L’image internationale d’Israël continue à se dégrader selon ses principaux stratèges
6 Janvier 2017
La réputation d’Israël au niveau international continue à se détériorer, conclut un nouveau rapport de certains des stratèges les plus en vue du pays.
« L’image d’Israël dans les pays occidentaux continue à décliner, une tendance qui accroit la capacité de groupes hostiles à mener des actions pour priver Israël de légitimité morale et politique et lancer des opérations de boycott », affirme l’Institut des Etudes de Sécurité Nationale (INSS : Institute for National Security Studies) de l’Université de Tel-Aviv dans son étude : 2016-1017 Strategic Survey for Israel.
Les soldats israéliens, comme ceux-ci arrêtant un Palestinien pendant un raid sur Hébron, le 20 septembre 2016, conserverons une « complète liberté d’action » dans toute la Cisjordanie occupée, en application remise à jour du plan de « séparation unilatérale »
Le rapport de 275 pages, dont les auteurs appartiennent aux cercles dirigeants politiques, militaires et du renseignement, a été présenté lundi au président israélien Reuven Rivlin par Amos Yadlin le directeur de l‘INSS, un ancien général de l’armée de l’air et dirigeant du renseignement militaire israélien.
Il note en particulier que « la campagne internationale pour délégitimer Israël continue, comme l’indique le mouvement BDS », en référence à la campagne grandissante conduite par les Palestiniens : Boycott, Désinvestissements et Sanctions. C’est Israël qui a l’habitude de décrire la défense des droits des Palestiniens, ou la critique des ses propres abus, comme « délégitimisation ».
Le rapport affirme que « l’actuel gouvernement de droite [d’Israël] a contribué à cette détérioration » par ses « initiatives législatives anti-démocratiques », autant que l’intérêt porté par la communauté internationale à la « sur-réaction » d’Israël à ce qu’il appelle « une vague d’attaques terroristes » de la part des Palestiniens.
Pas de remplaçant aux États-Unis
Selon le rapport, les efforts d‘Israël de compenser la détérioration de ses relations avec ses soutiens traditionnels en renforçant ses liens avec « des pays non démocratiques, en particulier la Russie et la Chine, sont mal vus par la communauté internationale ».
Il n’y a « pas de signes que [ces pays] souhaitent donner à Israël le soutien politique, scientifique, technologique et militaire qu’il reçoit d’autres pays, essentiellement les Etats-Unis et certains pays européens », affirme le rapport.
Ceci est particulièrement ennuyeux pour Israël étant donné que le « prestige des Etats-Unis au Moyen-Orient continue de s’affaiblir » comme c’est également le cas de son engagement à maintenir son hégémonie sur le Moyen-Orient, une alliance sur laquelle Israël s’appuie pour assurer « puissance et dissuasion ».
« En dépit des bonnes relations entre Moscou et Jérusalem, la Russie n’est pas un substitut pour la sécurité politique et le soutien économique des Etats-Unis et de l’Ouest », conclut le rapport.
Alors que les dirigeants israéliens espèrent des relations étroites avec les Etats-Unis sous présidence Donald Trump, le rapport avertit que son administration risque de « renforcer les tendances isolationnistes ».
Il note également des tendances aux États-Unis qui menacent sur le long terme le soutien à Israël. Pendant le mandat du président Barack Obama, « l’idée que les deux pays avaient des ‘valeurs communes’, semble s’être effritée en constatant l’affaiblissement de l’éthique démocratique en Israël ». De la même manière, le rapport constate une « érosion » de l’identification à Israël des Juifs Américains , ce qui peut également « conduire à des répercussions nuisibles pour Israël ».
Il y a également polarisation : le support des conservateurs à Israël reste fort, alors que les libéraux deviennent de plus en plus ambivalents, montrant une « inclinaison plus grande à voir la condition des Palestiniens comme analogue à l’apartheid ». Ce sentiment, dit le rapport, est un carburant pour le mouvement BDS, qui est « maintenant largement répandu sur les campus états-uniens » et pourrait affecter les relations entre Israël et les États-Unis à l’avenir.
Israël et Al-Qaïda en Syrie
Les stratèges israéliens sont clairs en ce qui concerne l’équilibre conventionnel des forces dans la région, « la puissance militaire d’Israël n’est pas disputée » – il n’y a aucune menace en provenance des armées de l’Egypte, de la Syrie ou de la Jordanie.
Mais ils continuent à voir le mouvement de résistance libanais Hezbollah comme une menace majeure.
En dépit du fait que le Hezbollah est actuellement impliqué dans la guerre civile en Syrie, le rapport voit le groupe en sortir avec un support accru de l’Iran, une expérience renforcée du champ de bataille et des « capacités de tir à longue distance dotées d’un grand pouvoir destructeur et d’une précision toujours améliorée ».
Une présence militaire russe croissante et prolongée dans la région, conséquence de l’intervention de Moscou en Syrie qui a renversé la situation en faveur du président Bachar el Assad, va restreindre la liberté d’intervention militaire d’Israël.
« Du point de vue d’Israël, » affirme le rapport, « le meilleur scenario est la disparition du régime d’Assad, en même temps que le retrait de l’Iran et du Hezbollah de Syrie d’un côté, et la défaite de l’Etat Islamique [egalement connu sous le nom ISIS ou ISIL] et la mise en place d’un régime sunnite modéré en Syrie de l’autre ».
De façon intéressante, le rapport prétend que « ce modèle s’est matérialisé sous une forme restreinte dans les hauteurs du Golan, où des rebelles sunnites modérés ont combattu avec succès le régime de Assad et l’Etat Islamique ».
Le rapport de l’INSS ne cite pas le nom des « rebelles sunnites modérés » mais il est avéré qu’Israël a longtemps fourni aide et soutien au front Al-Nosra, branche syrienne de Al-Qaïda, sur le plateau du Golan.
Moshe Yaalon, l’un des auteurs du rapport, reconnaît publiquement le soutien d’Israël aux combattants de Al-Nosra en 2015, alors qu’il était le ministre de la défense d’Israël.
L’année dernière, le front Al-Nosra a officiellement coupé ses liens avec Al-Qaïda, s’est renommé le front Fatah al-Cham et a lancé une importante campagne de changement d’image avec l’aide des médias occidentaux.
L‘INSS apparaît également prête à soutenir discrètement l’organisation.
« Le front Al-Nosra, qui s’est effrayé lui-même de son affiliation à Al-Qaïda [a] fait du front Fatah-al-Cham une force qui peut coopérer avec d’autres organisations qui ne sont pas des djihadistes salafistes, et même recevoir un soutien externe » suggère le rapport.
Il ajoute que le front Al-Nosra est « fondé et organisé (par l’Arabie Saoudite), bien équipé, et a une bien meilleure performance que les autres groupes rebelles ».
Cette formulation, comparativement bénigne, fait écho aux sentiments exprimés par Efraim Halevy, l’ancien dirigeant du Mossad, l’agence d’espionnage israélienne, qui défendait la fourniture d’aide médicale aux combattants d’Al-Nosra dans une interview à Al-Jazeera en mai dernier.
En revanche, Halevy dit qu’il ne défendra jamais l’idée d’accorder des soins à des combattants blessés du Hezbollah parce qu’Israël a été pris pour cible par le Hezbollah, mais « pas spécifiquement par Al-Qaïda ».
Le fait que Al-Qaïda soit crédité des attaques massives du 11 septembre qui ont tué près de 3000 personnes sur le sol de l’allié le plus proche d’Israël ne figure apparemment pas dans les calculs israéliens.
La coopération d’Israël avec Al-Nosra, et son intérêt à voir un régime sunnite sectaire installé à Damas, souligne un thème majeur du rapport de l’INSS : le renforcement des liens entre Israël et les états arabes soi disant sunnites, conduits par l’Arabie Saoudite, à partir d’une hostilité partagée envers la prédominance de l’Iran chiite.
Le rapport mentionne, par exemple, la visite du général saoudien Anwar Eskhi en Israël l’été dernier. Eshki a dit à ses hôtes que le « conflit israélo-palestinien sert de terreau profond à la croissance de l’idéologie iranienne » dans la région, selon le rapport.
Rationaliser le pouvoir colonial
Les stratèges les plus en vue d’Israël reconnaissent que l’impasse avec les Palestiniens contribue de façon importante à la détérioration de l’image internationale d’Israël. C’est aussi un obstacle au développement de liens plus serrés et plus publics avec les dictatures sectaires comme l’Arabie Saoudite, dont la population soutient encore fortement la cause palestinienne.
Bien que le rapport de l’INSS ne voit aucune possibilité réaliste de se diriger vers une solution à deux états dans le proche futur, ses auteurs craignent un glissement continu sur « une pente vers une réalité à un état », un avertissement similaire à celui donné par l’ancien secrétaire d’état des Etats-Unis, John Kerry, le mois dernier.
Mais l’INSS n’a pas d’idées nouvelles pour éviter à Israël cette conjoncture. En effet, le rapport tente de redonner vie au concept de « séparation unilatérale » qui a été proposé par les gouvernements d’Ariel Sharon et d’Ehud Olmert il y a plus de 10 ans.
L’idée est de consolider les colonies israéliennes dans une grande partie de la Cisjordanie occupée, de pacifier la population palestinienne en améliorant ses conditions économiques et de renforcer la police de l’Autorité Palestinienne, financée par Israël, pour maintenir les Palestiniens sous contrôle serré.
La séparation serait cosmétique toutefois, puisque, à tout moment, les forces d’occupation israéliennes et la police secrète Shin Beth conserveraient une « complète liberté d’action » dans toute la Cisjordanie.
Éventuellement, Israël pourrait reconnaître un « état palestinien dans des frontières provisoires » dans jusqu’à 65% de la Cisjordanie, alors qu’il a en fait annexé de larges zones pour y établir des colonies à l’ouest du mur de séparation qu’il a construit dans les territoires occupés.
Le rapport reconnaît qu’ « une sévère crise humanitaire règne déjà dans la bande de Gaza » qui a subi un blocus de dix ans, avec l’appui des forces militaires égyptiennes.
Cela conduira inévitablement à une autre escalade majeure de violence, à moins que quelque chose soit fait pour adoucir la situation, avertissent les auteurs. Cela aussi pourrait entamer l’image d’Israël. L’INSS propose des mesures comme la construction d’un port à Gaza et une amélioration des infrastructures.
Ce sont des palliatifs qui visent à pacifier la population, mais ne font rien pour aborder le refus sous-jacent d’accorder leurs droits fondamentaux aux deux millions de Palestiniens enfermés dans ce territoire assiégé.
Ces plans représentent un rafistolage des propositions de bantoustan palestinien dont les israéliens ont débatu entre eux durant des décades. Pourtant les auteurs du rapport de l’INSS voient l’arrivée de l’administration Trump comme une opportunité pour remettre en service ces concepts discrédités comme « des idées innovantes ».
Prendraient-elles de la force, il reviendra aux soutiens des droits des Palestiniens de les exposer pour ce qu’ils sont, un effort pour consolider et maquiller le régime israélien d’occupation, de colonialisme de peuplement et d’apartheid, pour enrayer la détérioration de l’image internationale d’Israël.
Publié le 4 janvier 2017 sur The Electronic Intifada
Traduction : Roger Mampey pour Agence Media Palestine