Tunisie – Femmes victimes de violences : le salut dans une nouvelle loi
Par Inès Bel Aiba (pour AFP), Le Point Afrique,
26/02/2018
Adoptée
en juillet et entrée en vigueur le 1er février, la nouvelle loi reconnaît,
en plus des violences physiques, les violences morales, sexuelles et
celles relevant de l'exploitation économique.
Des activistes tunisiennes crient des slogans contre les violences faites aux femmes dans une manifestation en mars 2014.. © FETHI BELAID / AFP |
L'horizon
va-t-il se dégager pour les femmes victimes de violences en Tunisie ?
C'est ce qui se profile à l'issue de la nouvelle loi sur les violences faites
aux femmes. Depuis le 1er février dernier, celle-ci est enfin entrée en
vigueur. Il faut dire qu'elle avait été adoptée en juillet de l'année dernière
et depuis les victimes averties de son existence attendaient enfin qu'elle
puisse être appliquée.
Sameh, un
cas emblématique
Pour
demander le divorce, Sameh a attendu pendant des mois l'entrée en vigueur d'une
nouvelle loi en Tunisie contre les violences faites aux femmes. Car le texte,
qui élargit la définition de la violence, pourrait enfin lui rendre justice.
Pendant 15 ans, cette enseignante de 45 ans a dû remettre
l'intégralité de son salaire à son mari. Ce n'est que récemment, lorsqu'elle a
compris qu'« il (la) manipulait », qu'elle s'est rebellée. Mais
depuis, « il veut me rendre folle », raconte à l'AFP Sameh, mère de
deux adolescentes, lors d'un entretien au centre d'écoute pour les victimes de
violences de l'Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD).
« Psychologiquement épuisée » et sous antidépresseurs, Sameh affirme
qu'il lui murmure des insultes à l'oreille pour la pousser à s'emporter devant
ses filles, sans que celles-ci n'entendent la provocation. Consciente des
tensions, son aînée s'est mise à se scarifier.
Sameh a
tenté de demander le divorce il y a deux ans. Son mari refusant une séparation
par consentement mutuel, elle a craint de se retrouver à la rue sans un sou et
de perdre ses enfants, sans être reconnue comme victime. « Les violences
psychologiques sont très difficiles à prouver et il était même possible
qu'elles ne soient pas reconnues. Alors, quand j'ai entendu parler de cette
loi, je me suis dit "voilà ce qui va me rendre justice" », dit
Sameh qui s'apprête enfin, maintenant que le texte est entré en vigueur, à
lancer une procédure de divorce en arguant de violences morales et économiques.
L'aboutissement
d'une longue lutte
Adoptée
en juillet et entrée en vigueur le 1er février, la nouvelle législation élargit
considérablement la définition des violences pouvant être exercées à l'encontre
des femmes. Elle reconnaît, en plus des violences physiques, les violences
morales, sexuelles et celles relevant de l'exploitation économique. C'est
« une avancée réelle (...) qui peut changer des vies »,
« l'aboutissement de 25 ans de lutte des féministes
tunisiennes », se félicite Ahlem Belhadj, de l'ATFD. La Tunisie était déjà
considérée comme pionnière en Afrique du Nord et au Moyen-Orient en matière de
droits des femmes depuis l'adoption en 1956 du Code du statut
personnel, qui a notamment aboli polygamie et répudiation.
Au moins une Tunisienne sur deux a toutefois été victime de violences selon les chiffres officiels, et « ce n'est que la partie visible de l'iceberg » d'après Mme Belhadj. Le nouveau texte pénalise le harcèlement sexuel, l'emploi d'enfants comme employées domestiques et prévoit des amendes pour les employeurs qui paient moins les femmes que les hommes à travail égal. Mais « le hiatus entre la législation et la réalité a toujours existé » en Tunisie, avertit Mme Belhadj. « Il ne suffit pas d'adopter des lois, il faut veiller aux conditions de leur application ». Et le chemin est encore long en l'absence d'un budget spécifique consacré à la mise en place des dispositions de la loi, selon Mme Belhadj.
La
nécessité de changer les mentalités
Le
ministère de l'Intérieur a pris les devants en annonçant la mise en place de
deux unités, opérationnelles depuis le 16 février,
« spécialisées dans les enquêtes liées aux crimes de violences (...)
contre les femmes ». D'autres ministères, comme ceux des Affaires sociales
et de la Santé, doivent faire davantage pour se conformer à la loi, juge Mme
Belhadj. Le texte stipule aussi la création de foyers pour les femmes victimes
de violences mais « ne prévoit aucun mécanisme pour leur
financement », avait déjà regretté l'ONG Human Rights Watch. « Il y a
eu quelques initiatives » avec la mise en place de refuges à Zarzis (sud)
et Gafsa (centre) notamment, « mais c'est nettement insuffisant », affirme
Mme Belhadj.
Il reste
aussi à faire connaître la loi partout dans le pays, en particulier dans les
zones rurales, et à convaincre les sceptiques de l'importance du texte.
« Le problème, c'est notre mentalité », affirme Radhia Jerbi, la
présidente de l'Union nationale de la femme tunisienne (UNFT). À voir des
femmes occuper des postes à responsabilité, certains pensent que la bataille
des droits des femmes est gagnée, a dit Mme Jerbi à la radio Express FM. Or
nombreuses sont celles à être exploitées au quotidien, comme les travailleuses
agricoles, nettement moins payées que les hommes, qu'on transporte « tous
les jours entassées les unes sur les autres dans un camion » au risque de
leur vie, a-t-elle rappelé.