Ce qui se passe en Ghouta orientale est bel et bien un crime de guerre
Laurence Hansen-Löve 28/02/2018 |
“Il n’ y a pas de guerre propre”
Aucune guerre ne permet de justifier les crimes de guerre. Une telle lapalissade mérite-t-il d’être rappelée? Elle ne devrait pas l’être… Mais trop nombreux, hélas, sont ceux qui aujourd’hui, sous couvert de réalisme politique, prennent leur plume pour, sinon justifier, au minimum relativiser et minimiser les massacres perpétrés aujourd’hui par Bachar al-Assad en Ghouta orientale. Ces observateurs bienveillants et impartiaux font observer que la guerre est cruelle, qu’elle comporte toujours son lot de dommages collatéraux et d’atrocités – bref: que l’on ne fait pas d’omelette sans casser d’oeufs. Les oeufs en question sont ici des enfants ensevelis vivants sous des tonnes de gravats, mais n’oublions pas que ces enfants sont sans doute des terroristes islamistes en puissance. A ces biens téméraires soutiens de Bachar al-Assad je ferai observer que les guerres comportent des règles et que – sauf à récuser en bloc le bien-fondé des lois de la guerre – on ne saurait employer l’argument de la guerre (“Il n’y a pas de guerre propre”!) pour justifier l’injustifiable à savoir la transgression délibérée et systématique des lois de la guerre.
Pour mémoire, selon la Charte de Londres de 1945, constituent des crimes de guerre les exactions suivantes: “Assassinat, mauvais traitements ou déportation pour des travaux forcés, ou pour tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés, assassinat ou mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des personnes en mer, exécution des otages, pillages de biens publics ou privés, destruction sans motif des villes et des villages, ou dévastation que ne justifient pas les exigences militaires.” Le Statut de Rome du 17 juillet 1998, dans son article 8 établit une liste de ces crimes, dont ceux-ci:
- Le fait de lancer des attaques délibérées contre la population civile en général ou contre des civils qui ne prennent pas directement part aux hostilités;
- Le fait de lancer des attaques délibérées contre des biens civils, c’est-à-dire des biens qui ne sont pas des objectifs militaires;
- Le fait de lancer des attaques délibérées contre le personnel, les installations, le matériel, les unités ou les véhicules employés dans le cadre d’une mission d’aide humanitaire ou de maintien de la paix conformément à la Charte des Nations Unies (…).
Dans le cas de la Ghouta orientale, 400.000 personnes sont encerclées, bombardées, affamées, des hôpitaux sont visés… Qui peut nier qu’il s’agit de crimes de guerre? Oui, mais, dira-t-on, c’est la guerre, et les parties en présence, dont certaines se servent des populations comme boucliers humains, sont coresponsables de cette situation. Mais de quelle guerre parle-t-on? Et qu’appelle-t-ton une “guerre”?
Traditionnellement une guerre est un conflit armé entre Etats ou puissances militaires qui s’opposent – armée contre armée – en vue d’atteindre des buts de guerres plus ou moins explicites et , à terme, d’obtenir la reddition d’un des Etats ou parties au conflit. Dans le cas particulier de la Syrie, les grandes puissances en présence (Syrie, Iran, Russie) ne sont pas en conflit les unes contre les autres, mais sont tout au contraire alliées contre un ennemi commun qui n’est pas aisé à circonscrire et dont il est peu probable qu’ils obtiendront un jour une capitulation en bonne et due forme.
Dans ces conditions les buts de guerre sont illisibles et son issue n’est pas anticipée. La notion de “guerre” au sens traditionnel étant écartée, jugerons-nous plus appropriée celle de “guerre civile”? Il me semble que l’on parle de guerre civile lorsque qu’une nation se déchire et que plusieurs entités se disputent l’Etat. Ce n’est pas le cas en Syrie où Bachar Assad contrôle actuellement la quasi totalité du territoire, et où, d’autre part, nul n’est en mesure actuellement de lui disputer le pouvoir suprême ni n’en affiche l’ambition. En dernier ressort, lorsqu’un Etat bombarde son propre territoire et ses propres ressortissants, il tend à le justifier – c’est le cas de Bachar al- Assad, entre autres – en arguant d’une “lutte contre le terrorisme”. C’est l’argument avancé pour expliquer l’acharnement visant la Ghouta orientale:n l’opération ne chercherait qu’à rétablir très légitimement l’autorité de l’Etat. Mais si tel est le cas, il ne s’agit plus à proprement parler d’une “guerre”.
De fait, la communauté internationale, impuissante et consternée, constate avec effroi que les procédés employés pour rétablir l’ordre et “éradiquer le terrorisme” sont ceux d’un Etat qui ne recule devant rien pour maintenir son pouvoir. Cela fait sept ans que cela dure et aucune issue politique de cet imbroglio sans nom – et qui n’est pas, à proprement parler une “guerre” – n’est actuellement envisagée ni même pressentie par les parties au conflit.