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« L’antisémitisme est un crime tandis que l’anti-sionisme est un devoir »

Sai Englert 19/Février/2019
L’antisémitisme n’est pas la même chose que l’antisionisme. Voici deux termes différents qui sont régulièrement utilisés de façon interchangeable dans les débats actuels, de sorte que vous pourriez être surpris d’apprendre qu’ils signifient des choses complètement différentes.

Récemment, Marc Lamont Hill, militant, universitaire et journaliste états-unien, a été licencié de CNN pour avoir lancé un appel à l’ONU en faveur d’une Palestine libre du fleuve à la mer. Plus tard, d’autres ont aussi réclamé qu’on lui retire son poste d’enseignant. La raison avancée était que l’appel de Lamont Hill était antisémite.
« Alors que la déclaration universelle des droits de l’homme affirme que tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits, l’État-nation israélien continue de restreindre la liberté et de miner l’égalité des citoyens palestiniens d’Israël ainsi que ceux de Cisjordanie et de Gaza. »
Pourtant, son discours et ses travaux de longue date ne sauraient être plus clairs sur le fait qu’il faisait référence à la création d’un seul état, unifié, laïque et démocratique entre le Jourdain et la Méditerranée pour tous ses habitants. La seule façon d’en faire un propos antisémite c’est de ne pas faire de distinction entre l’État d’Israël et la population juive du monde entier, approche extrêmement problématique.
L’antisémitisme se rapporte aux idées et aux comportements discriminatoires envers les juifs, les prennent pour cibles ou leur nuisent parce qu’ils sont Juifs. Les affirmations selon lesquelles les Juifs sont avares, qu’ils gouvernent le monde, ou qu’ils dirigent les banques sont antisémites. De même, les attaques physiques ou verbales contre le peuple juif en raison de sa judéité sont antisémites. 
L’antisionisme en revanche est une idéologie politique, qui – comme son nom l’indique – est opposée au sionisme. Le sionisme est un mouvement politique né à la fin du 19ième siècle, avançant que la seule façon pour les juifs d’échapper à l’antisémitisme européen était de former leur propre état. Cet état ils l’ont bâti en Palestine, et malgré une opposition interne minoritaire, ils l’ont fait aux dépends de ceux qui vivaient déjà dans le pays: les Palestiniens. La création d’Israël, fruit des efforts du mouvement sioniste, eut lieu en 1948 avec en toile de fond l’expulsion de plus de 700 000 Palestiniens et la destruction d’au moins 400 villages. Ces injustices se poursuivent aujourd’hui : l’expansion des colonies en Cisjordanie, le blocus meurtrier de Gaza, ou les plus de 60 lois qui ciblent spécifiquement les citoyens palestiniens d’Israël sont toujours en vigueur et appliqués au nom du sionisme.
Ce que les antisionistes réclament donc, c’est que tous les habitants de la Palestine historique, juifs, chrétiens, et musulmans, Palestiniens et non-palestiniens jouissent de droits égaux quelle que soit leur race, leur religion ou leur origine ethnique. Ce que l’état israélien et le mouvement sioniste continuent de refuser. Malheureusement, l’antisionisme est aujourd’hui souvent assimilé à l’antisémitisme. Il devrait, cependant, être clair qu’ils n’ont rien à voir l’un avec l’autre. Le premier rejette l’idée d’un état fondé sur une suprématie ethnique ou religieuse. Le second hait les juifs en raison de leur judéité. Faire l’amalgame entre antisionisme et antisémitisme repose sur une série de postulats qui ne devraient jamais être acceptables. 
Premièrement, que tous les juifs sont sionistes ou que les sionistes parlent au nom de tous les juifs, c’est là une idée essentialiste, foncièrement raciste qui suppose qu’un groupe entier de personnes peut être rangé derrière une même bannière idéologique. Rien n’est moins vrai. Israël ne représente pas les opinions de tous les juifs. De nombreux juifs dans le monde sont antisionistes pour des raisons religieuses ou/et politiques tandis que d’autres peuvent ne pas savoir grand-chose du sujet et ne pas avoir d’opinion.
Deuxièmement, que tous les sionistes sont juifs. Une fois de plus, rien n’est moins vrai. Par exemple, il y a beaucoup de sionistes chrétiens, en particulier aux États-Unis, tandis que de nombreux hommes et femmes politiques et de partis politiques à travers le monde sont sionistes. Ceci n’a rien à voir avec le judaïsme, mais avec la politique étrangère et les étroites alliances que ces pays ont avec Israël.
Finalement, l’amalgame entre les deux idées suppose souvent que le sionisme n’affecte que les juifs. Cette interprétation, souvent répétée dans les débats actuels, gomme le fait que les premières victimes du mouvement sioniste, ont été et sont toujours les Palestiniens.
Leur rejet du sionisme, leurs revendications de droits égaux et leur souhait de pouvoir retourner dans leur foyer d’où ils ont été expulsés n’ont rien à voir avec le judaïsme ou les juifs en aucune façon. Ils ont tout à voir, au contraire, avec leur opposition au projet de colonisation de peuplement qui continue de les déposséder et de les opprimer sur leur propre terre.
L’antisionisme est donc avant tout une forme de solidarité avec les revendications d’un peuple colonisé qui continue de lutter pour sa liberté. Il y a un principe simple et pourtant très puissant, qui affirme que personne n’est libre, tant que nous ne sommes pas tous libres. De ce point de vue la lutte contre l’antisémitisme et celle contre le sionisme ne sont qu’une seule et même chose. Elles sont toutes deux des luttes contre le racisme et la suprématie ethnique, en un mot contre l’injustice. Comme le dit un vieux slogan : l’antisémitisme est un crime, l’antisionisme un devoir. 
* Sai Englert est enseignant-chercheur au Département de politique et d’études internationales à la SOAS University of London. 
14 février 2019- Middle East Eye – Traduction: Chronique de Palestine – MJB