A Los Angeles, des compagnons de marche contre la solitude urbaine
Courrier International,
27.05.2018
Pour 30
dollars l'heure, le service de marche à pied fondé par Chuck McCarthy propose
de l'air frais, de l'exercice et quelqu'un à qui parler dans la vie pressée et
parfois solitaire des habitants de Los Angeles.
Chuck
McCarthy avec sa cliente Anie Dee sur les collines de Hollywood,
le 24 mai 2018
- AFP
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McCarthy
pensait initialement "devenir un promeneur de chiens", un petit
boulot très répandu dans les grandes métropoles américaines comme New York ou
Los Angeles où les habitants voyagent beaucoup et embauchent des gens pour
s'occuper de leur animal de compagnie en leur absence
"Je
voyais aussi beaucoup de petites annonces d'entraîneurs personnels de gym.
Alors j'ai dit à ma copine, +peut-être que je vais juste devenir un promeneur
de gens+", ajoute-t-il, lors d'une randonnée sur les collines de Hollywood
surplombant la cité des Angeles.
C'était
une boutade, mais McCarthy a commencé à y penser plus sérieusement, réalisant
qu'il y avait un besoin de socialisation dans la gigantesque métropole
californienne aux dix millions d'habitants.
L'homme,
baraqué et barbe touffue, a démarré The People Walker (le promeneur des gens)
en solo il y a deux ans, mais la demande était telle qu'il compte à présent 35
accompagnateurs dans son équipe et un site internet où les gens peuvent choisir
des trajectoires et des partenaires.
L'isolement
social a été lié à diverses formes de dépression, maladies du coeur, diabète et
cancer et peur raccourcir la vie autant que le tabagisme, d'après certaines
estimations.
Eric
Klinenberg, professeur de sociologie à New York University, a identifié la
cause de cette solitude urbaine lors d'une récente tribune au New York Times:
l'individualisme croissant de la société contemporaine.
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Conversation ou confession? -
L'économie
des employés indépendants (la "gig economy" en anglais) a donné
naissance à une génération de travailleurs qui n'ont pas de routine, ne vont
pas au bureau.
McCarthy
assure que nombre de ses clients sont mariés, ont des enfants, des amis, mais
que leurs horaires ne correspondent pas à ceux de leurs proches. C'est pour son
aspect pratique qu'ils se tournent vers People Walker.
Pour
d'autres, les écrans et les réseaux sociaux ont offert des rapports humains
désincarnés.
Au lieu
de "crier dans le vide de Twitter or Facebook", les clients de M.
McCarthy s'offrent des relations avec des gens en chair et en os qui ne les
jugeront pas et ne parleront pas en mal d'eux.
"C'est
assez similaire à aller faire une confession, dans un bar, voir un psy ou aller
chez le coiffeur", ou d'autres relations tarifées, assure M. McCarthy.
Aspirant
acteur, il refuse coquettement de donner son âge - "disons que j'ai la
trentaine" - mais son affaire florissante l'a quelque peu éloigné des
auditions ces derniers temps: il s'apprête à inaugurer une application pour
smartphones et prévoit d'étendre ses services à travers la Californie... et le
monde.
Ces deux
dernières années, il a marché avec des clients venus de tous horizons quatre ou
cinq fois par semaine, en général pendant une heure, et se décrit comme
quelqu'un qui sait écouter.
"C'est
plus une conversation qu'une confession", remarque-t-il tout en tempérant:
"je ne dirais pas que j'entends les plus noirs secrets ou que certains
fondent en larmes pendant nos marches", plaisante-t-il.
Anie Dee,
la vingtaine et originaire du Wisconsin dans le nord du pays, vit à Los Angeles
depuis sept ans et conduit pour un service de chauffeurs, quand elle ne
travaille pas pour une billetterie de salle de spectacle. Assise toute la
journée, elle a décidé l'an dernier qu'elle voulait faire plus d'exercice.
"J'ai
des problèmes de santé donc marcher longtemps est très difficile pour moi.
Avoir quelqu'un avec moi m'aide à marcher plus loin que je n'aurais jamais
pensé", confie-t-elle.
Elle fait
valoir que ses virées avec McCarthy ont eu un impact positif sur son humeur.
"Quand
on enchaîne les emplois de bureau et qu'on est seule, on ne profite pas
vraiment de l'aspect social du travail", conclut-elle.