Le médecin n’a pas à être le juge du droit des femmes à disposer de leur corps
Odile Buisson 19/09/2018 |
Un gynécologue ou un obstétricien qui pratique une interruption volontaire de grossesse ne “retire pas une vie”: il en préserve une, celle d’une femme en grande difficulté.
Le Dr Bertrand de Rochambeau, président du Syngof* a déclenché une vive polémique en déclarant que pratiquer une IVG c’est “retirer une vie”. Il se trouve que beaucoup de médecins ne sont pas d’accord avec ce point de vue.
Un gynécologue ou un obstétricien qui pratique une interruption volontaire de grossesse ne “retire pas une vie”: il en préserve une, celle d’une femme en grande difficulté.
Si quelqu’un en doute, il lui suffit de se tourner vers un passé pas si lointain (celui d’avant la Loi Veil) ou encore de constater la triste situation des femmes dans les pays où l’IVG est interdite.
La morale religieuse (“Tu ne tueras point”), l’injonction nataliste ou le contrôle des femmes ont formé le ciment de l’interdiction de l’IVG. Pourtant, les médecins ont sont souvent été confrontés à son ultime conséquence: des filles et des femmes, mortes pour s’être avortées elles-mêmes ou s’être rendues chez la “faiseuse d’ange”. Hémorragies, perforations utérines, plaies vaginales, infections, septicémies et chocs toxiques ont rythmés le travail des gardes médicales. Il n’est pas exagéré de dire que l’interdit de l’IVG, dans la mesure où ses conséquences sont parfaitement connues, vient volontairement créer les conditions d’un féminicide passif. On ne tue pas directement, on les laisse volontairement se tuer pourvu que la morale soit sauve. Dans un communiqué de presse du 26 septembre 2014,le Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes fait état de 49% d’avortements non médicalisés dans le monde et de 47000 décès par an. Cela démontre bien que nous devons refuser qu’un principe moral (“tu ne tueras point”) vienne inférer que la vie d’un embryon vaut davantage que celle de la femme qui le porte.C’est du reste avoir la conscience bien courte que de brandir un principe moral sans considérer les conséquences délétères de son application rigoureuse. Toute morale n’est pas systématiquement bonne en soi au mieux est-elle bonne pour soi et encore…
De plus, la sémantique compte. Dire que pratiquer une IVG c’est “retirer une vie” c’est indirectement dire que celui qui pratique le geste est un “tueur”. La radicalité de la phrase intimide autant qu’elle peut culpabiliser. Ne serait-elle pas dite pour cela? Pour précisément conjurer cet acte qui effraye les moralistes tant il vient insulter Dieu et contrecarre Sa Création? Mais Dieu s’en remettra! Tandis que pour les femmes c’est moins sûr…
Les femmes se sont battues pour avoir accès à l’IVG et la République leur a enfin donné ce droit: aucune morale personnelle ne devrait venir l’entraver et aucun jugement de valeur ne devrait poindre lors d’un parcours d’IVG.Par ailleurs quand une femme décide d’interrompre sa grossesse, elle n’a de compte à rendre à personne, médecin y-compris. Ce dernier connait-il ses difficultés psychiques ou matérielles? Peut-il les partager au quotidien? Que sait-il des secrets de sa patiente? Confronté aux mêmes difficultés, les supporterait-il lui-même?
Le médecin n’est pas juge du droit des femmes à disposer de leur corps.
Cependant si les convictions personnelles ne peuvent ou ne veulent s’effacer devant cette éthique médicale et sociale, il doit diriger la patiente vers un confrère qui n’a pas les mêmes inhibitions. Sauf à vivre dans un état totalitaire où le médecin n’est qu’un rouage passif d’une méga machine de santé public, la clause de conscience prévue par la Loi doit être respectée à la lettre. Du reste, il est préférable pour les femmes de ne pas se faire avorter par un médecin agissant sous la contrainte: elles ne seraient guère en sécurité tant le malaise d’un médecin interfère avec la sécurité de son geste. Dans le même esprit, exercer un chantage sur les jeunes internes du genre ” tu ne feras pas d’obstétrique si tu refuses de pratiquer les IVG” est odieux et liberticide d’autant que celui qui refuse de pratiquer des IVG peut être par ailleurs un excellent chirurgien ou un obstétricien tout dévoué à la santé de ses patientes.
Quoiqu’il en soit et pour couper court à toutes polémiques il serait judicieux de graver le droit à l’IVG dans le marbre de la Constitution française. Ce serait un geste fort pour que le droit des femmes à disposer de leur corps ne soit jamais moralement contesté. De plus il obligerait l’Etat à fournir les efforts nécessaires pour que l’accès à l’IVG soit garanti de façon pérenne.
*Syndicat national des gynécologues et obstétriciens de France