; depuis sa création il y a 70 ans, le festival de Cannes a décerné seulement 1 palme d’or à une femme.
L’image des femmes dans les productions théâtrales, cinématographiques ou dans les jeux vidéo demeure restreinte à deux ou trois rôles stéréotypés: souvent belles, jeunes et sans ambition, ou bien méchantes et acariâtres.
En tant qu’artistes, les femmes – qu’elles soient photographes, réalisatrices, peintres, actrices, sculptrices, architectes, … – sont trop souvent oubliées, effacées et malmenées, malgré leur contribution au matrimoine français.
“Le seul critère de sélection, c’est le talent” disent les professionnel.le.s du secteur. Pourtant, le talent n’est pas un don reçu au berceau par quelques bénis des dieux, mais bel et bien une construction sociale. En raison du sexisme, les femmes ne reçoivent pas la même formation, n’ont pas accès aux mêmes réseaux ni aux mêmes moyens pour créer une œuvre, ne disposent pas du même temps pour préparer une exposition ou pour répéter, ni d’autant d’occasions de rencontres avec les publics ou avec des médias qui forgent la réputation… “On ne nait pas génie, on le devient”, disait Simone de Beauvoir. A moyens égaux, le talent le sera aussi!
Car c’est là tout l’enjeu: une distribution égalitaire entre les femmes et les hommes des financements publics, dans un secteur massivement soutenu (plus de 20 milliards d’euros en 2017). C’est un devoir démocratique.
C’est également un souci de cohérence et d’exemplarité, dans un secteur qui se présente comme émancipateur, visionnaire et progressiste, alors même que les femmes réalisatrices y gagnent en moyenne 42% de moins que les hommes.
Persuadé que seul un engagement politique ambitieux garantira le rééquilibrage paritaire à la tête des établissements culturels et l’égal accès aux moyens de production par les femmes et la réduction des représentations stéréotypées, le Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes publie aujourd’hui un rapport sur les inégalités entre les femmes et les hommes dans le domaine des arts et de la culture.
Pour répondre à ces enjeux, le HCE invite à déployer l’éga-conditionnalité des financements publics, à l’instar de l’éco-conditionnalité en matière de développement durable: car les finances publiques se doivent d’être exemplaires, aussi, en matière d’égalité entre les femmes et les hommes. Si des moyens mobilisés pour la mise en œuvre d’une politique sont inégalement répartis ou renforcent les stéréotypes de sexe, des malus devront être appliqués.
Dans la droite ligne de cette démarche, la ministre Françoise Nyssen a fait la semaine dernière des annonces inédites qui témoignent d’un engagement déterminé à faire reculer les inégalités, en prévoyant des malus financiers pour les organisations qui ne feront pas progresser la place des femmes dans leur programmation et leur direction, selon des objectifs chiffrés à définir.
Les inégalités dans le secteur des arts et de la culture sont connues. Des efforts ont déjà été réalisés. Nous souhaitons, avec volontarisme et enthousiasme que ce rapport provoque un sursaut nécessaire et vivement attendu.
Signataires: Danielle Bousquet, Présidente du Haut Conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes, Stéphane Frimat, Directeur de la Compagnie de l’Oiseau-Mouche et Anne Grumet, ingénieure culturelle, représentant.e.s du Mouvement HF au sein du HCE