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Kafr Qaddum, la résistance infatigable

french.palinfo 25/Octobre/2018
Pour la majorité des Palestinien-ne-s, les vendredis sont l’équivalent de nos dimanches. Mais dans les territoires occupés de la Cisjordanie et de Gaza, ce n’est pas souvent synonyme de repos.

La fin de la prière sonne l’heure de la résistance. A Kafr Qaddum, Khalil (Hébron), dans la bande de Gaza, à Ras Karkar, Bil’in et tant d’autres endroits, les drapeaux palestiniens s’agitent et les “shebabs” se préparent. “shebab”, c’est le mot arabe pour désigner les jeunes garçons, ceux qui prennent part aux manifestations dés leur plus jeune âge. La plupart se couvrent le visage, par peur d’être reconnus par l’armée israélienne et de la voir débarquer en pleine nuit dans leur village pour les arrêter parce qu’ils ont lancé des cailloux alors qu’on leur tirait dessus. 

Face à eux, différentes polices qu’ils reconnaissent à la couleur de leur uniforme ou à l’insigne cousu dessus, et l’armée. Au sein de cette dernière, les Golani sont les plus connus. L’olivier sur fond jaune, leur emblème, indique aux Palestinien-ne-s que la violence n’aura pas de limites. Lorsqu’ils sont là, chacun-e sait qu’ils n’hésiteront pas à tuer. 
Ce vendredi, nous nous rendons à Kafr Qaddum, un petit village difficile d’accès à l’Ouest de Naplouse. Depuis sept ans, tous les vendredis et les samedis, le village se transforme en terrain de « guerre ». Et pour cause, les autorités israéliennes ont décidé de la fermeture de la route qui menait à Naplouse en un quart d’heure il y a quatorze ans et ont laissé se développer la colonie Kedumim près du village. Aujourd’hui on met plus de trois quart d’heure pour rejoindre Naplouse. En plus du vol des terres, de la destruction des cultures et des réserves d’eau des habitant-e-s, les humiliations et les agressions de la part des colons et de l’armée sont constantes.
Alors tous les vendredis et samedis, les habitant-e-s montrent leur mécontentement et leur rage. « We love our land, we will fight » est-il écrit sur un pan de mur. Le ton est donné. Ici l’esprit de résistance se transmet de génération en génération parce qu’il n’y pas d’alternatives. Plus que nul part ailleurs, exister c’est résister.
Ce jour-là, gaz lacrymogènes et balles en caoutchoucs sont les principales armes utilisées par l’armée israélienne. On apprend à reconnaître le son des tirs de balles, à se retourner et à se protéger la tête. Les enfants eux-mêmes connaissent ces gestes. On apprend aussi à observer l’orientation du vent lorsque pleuvent les gaz lacrymogènes et à courir pour se mettre à l’abri. Les gaz sont puissants, on respire de petites lingettes imbibées d’alcool pour recouvrer la respiration. Parfois ce n’est pas suffisant, et on peut suffoquer. Dans ces cas là, l’ambulance qui stationne dans la rue, s’avance pour s’occuper des blessés-e-s. Elle s’approche, recule, au rythme des attaques de l’armée israélienne.
Les soldats ont pris place sur la terrasse d’une maison à l’autre bout de la rue. Etonnée, je demande à un habitant à qui appartient cette maison. « Elle est à une famille palestinienne, ils sont dedans », me répond-il. Des soldats envahissent une autre maison et tirent depuis le toit. Je me sens soudainement très naïve d’avoir cru qu’ils ne se permettraient pas d’entrer chez les gens.
Du côté palestinien, on est habitué à tout ça. Alors pour se donner de la force, on chante, on crie, on charrie les shebab lorsqu’ils lancent des pierres bien loin de leur cible, on applaudit lorsque les gaz lacrymogènes sont renvoyés à leur expéditeur. Chaque vendredi, chaque samedi les mêmes scènes se répètent. On sent le mépris et la haine des soldats face à eux. Ils se moquent des shebab en imitant leur jet de pierre et s’amusent à leur faire peur en braquant leur arme sur eux. Parfois ils tirent, ça doit dépendre de leur humeur, ça ressemble tellement à un jeu pour eux. Mais il en faut plus pour décourager les habitant-e-s.
Ce jour là, la presse et de nombreux internationaux sont présents et les soldats ont l’air de le savoir. Pas de blessés graves, pas de personnes tuées. Mais lorsque la manifestation touche à sa fin, que les soldats se retirent de la rue principale et que les internationaux s’en vont, on commence à entendre des tirs à balles réelles qui viennent du haut du village. On monte la rue, la boule au ventre pour rejoindre les quelques manifestants qui attendent le départ des soldats. Quelques tirs retentissent encore une fois puis plus rien. Personne n’a été touché, et nous ne parvenons pas à savoir s’ils visaient quelqu’un ou non. 
Il est 16h30. Les habitant-e-s rentrent chez eux pour profiter enfin de leur jour de repos. Peut-être que les enfants auront le temps de jouer et de penser à autre chose avant que tout cela ne reprenne demain.