BlackRock, le loup dans la bergerie
Simone Siliani 26/04/2020 |
Mais si vous étiez un berger et que vous deviez vous absenter pendant la longue journée dans les pâturages, demanderiez-vous au loup de s’occuper du troupeau ? Je ne pense pas, et vous ?
Tradotto da Fausto Giudice
C’est un peu ce que l’Union européenne a fait à travers la DG FISMA (Direction générale de la stabilité financière et des marchés des capitaux), qui a chargé d’une étude sur le développement d’outils et de mécanismes pour l’intégration des facteurs ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance) dans le cadre de la surveillance bancaire européenne et dans la stratégie commerciale des banques et les politiques d’investissement, rien moins que BlackRock.
BlackRock n’est pas un groupe musical des années 1990, ni une marque de parfum. Il s’agit de la plus grande société d’investissement au monde, basée à New York. Elle gère un actif total de près de 7 000 milliards de dollars, dont un tiers en Europe.
Depuis sa fondation en 1988, Black Rock a augmenté sa capacité financière et de pénétration dans de nombreux pays à travers le monde, ainsi que son influence.
De nombreux grands investisseurs s’appuient sur le système d’analyse Aladdin de BlackRock Solutions. Plusieurs banques centrales, comme la Réserve fédérale usaméricaine et la Banque centrale européenne (BCE), les ministères des finances et les fonds souverains reçoivent les conseils de ses experts. BlackRock a conçu le programme de titrisation des prêts de la BCE lorsque la banque centrale a eu besoin d’une expertise externe. En Grèce et à Chypre, BlackRock a analysé en profondeur les bilans des banques et a ensuite conseillé les gouvernements. Elle est intervenue de la même manière en Irlande et en Espagne.
Puis, soudainement en 2020, dans sa lettre aux investisseurs, le PDG Larry Fink a été foudroyé sur le chemin de Damas et a amorcé un virage éthique et vert.
« L’argent que nous gérons n’est pas le nôtre mais appartient à des personnes dans des dizaines de pays différents qui s’engagent à financer des projets à long terme comme la retraite. Nous ressentons une forte responsabilité ». Ainsi commence sa lettre et elle se poursuit avec une profession de foi dans la lutte contre le changement climatique qui « est devenue un facteur déterminant dont les sociétés doivent tenir compte dans l’élaboration de stratégies à long terme ». Très bien, bien sûr.
Soit dit en passant, dans sa lettre de 2019, il n’était même pas fait mention du sujet, alors que l’accent était mis sur l’objectif et le profit. « La finalité n’est pas seulement la poursuite du profit, mais la force motrice pour l’obtenir ».
Mais, comme on l’a dit, BlackRock est très influente et le fait que la Commission européenne confie l’étude des facteurs ESG à l’entreprise new-yorkaise le démontre.
À quoi sert cette étude ? À définir comment les facteurs de risque ESG seront intégrés dans la gestion générale des risques bancaires au niveau européen et à intégrer ces risques dans le système européen de surveillance bancaire et dans la stratégie commerciale et les politiques d’investissement des banques européennes.
Ce ne sont pas des broutilles en termes de réglementation européenne dans les fonctions de contrôle et de pilotage du système bancaire du continent.
L’étude, d’un montant de 550 000 € (des clopinettes pour BlackRock), doit réaliser :
un inventaire des bonnes pratiques et des principes pour l’intégration des risques ESG dans les processus de gestion des risques des banques au niveau européen et dans l’activité de surveillance européenne
une analyse des obstacles existants au développement d’un marché européen du financement vert et des investissements durables qui fonctionne bien et, par conséquent, l’identification d’outils et de stratégies pour le dimensionnement du financement vert et du marché des produits financiers durables.
Le plus grand acteur du secteur financier (BlackRock) est payé par le régulateur (la Commission européenne) pour lui expliquer comment élaborer des réglementations qui permettent au premier de faire son business privé de la meilleure façon possible.
Bref, le berger dit au loup : « Je te laisse le troupeau, tu t’en occupes ».
Le conflit d’intérêt est macroscopique et la chute de crédibilité de la Commission européenne et de sa stratégie de financement durable (qui a tant engagé les institutions européennes) serait vertigineuse.
En fait, les deux pierres angulaires de cette stratégie
la réglementation de la taxonomie de ce qu’est la finance durable
l’approche à adopter pour rendre compte concrètement des informations liées au climat (Directive sur l’information non financière)
seraient fortement affectées par l’exercice de cette activité de conseil par BlackRock.
Parce que BlackRock a été l’un des plus grands critiques de la législation européenne en matière de taxonomie et, par conséquent, on peut se demander s’il est cohérent de demander à son plus grand critique des conseils sur un élément clé du programme de financement durable.
En outre, BlackRock est partisan d’une approche de la finance durable qui ne prend en compte qu’un seul aspect, à savoir l’impact financier que le changement climatique peut avoir sur les comptes des entreprises. Mais, comme on le sait, l’approche de la Commission européenne tient compte de cette question, mais elle la met aussi en balance en considérant l’impact des entreprises sur l’environnement et le changement climatique.
La différence d’approche n’est pas purement technique, mais substantielle.
L’incohérence d’une mission aussi importante en termes d’édiction de normes et de mise en œuvre même de la stratégie européenne de financement durable confiée à une entité si éloignée de la philosophie de la stratégie elle-même est tout à fait claire.
Il est tout à fait probable que le loup mangera les agneaux et que lorsque le berger déjanté reviendra, il sera mis sur la paille.