Les électeurs israéliens juifs devraient faire preuve de solidarité en votant pour la Liste unifiée arabe
Gideon Levy 16/09/2019 |
Premier rappel : Il y a des choses comme la solidarité et l’identification, même si cela fait longtemps qu’on n’en a pas entendu parler.
Tradotto da Fausto Giudice
Deuxième rappel : Les citoyens arabes d’Israël sont une cible constante d’attaques, d’exclusion et d’humiliations, surtout en cette période de campagne électorale.
Troisième rappel : en fin de compte, dans l’intimité de l’isoloir, après que toute la stratégie et les tactiques ont été décortiquées, les électeurs font face à leur conscience et choisissent le parti qui leur tient à cœur. Voter est un acte très personnel de libre expression, d’autodétermination, d’émotion, d’intelligence, de moralité et d’identité. Ce prologue conduit bien sûr à une tentative de persuader les gens de voter mardi pour la Liste unifiée.
Très peu de Juifs israéliens peuvent imaginer ce que cela signifie d’être un Arabe en Israël. Parler arabe dans le bus, porter un hijab dans le train, faire face aux insultes des médias et dans la rue, essayer de louer un appartement à Tel-Aviv, voir ses frères piétinés sous la botte brutale de son État. Aucun Juif au monde ne vit dans de telles conditions aujourd’hui. Votre langue est objet d’anathème, votre identité est effacée, votre passé n’existe pas, votre catastrophe n’a pas eu lieu, votre existence ici est conditionnelle et vous êtes toujours suspect : votre frère est votre ennemi et vous êtes une cinquième colonne.
La saison actuelle de campagne a amené l’incitation à la haine à un nouveau sommet. À droite, un cinquième de la population est un punching-ball pour ramasser des voix – rien aujourd’hui n’est plus populaire, plus rassembleur, que de semer la haine anti-arabe. Le centre politique participe également aux réjouissances de l’incitation. Il dit aussi qu’il ne se joindra pas à une coalition qui incluerait les Arabes. En Israël, les kahanistes et les néonazis ont plus de légitimité politique que les Arabes.
La bataille est finie pour les exclure de la vie parlementaire, pour les délégitimer au point de les rendre illégaux. Une Knesset juive n’est pas seulement un cauchemar de Jugement dernier, c’est une vision qui approche. Encore un mandat ou deux et on y est. Aujourd’hui encore, la Knesset ne compte que 110 députés de facto. Personne ne compte ses 10 membres arabes. Les questions qui leur sont posées, comme celle de savoir s’ils sont autorisés à siéger à la Commission des affaires étrangères et de la défense, seraient rejetées dans n’importe quelle assemblée législative du monde si elles étaient posées à propos de députés juifs, par exemple.
La possibilité de rejoindre le gouvernement évoquée par Ayman Odeh, président de la Liste unifiée, a été carrément écartée par les principaux partis. Le Président d’Yisrael Beiteinu Avigdor Lieberman, le grand espoir de la gauche, n’a pas été expulsé de la chambre de la Knesset en disgrâce quand il a refusé de siéger à côté d’un dépité de la Liste unifiée.. Imaginez ce qui arriverait à un législateur européen ou USaméricain qui refuserait de s’asseoir à côté d’un juif. Le Premier ministre israélien et le ministre de la sécurité publique appellent les représentants élus des citoyens arabes du pays “partisans du terrorisme” et “terroristes”.
On peut avoir honte de ce comportement et ne pas lever le petit doigt, et on peut faire la seule chose qui a une chance d’y mettre fin, ou au moins envoyer un signal aux citoyens arabes d’Israël qu’ils ne sont pas seuls. La taille de la représentation à la Knesset de la Liste unifiée ne changera pas le sort du pays : elle sera la troisième en importance, et la moins importante. Ce qui est important, c’est que le plus grand nombre possible de Juifs votent pour elle. Ce sera un véritable vote de protestation contre la droite et contre le racisme, une manifestation concrète de solidarité avec les opprimés.
Les Arabes d’Israël le méritent et en ont besoin. Ils méritent de savoir que tout le monde n’est pas ministre de la Sécurité publique, Gilad Erdan. Le médecin arabe à l’hôpital, l’infirmière, le pharmacien à la pharmacie, le serveur, l’ouvrier du bâtiment qui construit le pays, ils méritent tous de savoir qu’ils ne sont pas seuls dans leur pays et dans leur État. De savoir qu’Israël ne les expulsera jamais, comme beaucoup le voudraient. Des dizaines de milliers de votes juifs pour leurs représentants sont le moyen d’envoyer ce message. La guerre contre l’apartheid commence par ce petit pas.
Il est permis que des sentiments de honte profonds et justifiés soient un facteur dans une élection. Il est permis de faire preuve de solidarité avec les faibles et de mettre de côté toutes les autres considérations – le désir de créer un parti puissant, un bloc puissant – dont l’importance ne peut être calculée avec précision. Il est permis et nécessaire de montrer aux villes arabes de Sakhnin et Nazareth, ainsi qu’aux villes juives voisines d’Afula et de Nof Hagalil (anciennement Haute Nazareth) qu’il existe un Israël différent, qui ne continuera pas à rester silencieux et ne rien faire.