Gaza : des besoins chirurgicaux urgents pour les blessés de la «Marche du retour»
french.palinfo 24/Février/2019 |
Les équipes de Médecins Sans Frontières à Gaza sont à l’œuvre pour tenter de soigner des centaines de Palestiniens blessés lors de la «Marche du retour».
De nombreux patients ont perdu d’importants morceaux d’os de leur jambe, parfois dix centimètres ou plus, pulvérisés par des balles tirées par l’armée israélienne. Les ressources médicales disponibles à Gaza sont limitées et rendent ce défi extrêmement compliqué, voire impossible dans certains cas. La possibilité de référer les patients qui le nécessitent vers des hôpitaux étrangers s’avère plus que nécessaire.
Deux centimètres d’os manquant. C’est ce que les chirurgiens MSF de l’hôpital al-Awda, à Jabalia, dans le nord de Gaza, ont constaté lorsqu’ils ont ouvert le tibia de Yousri (*).
L’opération de chirurgie orthopédique qu’il a subie était délicate. Le Dr. Hiroko Murakami, chirurgienne MSF, a d’abord incisé l’épiderme avec son scalpel afin d’accéder à l’os. Elle a ensuite utilisé un marteau et un burin pour extraire un morceau conséquent de hanche, qui allait ensuite être soigneusement remodelé et placé dans la jambe de Yousri. « Il faudra au moins deux à trois mois pour que les os fusionnent, explique le Dr. Murakami. Voire plus. Ensuite, on verra si tout est en ordre, et si c’est le cas, alors on pourra retirer le fixateur externe [qui soutient sa jambe, NDLR] et le patient pourra entamer les soins de kinésithérapie. C’est un long processus. » Malgré le trou béant laissé par la balle dans son tibia, le cas de Yousri était relativement simple.
Des milliers de blessés
Durant les manifestations, organisées le long du grillage qui sépare Gaza d’Israël depuis le 30 mars 2018, 6 174 personnes ont été blessées par des balles réelles tirées par l’armée israélienne. Près de 90 % d’entre elles ont été blessées au niveau des membres inférieurs.
Médecins Sans Frontières a fourni des soins à environ la moitié des blessés de la « Marche du retour », à la suite de leur traitement initial dans les hôpitaux locaux, et les blessures que MSF rencontre sont particulièrement graves. Dans la moitié des cas, les patients présentent des fractures ouvertes complexes, dans lesquelles l’os est visible, et la plupart des autres souffrent de graves lésions des nerfs et des tissus. De nombreux patients ont perdu d’importants morceaux d’os de leur jambe, parfois dix centimètres ou plus.
Lorsque le trou est plus conséquent, comme les six centimètres manquant dans le tibia de Salim*, on ne peut pas procéder immédiatement à une greffe osseuse. Le Dr. Mohammed Obaid, chirurgien MSF à Gaza, détaille ce cas complexe : « Le patient présentait une blessure ouverte, sans peau, donc il y a quatre semaines, le chirurgien plasticien a recouvert la plaie de tissus musculaires prélevés dans une autre partie de la jambe. Maintenant, nous allons rouvrir la plaie, la nettoyer et insérer du ciment osseux à l’intérieur. » Au début, les chirurgiens massent doucement le ciment osseux pour le faire entrer dans le trou osseux et lui donner la forme requise. Ensuite, il durcit rapidement et, pendant six à huit semaines, prépare le patient à recevoir une greffe osseuse.
« Quand on est certain qu’il n’y a pas d’infection dans l’os, et que le tissu avec lequel on a recouvert la plaie est en bon état, alors on peut rouvrir la zone, retirer le ciment et insérer l’os », explique le Dr. Obaid.
Il a été blessé par l’armée israélienne en juillet 2018 : la balle a emporté un gros morceau d’os juste en dessous du genou. Les chirurgiens ont dû prélever une partie de l’os de sa hanche pour combler ce trou et lui permettre de marcher à nouveau.
Pour les patients les plus gravement touchés, toutefois, le traitement nécessaire est très difficile à obtenir à Gaza, un territoire soumis à un blocus depuis dix ans et isolé depuis bien plus longtemps. Par conséquent, MSF transfère également des patients de Gaza vers son hôpital de chirurgie reconstructrice à Amman, en Jordanie. Mais ce processus requiert l’autorisation de quitter la bande de Gaza, qu’il faut demander à diverses autorités : autorisation souvent non accordée.
Toutefois, MSF a récemment pu envoyer son premier patient blessé lors de ces manifestations, Eyad, 22 ans, hors de Gaza. Il a été touché par une balle le 14 mai – jour le plus meurtrier des manifestations – et nécessite une greffe osseuse et de la chirurgie reconstructrice pour réparer les lésions sur sa jambe. Le système de santé à Gaza ne peut offrir ce type d’opérations qu’à un nombre très restreint de patients.
« Un jour, la semaine dernière, j’étais fatigué et déprimé parce que l’opération semblait très lointaine, raconte Eyad. Mais le soir-même, MSF m’a appelé et m’a dit “Eyad, jeudi tu quittes la bande de Gaza.” Depuis ce jour, je suis rempli de bonheur, non seulement pour moi, mais aussi pour ma mère, mes frères, ma famille et tous mes proches. Je n’arrive pas à y croire. » Il est désormais hospitalisé à Amman, où il a entamé un long processus de reconstruction : une suite d’opérations qui lui permettront, si tout se passe bien, de vivre normalement.
De nombreux autres patients nécessitent une attention médicale continue, mais avec le temps qui passe, le risque d’infection s’accroît, et avec lui, le risque de perdre un membre. MSF soigne encore 900 personnes à Gaza souffrant de blessures par balle. Bien que ce chiffre soit inférieur au pic observé lors des manifestations, Médecins Sans Frontières effectue plus d’opérations que jamais : 302 en décembre, contre 109 en avril 2018, ce qui montre que les besoins chirurgicaux des blessés les plus graves évoluent avec le temps.
Les risques médicaux de plus en plus graves auxquels sont confrontés les patients blessés depuis mars dans les manifestations sont la raison pour laquelle MSF augmente ses capacités d’intervention à Gaza et tente d’envoyer davantage de patients se faire soigner à l’étranger. Toutefois, les besoins de ces patients restent trop importants pour MSF et les autres acteurs du secteur de la santé à Gaza. Il reste donc beaucoup à faire si l’on ne veut pas que des centaines de patients aient à subir des répercussions qui les affecteront le reste de leur vie.
(*) Les prénoms ont été modifiés.
24 janvier 2019 – Médecins Sans Frontières