Des tanks et des touristes à la frontière Israël-Liban : une visite dans l’épicentre de la guerre qui n’a pas eu lieu
Gideon Levy 06/09/2019 |
Un tour au nord d’Israël au lendemain de l’échange de tirs entre le Hezbollah et Israël.
Tradotto da Fausto Giudice
À 6 heures, après la quasi-guerre, comme on dit (presque), des soldats poussiéreux du Corps blindé étaient assis dans une petite tente bleue à côté de trois chars, qui étaient garés derrière un réservoir d’eau près du Moshav Avivim à la frontière libanaise, attendant la suite des événements. Ils portaient des bleus de travail, ce qui indique qu’ils étaient en état d’alerte maximale. Quelques heures plus tôt, deux missiles antichars tirés par le Hezbollah étaient tombés à quelques centaines de mètres d’eux, laissant des traces de brûlure sur la nouvelle route nord ; depuis leur position, les soldats avaient apparemment riposté.
Trois équipages de chars d’assaut – deux de l’armée régulière, un composé de réservistes – tous sous le commandement de Shlomo, un étudiant en génie mécanique de l’Université d’Ariel et habitant de cette colonie urbaine de Cisjordanie. Affable et serviable, il est néanmoins consterné par l’apparition soudaine de deux invités inattendus sur son champ de bataille ; il était particulièrement inquiet que son char soit photographié. C’est dangereux de suivre le chemin de terre jusqu’au sommet de la colline, a dit Shlomo, mais il ne nous a pas empêchés de le faire.
La quasi-guerre était finie. Les soldats de la police militaire qui avaient érigé des barrages routiers à l’entrée et à la sortie de la route Nord, tant l’ancienne que la nouvelle, savaient aussi que la quasi-guerre était terminée. Dans un spectacle rare ici, ils empêchaient maintenant les véhicules militaires d’utiliser les routes – donc, au lieu d’une “zone militaire fermée”, c’était une sorte de zone civile fermée. Les Forces de défense israéliennes font apparemment pleinement confiance au dirigeant du Hezbollah Hassan Nasrallah, qui, dès le début de cette montée des tensions, a menacé de n’attaquer que des cibles militaires. Comme c’est également le cas pendant les premières heures qui suivent chaque accord de cessez-le-feu sur la frontière entre Israël et la bande de Gaza, les FDI sont convaincues que leurs ennemis s’abstiendront de tirer. À tel point qu’il est impossible d’échapper à l’impression que tout ici a été en fait mis en scène. En plus des mannequins dans les jeeps, dont les photos ont été publiées dans les médias libanais, et de la fausse évacuation des soldats blessés qu’Israël a reconnue cette semaine, beaucoup plus de choses sont synchronisées et coordonnées entre Israël et le Hezbollah, apparemment le grand ennemi d’Israël. C’est peut-être une pièce de théâtre, avec un début, un milieu et une fin, avec toutes les parties claires et prévisibles.
Au moment de notre visite lundi, les équipages des chars de Shlomo étaient déjà là depuis une semaine, entre les pâturages du kibboutz Yiron et Yarine du Hezbollah, le village libanais en face. L’apparence des villages du sud du Liban a changé ces dernières années. Un coup d’œil de l’autre côté de la frontière révèle des maisons plus élégantes et moins de gens se dépaçant entre elles. Il n’y a pas si longtemps, le commandant de la brigade des FDI de ce secteur a expliqué à la population locale que la culture des toits de tuiles rouges à Adaisseh, le village libanais voisin, témoigne de l’architecture iranienne qui y domine aujourd’hui. Tout ici est très proche : les bosquets, les champs, les maisons et les drapeaux – du Liban et du Hezbollah d’un côté, d’Israël et des unités militaires de l’autre côté.
Une jeep militaire à l’allure étrange, remplie de mystérieux équipements de surveillance, émerge du Moshav Avivim. Dans le terrain à côté du bâtiment du secrétariat, les voitures des agriculteurs et les véhicules des soldats sont garés ensemble – mais, comme on le sait, seul le Hezbollah se cache parmi les populations civiles.
Tzomet, le « parti des colons et de l’agriculture », qui se présente aux élections, proclame sur un panneau à l’entrée d’Avivim qu’il « combat pour notre gagne-pain et pour sauver notre maison ». Son logo, une main saisissant une gerbe de blé, évoque les temps anciens. Il faut aller au fin fond du pays pour découvrir qu’un parti agrarien se présente dans cette campagne. Il y a aussi une affiche omniprésente de ” Na Nah Nahma Nahman Meouman *”, et des enseignes d’ un serrurier et un fabricant de portes. Une jeune mère porte son bébé dans une écharpe à travers le parking semi-militaire de son moshav. Un tracteur approche, une ambulance se gare. Il y a un mikveh (bain rituel) et un beit midrash, un centre d’études religieuses juives, avec l’aide bénie de Dieu. Khaled Assadi travaille avec une pelle compacte Bobcat. Un terrain de jeu abandonné dans le sable. Moshav Avivim. La frontière nord.
Il y a une rue Harimon (grenade) et une rue Hazayit (olive), comme dans toutes les banlieues israéliennes. La quasi-guerre n’est presque plus ressentie à Avivim, lieu d’un massacre perpétré par des terroristes qui a fait 12 morts dans un autobus scolaire en 1970.
“Bienvenue au QG du bataillon Avivim, formation de Baram “, indique le panneau à l’entrée de la base, au pied du moshav. En son centre se trouve une forteresse britannique devenue israélienne. Le drapeau rouge et noir du Corps d’artillerie flotte au vent. A côté de l’enseigne pour la pizzeria se trouvent quelques correspondants de télévision étrangers, prêts à envoyer un dernier reportage du champ de bataille qui n’en était pas un.
Un groupe de jeunes Allemands en visite à Misgav Am cette semaine, venus pour témoigner de la souffrance sans fin des Juifs. Photo Alex Levac
Les champs du Liban près de la frontière qui brûlaient la veille de notre visite s’étendent, noircis, de l’autre côté de la clôture, à quelques mètres seulement ; seulement quelques rangées de jeunes pêchers et une clôture séparent la gare routière au carrefour d’ Avivim du champ de tir. Les bus n° 178 à destination de Jish et n° 43 à destination de Safed passent par ici quelques fois par jour. La coalition HaAvoda-Gesher (travaillistes + centre-droit) est le gagnant sur cette route frontalière, pour ce qui est de la présence d’affiches de campagne. “Les êtres humains avant tout” – Amir Peretz, Orli Levi-Abekasis et Itzik Shmuli en bordure du pays du Hezbollah. Les routes sont désertes. Un couple de Mitzpeh Abirim est arrivé dans sa Renault pour voir les restes de la guerre.
Le septième jour suivant le décès de notre bien-aimé sergent-major Avishai Biton, il y aura une leçon de Torah pour l’élévation de son âme, les prières du soir et le repas, annonce l’avis de deuil tout frais fixé sur le mur en béton de l’ancien arrêt de bus. En face, il y a un monument commémorant Amnon Bar Ner, qui est tombé ici au mois d’Av de l’année hébraïque 5730 (1970).
Le chef du conseil régional de Merom Hagalil, Amir Sofer, est en train de parler devant la caméra d’une équipe de télévision de l’absence d’abris antiaériens dans la zone. Les lettres “ONU” sont écrites en pierres blanches sur la colline d’en face, au-dessus d’une base de la FINUL, la Force intérimaire des Nations Unies au Liban. Un hélicoptère blanc de l’armée de la paix est en survol stationnaire dans le ciel. Le village de Maroun al-Ras est visible sur la colline en face, avec une rangée de bâtiments qui ressemblent à des hôtels ou des stations balnéaires attrayantes. Il y a un drapeau libanais qui est déchiré au milieu, exactement là où le cèdre est censé être, et le drapeau jaune du Hezbollah flottant à côté, à quelques dizaines de mètres de l’avant-poste Tzurit des FDI, qui semble également désert. Du kiwi israélien pousse dans la vallée.
Un rocher enveloppé d’un drapeau israélien constitue un autre monument sur cette frontière ensanglantée – celui-là à la mémoire du colonel Yitzhak Rahimov, “un homme, ami et commandant bon “, qui est tombé dans une bataille “avec des terroristes” en 1990 dans le village de Yarine, qui est visible derrière le monument. Un vent frais soufflant des hauteurs libanaises tempère légèrement la chaleur du début septembre. “Il est tombé dans notre guerre pour la vie”, dit l’inscription sur le monument pour l’éternité, comme les sapins plantés à côté.
Ofer Moskowitz, alias Poshko, attend au centre d’accueil relativement nouveau du kibboutz Misgav Am ; il est le porte-parole du kibboutz. Le centre dispose d’une boutique de souvenirs et d’une petite salle de conférence, avec de grandes fenêtres donnant sur le paysage libanais. D’ici, Adaisseh ressemble plus à un hameau suisse qu’à un bastion chiite. Il n’y a que quelques dizaines de mètres et une étroite vallée qui séparent les maisons des kibboutz de ce village – tendez la main et vous pouvez presque les toucher. Dans le passé, jusqu’à la première guerre du Liban, en 1982, les populations locales des deux côtés de la frontière étaient en bons termes, se visitant mutuellement. Mieux vaut un voisin proche qu’un frère éloigné – mais ça, c’est fini.
Israël construit actuellement un mur de béton monstrueux, encore un autre mur de béton, qui séparera les deux communautés, israélienne et libanaise. Elle finira par traverser le pays du mont Hermon à l’est jusqu’à la Méditerranée, et encerclera Israël du nord également. Ce sera une sœur de toutes les clôtures et barrières dont Israël s’est entouré ces dernières années. Une blessure dans le paysage, elle rappelle les murs de séparation en Cisjordanie et à la frontière de la bande de Gaza. Les travaux battent leur plein.
Le château de Beaufort culmine derrière la colline au nord, au sommet de laquelle se trouve Nabi al-Awadi, qui, me dit-on, est considérée par certains Juifs comme la tombe du prophète Obadiah. Pourquoi pas ? Les FDI sont perchées sur cette crête depuis des années. Ces derniers jours, un nouveau drapeau, de couleur pourpre, a survolé Misgav Am ; personne ici ne sait ce qu’il symbolise et qui il représente. En face se trouvent les drapeaux d’Israël et d’Allemagne, au-dessus du centre d’accueil du kibboutz. Un groupe de touristes allemands doit venir ici aujourd’hui.
Dans la boutique de souvenirs, le kibboutz vend le meilleur de la mode israélienne : Des T-shirts portant les symboles des FDI, du Mossad, de l’armée de l’air, du Krav Maga, et des slogans comme “My Golani” et “Follow me to the Paratroops” (Suis-moi chez les paras). Il y en a même un qui dit “Guns N’ Moses**”, une blague locale.
La route frontalière. À l’arrière-plan, des drapeaux du Liban et du Hezbollah. Photo Alex Levac
Un bus blanc serpente silencieusement jusqu’en haut de la colline. Guerre ou pas, les amis d’Israël sont là. Un groupe de jeunes Allemands, d’une organisation appelée Israel Contact. Le kibboutznik d’origine hollandaise Joseph Abas les accueille dans le centre d’accueil, parlant allemand avec un accent hollandais indubitable. Le mont Hermon, à droite, est-il la plus haute montagne d’Israël ? Pour le moment, répond Abas. Après un bref survol de la région, il décrit en détail les terreurs de cette nuit de 1980 où des terroristes sont entrés dans les maisons des enfants du kibboutz pour tenter de prendre des otages.
Les jeunes Allemands soupirent, gémissent et gloussent après presque chaque phrase. Eh bien, c’est pour cela qu’ils sont venus, pour voir la souffrance sans fin du peuple juif et pour expier la culpabilité de leurs aïeux. Le portable d’Abas sonne beaucoup ; sa sonnerie est “When the Saints Go Marching In”. Il ne sait pas comment la changer. Les terroristes entrent dans la maison des bébés quand les saints entrent en marchant. Et puis ils ont tué un nourrisson, quand les saints sont entrés. D’ailleurs, le kibboutz cultive aussi d’excellents avocats, surtout pour l’exportation.
“Ce que vous entendez chez vous en Allemagne n’est pas exactement ce qui se passe réellement “, explique l’explicateur. Questions : est-ce qu’il y a aussi des gens normaux qui vivent dans le village libanais d’en face ? Comment ont été ces derniers jours ? Quels moyens les FDI utilisent-elles contre les terroristes ? Comment savez-vous qu’ils ne tireront pas à nouveau ? Cette dernière question a été posée par un jeune Allemand qui porte déjà un T-shirt des FDI. De là, ils sont censés aller à la rencontre de quelques soldats. En avant et toujours plus haut, Israël.
“Et je ferai de vous une grande nation, et je vous bénirai et rendrai votre nom grand.” Le drapeau de l’État de l’Oregon et des panneaux avec des citations bibliques grandiloquentes en bas du centre d’accueil des visiteurs mènent à un poste de tir qui a été converti en une petite maison de culte, ou un temple de méditation. Peter Page, un volontaire du kibboutz de l’Oregon, est responsable de cette maison de prière. Tous les matins, il hisse le drapeau de l’Oregon et tous les soirs, il l’abaisse et le retire du poteau, sous le regard ahuri du Hezbollah d’en face. Originaire d’Afrique du Sud, qui a combattu dans l’armée rhodésienne (ne pensez même pas à dire Zimbabwe lorsqu’il est à portée de voix ou il vous “lavera la bouche avec du savon”), Page est ici pour une mission de trois mois avec son épouse espagnole, Ruth Abigail. Les deux sont membres d’une organisation chrétienne de l’Oregon appelée Zechariah’s Hope, dont le but est de peindre des abris anti-aériens – des bunkers, dans leur jargon – à Kiryat Shmona. Le symbole de l’organisation créée entièrement pour aider Israël est un pinceau qui apparaît sur les T-shirts de Peter et Ruth. “C’est un privilège pour nous de peindre des bunkers à Kiryat Shmona “, dit Peter avec émotion. Il admire Israël pour son courage et son innovation ; il y a tant d’adjectifs qu’on pourrait appliquer à ce pays, ajoute-t-il.
Et soudain, tout s’embrouille et se mélange : le drapeau de l’Oregon, les visiteurs d’Allemagne, les tanks, l’équipage de char de Shlomo d’Ariel, la plantation de kiwis et le drapeau du Hezbollah juste en face. Dire qu’hier encore, une guerre a failli éclater ici.
NdT
* Na Nah Nahma Nahman Meouman : “paix, repos et consolation [puissent-ils advenir, par le mérite de Rabbi] Nachman de Ouman”, mantra d’une chanson de Hassidim disciples du rabbin ukrainien Nahman, né à Bratslav en 1772 et mort à Ouman en 1810.
**Fusils zet Moïse, jeu de mots avec le nom du groupe de rock US Guns N’ Roses (Fusils zet roses)