Maladies infectieuses en Inde: ce fléau qui pourrait aider le développement urbain
Oliver
Telle, The Conversation, 12 mars 2018
Si les
sociétés humaines ont été au cœur d’une baisse de mortalité relative au recul
des maladies infectieuses pendant presque d’un siècle, nous faisons dorénavant
non seulement face au maintien de pathologies que l’on croyait en phase de
contrôle (maladies diarrhéiques, tuberculose, peste… etc.) tout en observant
depuis une trentaine d’années l’émergence de nouveaux virus (virus du sida,
Ebola, dengue, West-Nile
virus, H1N1, etc.). Par l’ampleur qu’elles prennent, les épidémies
mondiales interrogent les territoires desquels elles émergent.
sociétés humaines ont été au cœur d’une baisse de mortalité relative au recul
des maladies infectieuses pendant presque d’un siècle, nous faisons dorénavant
non seulement face au maintien de pathologies que l’on croyait en phase de
contrôle (maladies diarrhéiques, tuberculose, peste… etc.) tout en observant
depuis une trentaine d’années l’émergence de nouveaux virus (virus du sida,
Ebola, dengue, West-Nile
virus, H1N1, etc.). Par l’ampleur qu’elles prennent, les épidémies
mondiales interrogent les territoires desquels elles émergent.
À Delhi, sur un chantier urbain en construction, les ouvriers respirent les fumigènes anti-moustiques. Manan Vatsyayana/AFP |
En Inde,
les épidémies de dengue et de chikungunya – deux maladies émergentes transmises
par le moustique
aedes – s’accélèrent. On estime par exemple à plus de 30 millions le nombre
de nouveaux cas de dengue par année tandis que le nombre de cas de chikungunya
aurait augmenté de 390 %
ces trois dernières années. Selon ces récentes estimations, le sous-continent
indien serait le pays concentrant le plus de cas de ces deux maladies.
L’émergence
de ces maladies infectieuses est très souvent posée en termes de processus
biologiques. Cependant, la lecture de ces épidémies ne peut se réduire à cette
dimension : si plusieurs facteurs s’associent dans l’émergence mondiale de
ce type de maladie nul doute que l’urbanisation croissante, les
mutations urbaines et ses multiples déclinaisons y jouent un rôle
crucial.
de ces maladies infectieuses est très souvent posée en termes de processus
biologiques. Cependant, la lecture de ces épidémies ne peut se réduire à cette
dimension : si plusieurs facteurs s’associent dans l’émergence mondiale de
ce type de maladie nul doute que l’urbanisation croissante, les
mutations urbaines et ses multiples déclinaisons y jouent un rôle
crucial.
Moustique
urbanophile
urbanophile
Or, le
moustique qui transmet la dengue, le virus Zika et le chikungunya est
particulièrement urbanophile.
moustique qui transmet la dengue, le virus Zika et le chikungunya est
particulièrement urbanophile.
L’accroissement
constant de l’épidémiologie de ces virus peut donc être directement perçu comme
une conséquence directe de la transition urbaine engagée en Inde depuis une trentaine
d’années.
constant de l’épidémiologie de ces virus peut donc être directement perçu comme
une conséquence directe de la transition urbaine engagée en Inde depuis une trentaine
d’années.
Un autre
facteur entre également en compte : l’intensité sans précédent des
mobilités humaines dans l’espace urbain. Ainsi, quotidiennement, on compte
ainsi plus de 7 millions
de voyageurs dans les trains reliant Mumbai à sa périphérie et 2,5 millions
dans le métro de la capitale, New Delhi.
facteur entre également en compte : l’intensité sans précédent des
mobilités humaines dans l’espace urbain. Ainsi, quotidiennement, on compte
ainsi plus de 7 millions
de voyageurs dans les trains reliant Mumbai à sa périphérie et 2,5 millions
dans le métro de la capitale, New Delhi.
Le
quotidien de millions d’habitants à Mumbai.
quotidien de millions d’habitants à Mumbai.
Des
études réalisées en collaboration par le CNRS, l’Institut Pasteur et le
National Institute of Malaria Research montrent que près de 40 % de la population
de New Delhi, à été infecté au moins une fois dans sa vie par le virus de la
dengue.
études réalisées en collaboration par le CNRS, l’Institut Pasteur et le
National Institute of Malaria Research montrent que près de 40 % de la population
de New Delhi, à été infecté au moins une fois dans sa vie par le virus de la
dengue.
Par
ailleurs, nous avons pu mettre en avant une épidémiologie de virus qui touche
tous les types de quartiers de la ville, quartiers favorisés
–traditionnellement plus protégés- comme quartiers
précaires.
ailleurs, nous avons pu mettre en avant une épidémiologie de virus qui touche
tous les types de quartiers de la ville, quartiers favorisés
–traditionnellement plus protégés- comme quartiers
précaires.
Au
travers des mobilités journalières croissantes, espaces favorisés/défavorisés,
urbains/ruraux, centraux/périphériques sont dorénavant hyper connectés et
partagent les risques sanitaires.
travers des mobilités journalières croissantes, espaces favorisés/défavorisés,
urbains/ruraux, centraux/périphériques sont dorénavant hyper connectés et
partagent les risques sanitaires.
Cette
ubiquité sociale et spatiale constitue une remise en cause d’un modèle
géographique qui pose de lourds problèmes de santé publique, puisque l’on ne
sait trop comment et surtout où contrecarrer ces nouvelles maladies qui
affectent la totalité de la planète.
ubiquité sociale et spatiale constitue une remise en cause d’un modèle
géographique qui pose de lourds problèmes de santé publique, puisque l’on ne
sait trop comment et surtout où contrecarrer ces nouvelles maladies qui
affectent la totalité de la planète.
Densité des cas de dengue recensés à New Delhi en 2008, 2009 et 2010 (Telle et coll., 2016). Olivier Telle, Author provided |
Or, si
les évolutions urbaines sont la matrice des maladies infectieuses émergentes,
on attend également des territoires qu’ils soient résilients vis-à-vis de ces
nouveaux virus. Il apparaît ainsi qu’ils n’ont pas pu s’adapter : non
seulement la diffusion des pathogènes continue sur les territoires à risques,
mais les émergences et la diffusion de nouvelles pathologies ne cessent de
s’accélérer.
les évolutions urbaines sont la matrice des maladies infectieuses émergentes,
on attend également des territoires qu’ils soient résilients vis-à-vis de ces
nouveaux virus. Il apparaît ainsi qu’ils n’ont pas pu s’adapter : non
seulement la diffusion des pathogènes continue sur les territoires à risques,
mais les émergences et la diffusion de nouvelles pathologies ne cessent de
s’accélérer.
Se pose
donc la question de la gouvernance de ces maladies et les errements ayant
conduit à ce manque de résilience avec comme perspective principale les
inégalités de gestions de ces maladies.
donc la question de la gouvernance de ces maladies et les errements ayant
conduit à ce manque de résilience avec comme perspective principale les
inégalités de gestions de ces maladies.
Comment
agir contre une maladie que l’on ne voit pas ?
agir contre une maladie que l’on ne voit pas ?
Les
inégalités sont en effet particulièrement criantes au sein même des grandes
villes et également entre elles.
inégalités sont en effet particulièrement criantes au sein même des grandes
villes et également entre elles.
New Delhi
est officiellement la ville la plus affectée d’Inde parce qu’un système de
surveillance d’envergure y a été implémenté. Plus de
35 hôpitaux sentinelles recensent aujourd’hui le nombre de
patients atteints par la dengue ou le chikungunya. C’est sept fois plus qu’à
Mumbai ou à Chennai – qui sont donc officiellement peu affectées malgré une
diffusion du virus soutenue.
est officiellement la ville la plus affectée d’Inde parce qu’un système de
surveillance d’envergure y a été implémenté. Plus de
35 hôpitaux sentinelles recensent aujourd’hui le nombre de
patients atteints par la dengue ou le chikungunya. C’est sept fois plus qu’à
Mumbai ou à Chennai – qui sont donc officiellement peu affectées malgré une
diffusion du virus soutenue.
À
l’échelle intra-urbaine, ce réseau de surveillance est principalement orienté
dans le cœur du tissu urbain. Les maladies infectieuses sont ainsi beaucoup
mieux gérées à New Delhi que dans les autres municipalités périphériques
pourtant totalement prises dans le tissu métropolitain (Gurgaon, Noida,
Faridabad).
l’échelle intra-urbaine, ce réseau de surveillance est principalement orienté
dans le cœur du tissu urbain. Les maladies infectieuses sont ainsi beaucoup
mieux gérées à New Delhi que dans les autres municipalités périphériques
pourtant totalement prises dans le tissu métropolitain (Gurgaon, Noida,
Faridabad).
Par
ailleurs, les petites villes et villes moyennes restent exclues de ce système
de surveillance alors qu’elles émergent comme des espaces d’habitation
importants (40 % de la population urbaine réside dans des villes de moins
de 100 000 habitants).
ailleurs, les petites villes et villes moyennes restent exclues de ce système
de surveillance alors qu’elles émergent comme des espaces d’habitation
importants (40 % de la population urbaine réside dans des villes de moins
de 100 000 habitants).
Le Dr. Santanu Sen, CDC Global, conduit un entretien en 2013 avec des habitants du Jharkhand, une région à majorité tribale du centre-est de l’Inde, où les épidémies de malaria sont fréquentes. Santanu Sen, CC BY-SA |
Les
territoires et les maladies infectieuses se trouvent ainsi prises dans une
forme de « mondialisation
locale » impliquant une remise en cause des frontières, une
hypermobilité, une diffusion de modèle de ville particulière, etc.
Ce
processus s’oppose à une gestion efficace des épidémies : plus les
maladies deviennent universelles, plus leurs gestions sont fragmentées,
dépendante de l’intégration des territoires et des populations dans les
politiques sanitaires nationales, régionales et urbaines.
processus s’oppose à une gestion efficace des épidémies : plus les
maladies deviennent universelles, plus leurs gestions sont fragmentées,
dépendante de l’intégration des territoires et des populations dans les
politiques sanitaires nationales, régionales et urbaines.
Cette
question de la gouvernance des maladies infectieuses est pour l’instant
relativement absente des études de santé, d’autant plus quand on les approche
au niveau des municipalités.
question de la gouvernance des maladies infectieuses est pour l’instant
relativement absente des études de santé, d’autant plus quand on les approche
au niveau des municipalités.
Si ces
administrations sont en première ligne quand il s’agit de contrôler la
diffusion des maladies infectieuses, elles sont pourtant complètement
délaissées par les scientifiques ou les organismes internationaux lorsqu’il
s’agit de mettre en place des solutions viables.
administrations sont en première ligne quand il s’agit de contrôler la
diffusion des maladies infectieuses, elles sont pourtant complètement
délaissées par les scientifiques ou les organismes internationaux lorsqu’il
s’agit de mettre en place des solutions viables.
Or, si
l’émergence de ces nouvelles maladies est le produit de phénomènes complexes
(hausse des mobilités locales/mondiales, réchauffement climatique, évolutions
virales…), la résilience des territoires se situe précisément dans leur
capacité à maintenir une relative équité spatiale et sociale vis à vis de ce
type de maladie.
l’émergence de ces nouvelles maladies est le produit de phénomènes complexes
(hausse des mobilités locales/mondiales, réchauffement climatique, évolutions
virales…), la résilience des territoires se situe précisément dans leur
capacité à maintenir une relative équité spatiale et sociale vis à vis de ce
type de maladie.
Des patients atteints de la dengue attendent leur traitement dans un hôpital surpeuplé de Siliguri, au nord du Bengal (est de l’Inde), en novembre 2017. Diptendu Dutta/AFP |
En effet,
les inégalités de gestions conduisent inexorablement à une diffusion accrue des
virus, et ce à n’importe quelle échelle (locale, régionale et mondiale), même
dans les espaces a priori les moins vulnérables. Le premier défi majeur de
l’Inde et l’ensemble des pays faisant face à ces risques nouveaux sera ainsi de
rendre visibles les maladies dans des espaces pour l’instant invisibles.
les inégalités de gestions conduisent inexorablement à une diffusion accrue des
virus, et ce à n’importe quelle échelle (locale, régionale et mondiale), même
dans les espaces a priori les moins vulnérables. Le premier défi majeur de
l’Inde et l’ensemble des pays faisant face à ces risques nouveaux sera ainsi de
rendre visibles les maladies dans des espaces pour l’instant invisibles.
À
l’échelle internationale, seules des coopérations pérennes permettront
d’endiguer les épidémies auxquels nous faisons face. L’autre défi de taille est
scientifique. Après avoir étudié l’ensemble des facteurs qui agissent sur la
maladie – dans une perspective évidemment pluridisciplinaire, il s’agit en
effet de proposer des modalités de contrôle adapté à la complexité des
villes : dans les mégalopoles, on ne peut agir partout.
l’échelle internationale, seules des coopérations pérennes permettront
d’endiguer les épidémies auxquels nous faisons face. L’autre défi de taille est
scientifique. Après avoir étudié l’ensemble des facteurs qui agissent sur la
maladie – dans une perspective évidemment pluridisciplinaire, il s’agit en
effet de proposer des modalités de contrôle adapté à la complexité des
villes : dans les mégalopoles, on ne peut agir partout.
Innover
avec les villes
avec les villes
En Inde,
un projet soutenu par le CNRS
et le Center for Policy Research associant virologues, entomologues, géographes
et politologues- propose ainsi une double action. Il s’agit dans un premier
temps de proposer des modalités de contrôle du moustique innovant utilisable
par les services municipaux.
un projet soutenu par le CNRS
et le Center for Policy Research associant virologues, entomologues, géographes
et politologues- propose ainsi une double action. Il s’agit dans un premier
temps de proposer des modalités de contrôle du moustique innovant utilisable
par les services municipaux.
En
analysant dans un second temps les mobilités de millions de citoyens (grâce aux
big data) et en les comparant avec la diffusion des virus, il s’agira
ensuite de pointer les espaces à contrôler. En localisant au mieux ces
dispositifs, il est possible qu’ils aient un impact au-delà du niveau local.
Pour autant, ces modalités de contrôle n’apparaissent viables qu’à court terme.
analysant dans un second temps les mobilités de millions de citoyens (grâce aux
big data) et en les comparant avec la diffusion des virus, il s’agira
ensuite de pointer les espaces à contrôler. En localisant au mieux ces
dispositifs, il est possible qu’ils aient un impact au-delà du niveau local.
Pour autant, ces modalités de contrôle n’apparaissent viables qu’à court terme.
En effet,
pour contrôler durablement ces maladies, il faudra replacer la santé des
habitants au cœur du développement urbain. C’est-à-dire reformer la gouvernance
des maladies et donc des centres urbains, développer les infrastructures
urbaines dans une perspective plus équitable, et surtout développer la ville
pour tous. Bref, investir.
pour contrôler durablement ces maladies, il faudra replacer la santé des
habitants au cœur du développement urbain. C’est-à-dire reformer la gouvernance
des maladies et donc des centres urbains, développer les infrastructures
urbaines dans une perspective plus équitable, et surtout développer la ville
pour tous. Bref, investir.
La tâche
et le coût sont d’envergure, mais en proposant une nouvelle approche et de
nouveaux programmes – la smart cities,
ou la ville durable par exemple- peuvent favoriser le contrôle de ces
épidémies.
et le coût sont d’envergure, mais en proposant une nouvelle approche et de
nouveaux programmes – la smart cities,
ou la ville durable par exemple- peuvent favoriser le contrôle de ces
épidémies.
Il
s’agira pourtant de s’assurer que ces programmes ne soient pas concentrés aux
territoires les plus favorisés, au risque de n’avoir qu’un impact modéré.
Considérons ces épidémies comme un fléau, mais aussi comme une chance :
dans un contexte ou celles-ci ne reconnaissent plus de frontières
administratives et surtout sociales, il est possible que ces maladies
infectieuses puissent finalement impacter positivement le développement urbain
vers la ville pour tous.
s’agira pourtant de s’assurer que ces programmes ne soient pas concentrés aux
territoires les plus favorisés, au risque de n’avoir qu’un impact modéré.
Considérons ces épidémies comme un fléau, mais aussi comme une chance :
dans un contexte ou celles-ci ne reconnaissent plus de frontières
administratives et surtout sociales, il est possible que ces maladies
infectieuses puissent finalement impacter positivement le développement urbain
vers la ville pour tous.