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« Nous et les Russes » : Egon Krenz à Rostock chez les « Rotfuchs »

Carsten Hanke 02/02/2020
L’évènement du 25 janvier 2020, organisé par l’association « Rotfuchs » (Renard rouge) sur le thème « Nous et les Russes », d’après l’ouvrage éponyme d’Egon Krenz, a non seulement fourni une relecture historique d’une période capitale de l’histoire de la RDA, mais aussi établi ses rapports avec la politique actuelle.

Tradotto da Mikaela Honung

Editato da Fausto Giudice
Si notre groupe régional de Rostock a plusieurs fois invité Egon Krenz, le dernier Président de la RDA, ce n’est pas seulement parce qu’il habite dans les environs, mais surtout en raison de l’amitié qui nous lie depuis des années.
Bien que notre conférencier Egon Krenz ait déjà tenu de nombreuses lectures de son livre, devenu d’ailleurs un bestseller, chacune a son propre caractère. Pas au premier chef en raison du public présent, mais parce qu’Egon Krenz actualise chaque fois son discours en fonction de l’actualité politique.
Les paroles d’Egon Krenz revêtent de toute façon une importance particulière, car chaque mot reflète ses sentiments intimes, et font ainsi tout naturellement part de ses convictions politiques aux auditeurs. Et Krenz peut apporter la preuve de tous les faits qu’il cite, chose certes très importante pour ceux qui l’écoutent, mais qui n’avait pas besoin d’être redite, car l’honnêteté et l’autocritique de la relecture faite par Egon Krenz de son passé est mondialement reconnue, même si l’on ne partage pas forcément ses convictions politiques.
Egon Krenz voit dans ce livre, paru en 2019, sa contribution personnelle au 30ème anniversaire de la « chute du Mur » – ce qui prouve une nouvelle fois son sens des responsabilités dans la relecture de son passé. Comme cet ouvrage comporte de nombreux éléments autobiographiques, on y perçoit notamment à quel point toute sa vie, comme il le dit lui-même, est étroitement liée à la Russie.
Au tout début de son intervention, Egon Krenz a lu l’appel du KPD (Kommunistische Partei Deutschlands, PC allemand NdlT) en date du 11 juin 945, preuve que le KPD, un mois après la chute du fascisme et la fin de la Deuxième guerre mondiale, avait produit en très peu de temps une analyse claire, qui exposait très en détail les causes de la prise du pouvoir par les fascistes en Allemagne ainsi que les noms de leurs soutiens, mais reconnaissait aussi que lui-même n’avait pas su constituer un front uni pour lutter contre l’émergence de ce fascisme.
Or il est très important, face aux évènements actuels en Europe et dans le monde, d’avoir fait ce choix en ouverture. En effet, on constate partout, à différents degrés, le retour d’organisations fascistes, très courtisées politiquement, et l’Histoire nous engage vivement à ne pas répéter les erreurs.
Egon Krenz parle aussi des manœuvres de l’OTAN « Defender 2020 », les plus importantes depuis 1945, un rappel justifié par diverses raisons, puisque ces manœuvres doivent en outre être effectuées juste à la frontière russe et constituent une provocation ignoble envers la Russie : 75 ans exactement après la victoire sur le fascisme, des troupes allemandes sont à nouveau positionnées à la frontière russe.
Egon Krenz montre à plusieurs reprises qu’il est indispensable, pour le maintien de la paix en général et en Europe en particulier, de collaborer solidement avec la Russie. Dans cette optique il désapprouve la décision de l’UE en date du 18 septembre 2019, qui vise par son contenu à réviser l’histoire et à faire de l’anticommunisme une doctrine d’État, en mettant sur le même plan la dictature fasciste et la dictature du prolétariat. Il se montre tout aussi critique envers la résolution prise au congrès de la CDU en 2019, qui demande d’élever les dépenses militaires de la RFA à 2% du PIB, ce qui représenterait actuellement 85 milliards par an.
Au cours de la large discussion qui suivit il a été notamment signalé que les gouvernants de la RDA avaient plusieurs fois avisé leurs homologues soviétiques qu’il était impossible d’exporter tel quel le modèle socialiste soviétique en RDA. Telle n’était pas l’opinion de ces derniers, on l’a entre-temps suffisamment appris. D’autres sujets ont été abordés : la position de Faline*, l’ex-ambassadeur en RFA, vis-à-vis d’Egon Krenz ou les rapports entre Gorbatchev et ce dernier, les relations compliquées entre la Pologne et la Russie ou la présence de Poutine en Israël pour le 75ème anniversaire de la libération d’Auschwitz, où le président russe a inauguré un monument du souvenir. C’est précisément en lien avec les crimes commis contre les Juifs que la discussion souligna qu’Israël a comme les Palestiniens un droit à l’existence et que l’on peut très bien critiquer la politique du gouvernement israélien – par exemple l’occupation des Hauteurs du Golan, illégale au regard du droit international, etc. – sans être pour autant un antisémite.
Au-delà des propos d’Egon Krenz, au contenu très riche, et des questions fort intéressantes des assistants, venus en très grand nombre, cet événement a été un succès culturel. Le soutien que lui ont apporté en commun de nombreuses organisations de gauche et associations progressistes, dont quelques représentants avaient pris place sur le podium, mérite une attention et revêt une importance toutes particulières. 
NdE
Valentin Mikhaïlovitch Faline (1926-2018) : diplomate russe, expert de l’Allemagne, membre de la commission de contrôle soviétique en RDA en 1950-1951, conseiller de plusieurs dirigeants soviétiques, de Khrouchtchev et Gromyko à Gorbatchev, il fut ambassadeur en RFA de 1971 à 1978, après avoir contribué à l’élaboration du Traité de Moscou de 1970 visant à normaliser les relations entre la RFA et l’URSS. En 1983, il entra en conflit avec Andropov et quitta ses fonctions auprès du Comité central du PCUS après avoir reçu un refus à sa proposition de répondre positivement à une revendication du syndicat Solidarnosc en Pologne de constituer une commission indépendante d’historiens sur le massacre de Katyn (l’exécution de 4 400 prisonniers polonais, principalement des officiers, par le NKVD sur ordre de Staline, niée par les dirigeants soviétiques jusqu’en 1990). Il fut ensuite chroniqueur aux Izvestia et chercheur auprès d’un institut ouest-allemand. Valentin Falin avait commencé à apprendre l’allemand à cinq ans et demi. La mort de 27 membres de sa famille durant le siège de Leningrad le convainquit qu’il devait « maîtriser non seulement la langue de l’ennemi » mais essayer de tout savoir sur les Allemands : « Qu’est-ce qui définit plus précisément la nature de ce peuple – l’esprit élevé ou la botte à clous ? » Il accompagna Gorbatchev durant la perestroïka et tenta en vain de le convaincre de ne pas abandonner la direction de la RDA à son sort mais de tenter d’obtenir une « réunification allemande » avec une solution « à la française », excluant une adhésion à l’OTAN. Gorbatchev, Helmut Kohl et l’histoire en décidèrent autrement, optant pour un « Anschluss » pur et simple.