Prisonnière d’un homme, on n’osait pas m’aider parce que j’étais “sa femme”
Rachel Khan 28/02/2018 |
Après, c’était toujours les mêmes mots: “ça recommencera plus”, “pardon”, “mais tu sais moi je suis comme ça et tu es la femme de ma vie, je ne peux pas vivre sans toi, tu sais”.
Et puis d’années en années, alors que la violence était au rendez-vous de manière régulière, il y avait des variantes: “c’est du passé mon amour et je fais des efforts, pourquoi tu ne vois que le mauvais côté des choses”.
Effectivement, mise à part la dernière fois où il m’a retenu enfermée chez lui, entre deux crises il ne l’était pas… violent. Et puis, il m’aime, il l’a dit, il ne faut pas lui en vouloir il est comme ça, différent parce que pas pareil, alors c’est sur, cette fois on est dans le présent, ça ne recommencera plus.
Pourtant, je voyais bien que malgré les mots je ne vivais pas une vie amoureuse normale.
Plus le temps passait plus son appartement devenait l’antre de la terreur laissant s’exprimer une violence sourde, sans trace, rien de spectaculaire, celle qui retient vivement par le bras, qui vous crie dessus vous empêchant de faire le moindre geste, qui vous ordonne d’être assise, de surtout le regarder, une violence petite et faible mais qui fait si mal à l’âme.
Une fois dans la rue les policiers sont arrivés. Mais combien d’autres fois ai-je demandé de l’aide aux passants sans que personne ne bouge, tout simplement parce qu’il leur expliquait d’un ton réconfortant que j’étais “sa” femme.
Outre le fait que nous n’avons jamais été mariés, tout simplement parce qu’il l’était déjà ailleurs, je me voyais être sa propriété sur laquelle il avait un droit absolu, parce qu’aux yeux des badauds j’étais “sienne” et rien d’autre. Prisonnière, je rentrais sagement à ses côtés sous l’emprise de mots doux, propagande efficace pour un cerveau qui ne demande que d’être lavé de ses blessures.
Me convaincre que la bonne solution était d’avoir la force de croire en lui, puisqu’il l’a dit que ça ne recommencerait plus, que c’était du passé, que c’était avant.
Il ne fallait pas que je sois trop dure comme il disait. C’était un accident, une sortie de route… qui a pourtant duré 5 ans.
A l’usure le corps se met à avoir mal et vient la honte. La honte d’être victime, la honte de sa faiblesse autant que celle de l’emprise… attachement. Avec l’incompréhension tout autour arrive alors la honte d’avoir honte, certainement la pire.
Alors, dans le regard d’amis, de proches sans reproches, comprendre enfin qu’il est urgent de s’en sortir au risque de sa vie. Mais, comment s’affranchir seule lorsque la violence est devenue un repère?
S’entourer pour enfiler de nouvelles lunettes, regarder à nouveau le monde tel qu’il est sans propagande, remettre les choses en place. Se rappeler qu’existent des valeurs, des limites et des règles “parce que les lois c’est pas fait pour les chiens”, ni les chiennes, même si c’est le signe de cette année. Se rappeler enfin qu’il existe tant d’autres femmes.
L’appel de la Fondation des femmes qui sort aujourd’hui est fondamental en ce qu’il synthétise avec force le processus en cours face aux violences : “on a subi”, “on a enduré”, “on s’est tu”, “on a crié”, “on a polémiqué”, maintenant on agit”.
Les mesures d’urgence, de soutiens et accompagnements, pour les femmes soumises à ces situations intolérables pour un 21ème siècle, demandent des moyens pour les associations. C’est pourquoi, dans une volonté puissante de mettre en oeuvre la solidarité, la fraternité et la sororité, les artistes femmes, aussi différentes qu’elles soient signent aujourd’hui cet appel au don de la Fondation.
Car au final c’est uniquement si nous agissons en commun que “ça ne recommencera plus”.