Brésil, 7 septembre 1822 : l’indépendance des esclavagistes
Mário Maestri 05/09/2019 |
Pendant la Semaine de la patrie, les écoles et les médias célèbrent le 7 septembre, date de l’indépendance du Brésil, qui sera fêtée par tous les Brésiliens.
Tradotto da Fausto Giudice
Les fonds fédéraux pour la santé et l’éducation ont été réduits à la portion congrues. Mais il reste assez d’argent pour célébrer la soi-disant “Grande fête de la nationalité”. Jair Bolsonaro, comme Fernando Collor de Mello, demande à tous de descendre dans les rues habillés en vert et jaune, couleurs de l’Empire fondé en 1822 et héritées par la République en 1889. Mais, s’agit-il en fin de comptes d’une célébration de la population souffrante et des hommes et femmes de bien du pays ? La réponse est : – Non ! l’indépendance du Brésil s’est réalisée en fonction des besoins des exploiteurs, contre les exploités. Ses séquelles nous hantent encore aujourd’hui.
Le Brésil a connu l’indépendance la plus rétrograde des Amériques. Elle est née avec l’intronisation du prince héritier de la métropole avec laquelle on rompait. Il a imposé un ordre centralisateur et nullement libéral. Il a maintenu l’ordre despotique esclavagistes alors en vigueur. Il a promu la compensation royale de la couronne lusitanienne pour la perte du pays qu’elle avait exploité pendant des siècles. Quelques mois après cette rupture “graduelle et sûre”, l’empereur ignorant promut le premier coup d’Etat militaire au Brésil et octroya la Constitution despotique qui gouverna le pays jusqu’en 1889. Puis il a noyé dans le sang la révolte libérale du Nord-est.
L’Amérique lusitanienne a toujours été une mosaïque de régions économiquement et socialement semi-autonomes administrées par l’État colonial lusitanien. Les contacts des différentes capitaineries avec le Portugal et l’Afrique étaient plus étroits qu’entre elles. Elles produisaient avec une main d’œuvre esclave les produits coloniaux envoyés en Europe via Lisbonne, d’où arrivaient les produits de consommation manufacturés. Les ouvriers détruits par les dures conditions de travail ont été remplacés par des soi-disant “nouveaux esclaves” arrachés aux côtes africaines.
Carte des capitaineries héréditaires, par Luís Teixeira. Lisbonne, 1586
Personne n’était brésilien
Les seigneurs régionaux exploitaient durement leurs captifs et exportaient et importaient ce dont ils avaient besoin par les ports de la côte – Belém, São Luís, Recife, Salvador, Rio de Janeiro, Rio Grande, etc. Il n’y avait pas de ports en situation de monopole, comme Buenos Aires, sur La Plata. Il n’y avait presque pas de marché intérieur. Le Portugal limitait les contacts déjà rares entre les capitaineries, où les classes dirigeantes locales contrôlaient l’essentiel du pouvoir économique et social. Elles vivaient sous l’État lusitanien qui les protégeait des étrangers et des révoltes des exploités et des subalternes.
Les classes dirigeantes des capitaineries se sentaient comme des membres de l’empire portugais, avaient des liens identitaires régionaux et ignoraient les sentiments ” nationaux “. Il s’agissait donc de Lusitaniens et, en même temps, de Pernambucains, de Paulistas, de Mineurs (de Minas Gerais) etc. L’État-nation brésilien et l’identité nationale sont le produit de la Révolution de 1930. Ils étaient contrariés par le fait que l’administration coloniale et le commerce étaient dominés principalement par des Lusitaniens de souche. Le Brésil était une simple entité administrative extérieure, un peu comme l’Union européenne actuelle.
À la fin du XVIIIe siècle, l’ordre colonial ibérique était devenu un anachronisme. Les puissances capitalistes émergentes ont contourné le monopole métropolitain par la contrebande et les classes dirigeantes régionales ont voulu acheter et vendre sans intermédiaires. Elles voulaient prendre le contrôle politique des régions qu’elles dominaient socialement et économiquement. Auparavant, des tentatives d’indépendance circonscrits à des régions avaient eu lieu, comme l’Inconfidência Mineira (Conjuration du Minas Gerais) en 1789 et la révolte de Bahia en 1798.
L’Indépendance en Amérique espagnole
En raison des mêmes forces dispersives régionales, à partir de 1810, les noyaux économiques et sociaux de l’Amérique espagnole ont explosé dans un chapelet de républiques dominées par les oligarchies locales. Dans certaines régions, les oligarchies régionales ont réussi à étendre leur rayon de domination, comme en Argentine et au Mexique. Le rêve d’une patrie ibéro-américaine unifiée a sombré face aux obstacles des conditions matérielles et immatérielles objectives.
Les mêmes forces dispersées agissaient fortement dans les colonies luso-brésiliennes, appelées provinces après l’arrivée de la famille royale en 1808. En janvier 1821, dans le Rio Grande do Sul, Auguste de Saint-Hilaire écrivait dans son journal que le royaume du Brésil pouvait exploser en nations indépendantes, “comme les colonies espagnoles”, vu la grande différence entre elles. « Sans parler du Pará et du Pernambouc, les capitaineries du Minas et du Rio Grande, déjà moins éloignées, diffèrent plus les unes des autres que la France de l’Angleterre ».
Les oligarchies de Rio Grande do Sul, São Paulo, Minas Gerais, Pernambouc etc. voulaient se séparer du Portugal, nationaliser le commerce lusitanien, résister aux pressions anglaises pour la fin du trafic négrier transatlantique et régner sur leurs régions. Même s’il y avait des sentiments fédéralistes monarchiques ou républicains, les tendances séparatistes étaient très fortes au Nord, au Nord-Est, au Centre-Sud et au Sud. Tout indiquait l’émergence d’une constellation de nations lusophones.
Cependant, en 1822, les classes dirigeantes régionales émergèrent de la crise coloniale avec un prince héritier portugais comme empereur et sous le talon centraliste et despotique de la Cour à Rio de Janeiro. Les grands propriétaires fonciers provinciaux n’ont même pas obtenu une assemblée provinciale et le droit d’élire le président de la province. A l’exception de l’Assemblée nationale, fermée et castrée par Pedro Ier en 1823, peu de choses ont changé par rapport au Brésil, royaume uni au Portugal, de Dom João VI.
-Ceci est une réplique du tableau sur le Jour de l’Indépendance
-Hé Tata, ça veut dire quoi, Made in China ?
Cabral découvre le Brésil
L’historiographie brésilienne présente comme un paradoxe l’indépendance unitaire, centraliste, antilibérale, malgré les forces centrifuges provinciales. En général, cette contradiction est dissimulée par une lecture téléologique du passé, dans laquelle le Brésil apparaît déjà prédestiné, déjà fait, tout prêt, comme il est apparu en 1822 et comme il continue aujourd’hui, dès que Cabral a foulé les sables alors non pollués de la côte bahianaise actuelle. L’indépendance du Brésil et l’unitarisme sont des enfants jumeaux du même œuf, l’ordre esclavagiste. Ils se sont établis pour garder les travailleurs asservis dans la soumission et pour que d’autres ne cessent pas d’arriver, par vagues, pour connaître le triste sort du travail captif au Brésil.
En 1820, lorsque la Révolution libérale de Porto a tenté son projet de recolonisation, le Royaume du Brésil était toujours la région la plus strictement esclavagiste des Amériques. Il importait le plus grand nombre de travailleurs réduits en esclavage et avait la production effectuée par une main d’œuvre servile la plus diversifiée. Toutes ses régions reposaient sur l’esclavage, de manière plus ou moins intensive. Pour les classes dirigeantes de toutes ces régions, le problème qui se posait était de comment réaliser l’indépendance sans menacer l’ordre esclavagiste.
L’indépendance des principales provinces allait conduire à une forte guerre pour les limites. La République du Rio Grande do Sul s’efforça d’étendre ses frontières jusqu’à São Paulo, qui avait également l’intention d’avaler le Paraná et Santa Catarina. Et ainsi de suite. Les captifs seront mobilisés pour combattre dans les armées des nouvelles républiques. La guerre était celle des exploiteurs, la mort, celle des exploités. Les esclaves profiteront de la guerre pour fuir et se rebeller, comme ils l’avaient fait en Haïti, en 1804, et lors de l’invasion hollandaise du Nord-Est, en 1630, qui avait donné naissance à la confédération des quilombos de Palmares. Séparées, certaines petites nations seront reconquises par le Portugal. D’autres s’inclineront devant l’abolitionnisme britannique de la traite négrière. Ceux qui abolissaient l’esclavage recevaient les captifs évadés, comme les républiques voisines l’avaient déjà fait.
L’indépendance unitaire, monarchique, autoritaire et centralisatrice s’est déroulée sous la houlette conservatrice des grands planteurs et négriers. Les idéaux républicains, séparatistes et fédéralistes provinciaux ont été réprimés. Les grands esclavagistes rompirent avec la couronne et l’absolutisme lusitanien et intronisèrent l’héritier autoritaire du royaume portugais, assurant les intérêts de la maison des Bragança et des marchands lusitaniens ancrés au Brésil. Ils sont restés unis pour garantir le plein approvisionnement et la dure exploitation des esclaves.
Purée, après l’indépendance, notre vie s’est sacrément améliorée !
Promesse non tenue
Les forces fédéralistes libérales et régionales ont reçu la promesse que l’autonomie provinciale serait discutée lors de l’Assemblée constituante, convoquée avant même l’indépendance. Cependant, en novembre 1823, Dom Pedro mit fin au régime constitutionnel et aux espoirs fédéralistes et libéraux, par le coup d’État militaire du Brésil. Les provinces ont commencé à connaître le talon de la botte Rio de Janeiro. En 1824, l’Empereur noya dans le sang la révolte libérale et séparatiste du Pernambouc, exécutant ses dirigeants sans procès. Les dirigeants de la Confédération de l’Équateur n’ont jamais proposé l’abolition de l’esclavage.
La constitution autoritaire et centralisatrice imposée par Pedro Ier interprétait les souhaits des grands esclavagistes de toutes les provinces, qui ne voulaient pas du libéralisme ou de la démocratie, même limitée aux riches. Ils acceptaient le talon de l’empereur, pourvu qu’ils puissent rester les seigneurs avec droit de vie et de mort sur leurs travailleurs. Le 7 septembre 1822, une nation est née dans laquelle l’esclavage se maintiendra jusqu’en 1888. Le Brésil a été le dernier pays au monde à abolir l’esclavage colonial. En 1822, c’est l’indépendance des esclavagistes qui a été proclamée contre les esclaves. Le Brésil attend toujours une émancipation promue par les travailleurs, les salariés et les hommes et femmes de bien, dans laquelle enfin la nation ne soit plus la terrible marâtre de ses enfants.