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La loi anti “fake news” est pire que le mal qu’elle prétend combattre

Catherine Morin-Desailly 25/09/2018
La proposition de loi “relative à la lutte contre la manipulation de l’information” que vient d’adopter l’Assemblée nationale conjugue deux caractéristiques peu fréquentes: rarement une question d’une telle importance pour nos démocraties n’a été si clairement identifiée; rarement, les mesures envisagées ont suscité un rejet si unanime des professionnels du droit, des journalistes et de la plupart des partis politiques. Une telle réaction doit alerter.

La diffusion massive de fausses informations a parasité toutes les dernières campagnes électorales. Des plus fantaisistes (“Ali Juppé”, les cadavres enterrés dans le jardin d’Hillary Clinton) aux plus pernicieuses (le compte aux Bahamas d’Emmanuel Macron, le soutien de la Reine au Brexit), le spectre est large, les tentatives de manipulation avérées.
Pour autant, le remède proposé par le texte est pire que le mal. Je ne doute pas des bonnes intentions du gouvernement, ou de la volonté de la majorité à l’Assemblée nationale d’apporter des solutions concrètes et rapides. Pourtant, ce texte de circonstance est à la fois inutile, dangereux, et ne traite pas la question au bon niveau.
Il est temps de passer de la vision angélique d’un internet ouvert à tous et allié de la liberté d’opinion à celle d’un internet désormais gouverné par quelques géants américains et détourné par des régimes autoritaires pour déstabiliser nos démocraties.
Inutile, il l’est, car rien n’est évident en matière de fausse information. Que pourra faire un juge en 48 heures, en pleine période électorale, au-delà des cas les plus grossiers, à part donner une publicité inédite à des allégations sorties de nulle part? C’est négliger l’extrême sophistication des campagnes de déstabilisation préparées très en amont.
Dangereux, car le texte crée la suspicion d’une atteinte à la liberté d’expression, à l’heure où d’autres pays adoptent des législations contraignantes en la matière.
Enfin, le vrai sujet n’est qu’effleuré, au prix de contorsions juridiques qui ont animé les débats à l’Assemblée nationale. La clé du problème n’est pas dans la capacité de chacun à dire des choses fausses ou excessives. Si l’on parle aujourd’hui de “fake news”, c’est bien plutôt au regard du potentiel de diffusion sans précédent apporté par les réseaux sociaux. Le texte ne peut le traiter de front, car toute législation nationale tendant à responsabiliser les grandes plateformes se heurte aujourd’hui à un cadre communautaire pensé en 2000, et devenu profondément inadapté près de vingt ans plus tard. Les réponses sont donc partielles.
La clé du problème n’est pas dans la capacité de chacun à dire des choses fausses ou excessives. Si l’on parle aujourd’hui de “fake news”, c’est bien plutôt au regard du potentiel de diffusion sans précédent apporté par les réseaux sociaux.
Il est temps de passer de la vision angélique d’un internet ouvert à tous et allié de la liberté d’opinion à celle d’un internet désormais gouverné par quelques géants américains et détourné par des régimes autoritaires pour déstabiliser nos démocraties. Leur modèle économique repose sur une captation de l’attention des utilisateurs, à l’aide d’algorithmes aussi puissants qu’opaques, qui sélectionnent les contenus les plus adaptés pour chacun, et donc les plus susceptibles d’engendrer des revenus publicitaires. C’est dans cette faille que s’engouffrent les manipulateurs.
Seule une réponse européenne est envisageable. Pour l’heure, la Commission adopte une approche prudente, faisant encore confiance aux plateformes pour faire évoluer leurs pratiques. Cela n’est pas à la hauteur des enjeux.
En l’état, le vrai risque serait de laisser penser que, par l’adoption de mesures disparates et contestables, le vrai problème aurait été résolu. Ce serait effectivement au sens premier du terme, une “fake news”.