Un jeune Palestinien perd une jambe suite à des tirs israéliens : ses parents se voient interdire l’accès à son chevet
Gideon Levy 29/07/2019 |
Pendant ses 25 jours à l’hôpital, Mahmoud Salah, 14 ans, était également en détention: son père ne pouvait pas le voir, et la moitié du temps, sa mère se voyait allouer 30 minutes de visite par jour.
Tradotto da Fausto Giudice
Il dort sur le canapé du salon. C’est le début de l’après-midi. Ses parents expliquent qu’il est revenu épuisé de son traitement d’hydrothérapie. Son visage est enterré dans le canapé, une jambe repose sur l’accoudoir, tandis que le moignon de sa jambe, amputée sous le genou, repose sur le coussin. Les béquilles sont par terre.
C’est dur de le réveiller, presque impossible. Il a une coupe de cheveux à la mode, il porte un T-shirt branché, et au pied de sa seule jambe entière, qui est graciles, il porte une basket à la mode. L’ adolescent est plongé dans une sieste profonde.
Les membres de cette famille de la ville d’Al-Khader, près de Bethléem, sont toujours traumatisés par la fusillade, la blessure, l’amputation et les 25 jours d’hospitalisation du garçon en détention, sans son père et avec des soldats qui ont éloigné sa mère à son chevet durant la moitié de cette période. Deux fois, ils ont même demandé à la police de la jeter hors de l’hôpital.
Un garçon perd une jambe après avoir été abattu par des soldats, et ses parents n’ont pas le droit d’être avec lui. Son père, un ouvrier du bâtiment titulaire d’un permis d’entrée de longue durée pour entrer en Israël et y passer la nuit, a néanmoins été considéré comme un risque pour la sécurité et n’a pu voir son fils. À l’hôpital, les soldats ont laissé entrer sa mère dans sa chambre une demi-heure par jour pendant la période la plus difficile, sur le plan médical, de son hospitalisation-détention.
Bizarrement, lorsque le garçon est sorti de l’hôpital, les soldats sont partis et la détention du dangereux terroriste a également pris fin. Le tribunal militaire de la prison d’Ofer l’a libéré sous caution de 1 000 shekels (+254€, 283$). Sa mère dit que toutes ses 57 années de vie ne sont rien comparées aux 25 jours de tourments qu’elle a passés devant la chambre de son fils dans le service des enfants du Centre médical Shaare Zedek à Jérusalem, sans pouvoir s’occuper correctement de lui.
Mahmoud Salah, 14 ans, est en 9e année. Son frère aîné Ahmed, 36 ans, est le père d’un bébé et sa femme est enceinte. Ahmed est à la prison d’Ofer depuis avril, mais personne ne sait pourquoi.
La famille vit dans un bel appartement à Al-Khader, le mur de séparation se dresse sur la colline voisine. Le père, Hussein, 60 ans, travaillait en Israël jusqu’à l’incident. Le jour où son fils a été abattu, il travaillait à Petah Tikva près de Tel Aviv. Sa femme, Aisha, est femme au foyer.
Ils ont deux fils et quatre filles, dont deux, Amira et Amina, sont arrivées de l’étranger après que leur petit frère eut été blessé par balle, détenu puis renvoyé de l’hôpital. Amira vit en Arabie Saoudite, Amina aux USA. La petite-fille, Jori, qui est arrivée d’Arabie Saoudite avec sa mère, regarde un dessin animé sur le téléphone de sa mère, très fort.
Le 21 mai. Ramadan. Mahmoud s’est réveillé tard, l’après-midi. Après le repas de l’iftar qui terminait la journée de jeûne, il se doucha et sortit. Il était environ 21 heures. Une demi-heure plus tard, deux garçons de son âge se sont présentés à la maison, effrayés et désemparés, pour dire à la mère de Mahmoud qu’il avait été blessé.
Aisha était à la maison avec sa fille de 13 ans, Ala. Son mari dormait à Petah Tikva sur le chantier où il travaillait. Arwa, la quatrième fille, qui habite à proximité, a dit par la suite qu’elle avait entendu des coups de feu venant de la direction du mur mais qu’elle n’en avait pas tenu compte. Personne n’imaginait que Mahmoud avait été abattu.
Quand elle parle avec nous, Aisha porte une robe noire traditionnelle et un hidjab écarlate. Ce jour-là, en mai, lorsqu’elle a appris que son fils avait été blessé, elle a mis l’hidjab et s’est précipitée pour le chercher. Elle a couru vers le mur de séparation, qui est visible de la fenêtre de leur maison à flanc de colline, mais les voisins lui ont dit que l’accès était bloqué à cause de l’incident. Un témoin oculaire lui a dit que les soldats avaient déjà déplacé son fils de l’autre côté du mur, en Israël.
Un ambulancier du Croissant-Rouge qui l’a vue lui a proposé de l’escorter. La route était fermée à la circulation. L’ambulance du Croissant-Rouge a tenté d’atteindre le garçon blessé. L’ambulancier a suggéré qu’Aisha attende sur le bord de la route, ce qui pourrait faciliter la libération du garçon par les soldats. Mais l’ambulancier est vite revenu lui dire qu’il n’avait pas été autorisé à rejoindre son fils. Il n’avait aucune idée de son état.
Aisha est rentrée chez elle et a lu sur Facebook que Mahmoud avait été emmené dans un hôpital à Jérusalem, Hadassah ou Shaare Zedek. Pendant ce temps, l’appartement s’est rempli de monde. Hussein, le père, est parti du chantier de Petah Tikva et est finalement arrivé à 4 heures du matin. Aisha, profondément affligée, ne dormait pas du tout, inquiète pour son fils. Tôt le matin, elle se précipita dans les bureaux de la Croix-Rouge et au Club des prisonniers palestiniens à Bethléem, pour essayer de savoir où était Mahmoud. Au début, personne ne le savait, mais on lui a finalement dit qu’il était à Shaare Zedek. Aisha partit pour Jérusalem.
Elle s’est rendue à l’hôpital et a cherché Mahmoud, d’abord aux urgences, où elle est allée de lit en lit à la recherche d’une personne qui parlait arabe et pouvait l’aider. Mais sa fille Arwa a appelé pour dire qu’un avocat du Club des prisonniers était déjà au chevet du garçon, au septième étage, dans l’unité de soins intensifs pour enfants. Un médecin et une assistante sociale de l’hôpital l’ont accompagnée et lui ont expliqué que la jambe de son fils était en danger, mais qu’on faisait tout pour la sauver. Elle dit qu’elle n’a rien entendu, elle voulait juste voir Mahmoud. Aisha raconte tout cela en détail, comme si les détails changeaient quelque chose.
Deux soldats montaient la garde autour de Mahmoud, qui était dans un coma artificiel, et ce n’est qu’après l’intervention du personnel de l’hôpital que sa mère fut même autorisée à le voir. À la vue de son fils – inconscient, les tubes sortant de son corps, la jambe bandée en suspension dans l’air – elle hurla hystérique. Les soldats ont refusé de la laisser prendre une photo pour qu’elle puisse l’envoyer à son père et à ses sœurs, mais elle l’a fait en secret et a envoyé les images à Al-Khader, en Arabie saoudite et aux USA. Plus tard, les soldats l’ont également empêchée de faire parler Mahmoud à son père au téléphone.
Dans les jours qui suivirent, sa mère ne fut autorisée à entrer dans sa chambre que pour de brefs séjours. Au début, il était encore dans un coma artificiel. Le quatrième jour de son hospitalisation, Aisha a appris qu’il n’y avait plus aucune chance de sauver sa jambe. La balle avait endommagé la plupart des vaisseaux sanguins de sa jambe ; les efforts de pontage des chirurgiens avaient échoué.
Aisha a signé un formulaire de consentement pour l’amputation de la jambe de Mahmoud, en-dessous du genou. Tout au long de son hospitalisation, elle a été seule à Shaare Zedek – la demande de Hussein de la rejoindre a été rejetée malgré son âge avancé et son permis d’entrée permanente en Israël. Le père était devenu un risque pour la sécurité – peut-être qu’il essaierait de venger les coups de feu sur son fils alors que le garçon était encore aux soins intensifs dans un hôpital israélien. La routine.
Elle s’est assise seule à côté de la salle d’opération de la même façon qu’elle s’est assise seule à côté de sa chambre, lisant des versets du Coran et priant pour lui. Après sa sortie de chirurgie, Mahmoud était dans les vapes et ne se rendait pas compte qu’il avait été amputé. Quatre jours plus tard, il a été opéré de nouveau, et c’est alors seulement qu’il a découvert, en tâtonnant avec sa main, qu’il lui manquait une jambe.
Il s’est mis à crier, dit Aisha, à s’arracher les cheveux, à se cogner et à se pincer. Il en voulait à sa mère de lui avoir caché la nouvelle de l’amputation. “Où est ma jambe ?”, criait-il encore et encore. “Où est ma jambe ?”
Quatre jours plus tard, il a été transféré dans un service régulier, où Aisha a été autorisée à rester à ses côtés et à l’aider dans ses soins. Les soldats n’ont jamais quitté son chevet. Par deux fois, ils ont demandé à voir un permis d’entrée – ce qu’elle n’avait pas – et ont appelé la police. Elle a expliqué aux officiers qu’elle était entrée légalement en Israël ; à son âge, elle n’a pas besoin de permis. Le personnel de l’hôpital l’a soutenue et a insisté auprès des soldats sur l’importance pour la mère d’être avec son fils.
Elle a passé 12 jours dans la salle d’attente et 13 jours dans la chambre de son fils, dormant sur un fauteuil à côté de son lit. Le jour de l’Aïd al-Fitr, la célébration marquant la fin du Ramadan, elle était seule dans cet hôpital étranger. Chaque fois qu’elle devait quitter la pièce, Mahmoud criait : “Ne me laisse pas !”
Lorsque son état physique – à la différence du mental – s’est amélioré, un interrogateur, probablement du service de sécurité du Shin Bet, est arrivé pour l’interroger. Le 21e jour de son hospitalisation, en son absence, le tribunal militaire d’Ofer s’est réuni pour discuter de la prolongation de sa détention.
On parle ici d’un garçon de 14 ans qui a perdu une jambe. L’armée soupçonnait qu’il avait lancé une bombe incendiaire au-dessus du mur sur la route adjacente. Il a dit qu’il jouait au football avec ses amis ce soir-là et qu’il s’était approché du mur pour récupérer le ballon.
Alors que Mahmoud subissait sa troisième opération, Arwa a téléphoné à Aisha pour lui dire que le tribunal allait le libérer sous caution. Deux autres jours se sont écoulés pendant qu’ils recueillaient l’argent de la caution, les soldats sont partis, et Mahmoud a quitté l’hôpital dans un fourgon de police. Aisha a demandé aux officiers de les déposer au Checkpoint 300 à l’entrée de Bethléem, qui est près de leur domicile, mais ils ont insisté pour les emmener au checkpoint éloigné de Qalandiyah. Il y avait beaucoup de joie à la maison. Les sœurs de l’étranger sont arrivées quelques jours après le retour de leur frère.
L’Unité du porte-parole des FDI a fait la déclaration suivante à Haaretz cette semaine : « Le soir du 21 mai 2019, des soldats des FDI ont identifié des suspects qui avaient l’intention de lancer des bombes incendiaires vers la route 60, près du village d’Al-Khader, qui se trouve dans le district d’Etzion. Les soldats ont agi conformément aux règles d’engagement et blessé l’un des suspects, qui était sur le point de lancer une bombe incendiaire sur la route. Le suspect a été arrêté, a reçu des soins médicaux des soldats et a été évacué peu de temps après pour recevoir d’autres soins médicaux.
« La détention provisoire du suspect, qui était représenté par un avocat, a été prolongée à plusieurs reprises par le tribunal militaire, qui a déterminé qu’il y avait des éléments de preuve liant le suspect aux allégations portées contre lui. Le 13 juin 2019, avec l’approbation des parties, et compte tenu de son état de santé, le suspect a été libéré sous caution. »
Mahmoud suit maintenant une thérapie tous les deux jours et attend de trouver une organisation qui l’aidera à obtenir une prothèse ; pour pouvoir la faire ajuster, il devra peut-être partir à l’étranger. Quand il se réveille de sa sieste sur le canapé et qu’il voit deux Israéliens dans le salon, il est étonné et n’émet pas un son.