Les médias mentent et les enfants sont instrumentalisés : à propos d’un soi-disant recours en justic
Nicolas Casaux 28/09/2019 |
« Climat : Greta Thunberg et 15 autres jeunes intentent une action juridique contre cinq pays » (Le Monde) ; « Greta Thunberg : la militante écologiste porte plainte contre la France » (Franceinfo) ; « Greta Thunberg attaque la France en justice » (L’OBS) ; etc.
Ces derniers jours, comme à leur habitude, la plupart des médias de masse ont fait ce qu’ils savent faire le mieux. Raconter n’importe quoi, n’importe comment. Le premier problème avec cette histoire de « plainte », « d’action en justice », c’est qu’il ne s’agit pas du tout de cela. Ainsi que l’avocat Arnaud Gossement l’explique :
« En réalité, Greta Thunberg a saisi un groupe d’experts pour dénoncer les politiques publiques de ces cinq États. Aucun juge n’est saisi, aucune procédure juridictionnelle n’est engagée, aucune décision de justice ne sera rendue, aucune sanction ne sera prononcée.
Plus précisément, ces personnes ont adressé une “communication » au comité des droits de l’enfant de l’ONU. Cette “procédure de communication” est définie par un protocole à la convention international sur les droits de l’enfant. Pour tout savoir sur cette procédure, c’est ici : https://www.ohchr.org/FR/HRBodies/CRC/Pages/CRCIndex.aspx
À la suite de cette “communication”, une procédure d’enquête confidentielle sera éventuellement menée et le comité pourra émettre des “recommandations”. Inutile de préciser que celles-ci ne sont contraignantes pour personne et qu’il est assez probable que vous n’en entendrez pas parler.
À l’arrivée, pas de “recours en justice” ou “d’attaque d’États” comme nombre d’articles le prétendent à tort. »
Le second problème — et là, Arnaud Gossement lui-même, qui semblait pourtant tenir à rétablir les faits, véhicule des choses inexactes — c’est que la principale instigatrice de cette affaire n’est pas Greta Thunberg, ni aucun des 15 autres jeunes ayant participé à sa promotion.
Un article du Parisien consacré à Iris Duquesnes, une des 15 autres jeunes en question, explique :
« Il faut dire qu’il y a encore un an, Iris Duquesne n’était pas vraiment programmée pour une telle médiatisation. Cette férue de surf quittait la côte Atlantique pour San Francisco, où son père venait d’accepter un poste d’ingénieur chez Apple. La problématique écologique la démangeait depuis quelques mois mais elle ne savait pas comment matérialiser ce besoin.
En arrivant en Californie, c’est le déclic. Elle rejoint “Heirs to our Oceans”, une ONG pour la conservation des océans réunissant des dizaines de milliers de jeunes. “À partir de là, tout est allé très vite. Il y a six mois, l’asso a été contactée par le cabinet d’avocats qui rédigeait la pétition. Et comme ils cherchaient une Française, j’ai dit oui sans hésitation”, raconte-t-elle mardi au Parisien depuis New York. »
Au passage, on soulignera que cette jeune fille, dont le père est ingénieur chez Apple et qui vit à San Francisco, est considérée comme « représentative de la jeunesse française » par « Scott Gilmore, l’un des avocats à l’origine de la plainte ». Plutôt douteux.
De la même manière, un article publié sur le site web d’information brésilien Terra, consacré à Catarina Lorenzo, Brésilienne faisant partie des 16 enfants ayant participé à la promotion de cette affaire, explique :
« Catarina Lorezo a été invitée à déposer une plainte [pas exactement, ainsi que nous l’avons vu] officielle des Nations Unies contre cinq pays, dont le Brésil. […]
Catarina a été nommée pour participer à l’initiative de “Heirs to our Oceans”, une organisation dédiée à la sensibilisation à l’importance de la conservation des mers et à la formation de jeunes dirigeants liés à cette cause.
“En discutant avec Catarina, nous avons constaté qu’elle était très passionnée par la question environnementale et qu’elle voulait y participer”, a déclaré Kimberly Fetsick, avocate à Hausfeld et responsable de la pétition. […] »
Inutile de mentionner l’histoire de chacun des 16 enfants embarqués dans cette histoire. Il apparait suffisamment clairement que le cabinet d’avocat Hausfeld* — et/ou l’ONG Earthjustice**, puisque, ainsi qu’on peut le lire sur son site web : « la réclamation a été préparée et remplie au nom des pétitionnaires par le cabinet d’avocat international Hausfeld LLP et l’ONG écologiste d’intérêt public Earthjustice » — est (ou sont) à l’initiative de cette affaire, et non pas les enfants qu’ils ont contactés pour être les figures de proue de leur opération de communication, contrairement à ce qu’affirment de nombreux médias grand public, nous offrant une nouvelle preuve de leur médiocrité.
Prenons ce qu’en rapporte BFM :
« Les auteurs de la plainte sont âgés de 8 à 17 ans, issus de 12 pays, dont la France, et ont reçu l’aide dans leur démarche du cabinet international d’avocats Hausfeld et la bénédiction de l’Unicef. »
Ainsi que ce billet le montre, la réalité est tout autre. Voici ce qu’ils auraient dû écrire :
« Les auteurs et les instigateurs de la procédure de communication sont le cabinet d’avocats Hausfeld et l’ONG Earthjustice, qui ont recherché l’aide, pour assurer la promotion médiatique de leur démarche, de 16 jeunes âgés de 8 à 17 ans, issus de 12 pays, dont la France. »
Tout de suite, l’histoire change de visage.
Cela étant, devrions-nous être surpris qu’un système aussi immoral que le capitalisme, qu’une culture aussi immorale que la culture dominante, instrumentalise des enfants comme bon lui semble ? Certainement pas. Nous sommes tous réduits au rang de « ressources humaines » à utiliser de la manière la plus efficiente pour faire du profit, et tourner la machine.
Notes de Tlaxcala
* Sur ce cabinet, qui a découvert un nouveau marché juteux, lire Du yaourt au camion, gare à la vindicte des victimes de cartels
**Un poids lourd de l’ONGisme US, avec un budget annuel frisant les 100 millions de $ et une présidente touchant un salaire mensuel de 36 000 €, Earthjustice emploie 137 avocats à plein temps et dispose de 15 bureaux régionaux. Sa devise est: “We go to court for the future of our planet” (Nous estons en justice pour l’avenir de notre planète).