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Kerry fait l’éloge (funèbre) de la solution à deux États

29 Décembre 2016

Ce mercredi, à Washington, lors d’un discours attentivement suivi, le ministre sortant des Affaires étrangères John Kerry y est allé d’une des critiques les plus sévères jamais entendues de la part d’un haut responsable américain à propos des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée.

Mais qu’il l’ait voulu ou pas, Kerry a également fait l’éloge funèbre de la solution à deux États et a jeté les bases de l’apparition de la solution à un seul État en tant que voie la plus réaliste vers la justice et la paix en Palestine historique.

Le 28 décembre 2016, au département d’État à Washington, DC, le ministre américain des Affaires étrangères, John Kerry, fait état de ses remarques sur la paix au Moyen-Orient. (Photo : US State Department)
Dans son discours de plus d’une heure, Kerry a défendu la décision américaine de s’abstenir lors du vote au Conseil de sécurité de l’ONU vendredi dernier, permettant ainsi au Conseil de faire passer une résolution qui, pour la première fois depuis des années, exige qu’Israël mette un terme à l’implantation de colonies. (vidéo)

« Le vote à l’ONU concernait la préservation de la solution à deux États », a déclaré Kerry. « C’est ce que nous défendions : le futur d’Israël en tant qu’État juif et démocratique, vivant aux côtés de ses voisins dans la paix et la sécurité. »

« Soyons clairs : l’expansion des colonies n’a rien à voir avec la sécurité d’Israël », a ajouté Kerry, tout en affirmant que les saisies de terres sont motivées par des « impératifs idéologiques’‘, y compris l’intention d’empêcher la création d’un État palestinien.

La réalité d’un seul État

« La solution à deux États est la seule façon de réaliser une paix juste et durable entre les Israéliens et les Palestiniens », a insisté Kerry.

Mais, en tentant de défendre cette cause, Kerry a tout juste prouvé son contraire en décrivant en détail comment les colonies d’Israël « cimentaient de plus en plus une réalité irréversible à un seul État ».

« Aujourd’hui (…) Juifs et Palestiniens vivent en nombres du même ordre entre le Jourdain et la Méditerranée », a déclaré Kerry, faisant référence au territoire qui couvre l’actuel Israël, la Cisjordanie et la bande de Gaza.

« Ils peuvent choisir de vivre ensemble dans un seul État ou ils peuvent se séparer en deux États. Mais il y a ici une réalité fondamentale : si le choix porte sur un seul État, Israël peut être soit juif soit démocratique – il ne peut être les deux – et il ne sera jamais réellement en paix. »

L’insistance de Kerry sur le fait qu’une solution à un État constituerait un désastre émane d’une sagesse conventionnelle censée couler de source. Mais c’est ignorer les idées que bien des auteurs et spécialistes palestiniens, israéliens et autres, y compris l’auteur du présent article, ont discutées et développées durant de nombreuses années en s’appuyant sur les leçons tirées de l’Afrique du Sud, de l’Irlande et d’autres endroits encore.

« S’il n’y a qu’un seul État », a mis en garde Kerry, « vous aurez des millions de Palestiniens vivant en permanence dans des enclaves séparées au beau milieu de la Cisjordanie, sans droits politiques réels, dans des systèmes de législation, d’éducation et de transport séparés, avec de grandes différences de revenu, sous une occupation militaire permanente qui les privera des libertés les plus élémentaires. Séparation et inégalité, voilà ce que vous aurez. »

Ceci évoque très fortement le langage de la ségrégation américaine et la lutte pour les droits civils qui s’y opposait. Mais ce que Kerry décrivait, représente déjà la réalité dans la Palestine historique. Sa solution à deux États reconditionnerait de façon cosmétique cette injustice sous forme d’une « indépendance » palestinienne, mais sans toutefois modifier fondamentalement cette même injustice.

Ce qu’il propose aux Palestiniens est un bantoustan démilitarisé, dans le but singulier de préserver un Israël tout-puissant en tant qu’État raciste avec une majorité juive permanente.

Les paramètres de Kerry pour une solution à deux États montrent clairement que le but de celle-ci est un tripotage ethnique : il devrait inclure la « reconnaissance par les Palestiniens d’Israël en tant qu’État juif », ce qui signifie effectivement la reconnaissance du droit d’Israël à discriminer les Palestiniens et tous les autres qui ne sont pas Juifs.

Kerry a appelé à une « solution juste, convenue, honnête et réaliste du problème des réfugiés palestiniens ». Mais il a fait entendre clairement que « la solution doit être en adéquation avec deux États pour deux peuples et qu’elle ne peut affecter le caractère fondamental d’Israël ».

En français normal, cela signifie qu’il ne sera pas permis aux réfugiés palestiniens de rentrer chez eux pour la seule raison qu’ils ne sont pas juifs. Il n’y a rien de juste ni de démocratique là-dedans. C’est du racisme grossier qui foule aux pieds les droits de l’homme universels.

Cela contraste avec l’accord de paix de Dayton, en 1995, qui a mis un terme à la guerre en Bosnie et qui garantissait aux réfugiés le droit de retourner chez eux, même si c’était dans des zones dirigées par des autorités dominées par une communauté ethnique différente – et c’est ainsi que les choses devraient être.

Kerry a posé le scénario suivant, sous cette réalité prétendument cauchemardesque d’un seul État : « Comment Israël répondrait-il à un mouvement palestinien croissant des droits civils réclamant le droit de vote ou à d’importantes protestations et troubles dans toute la Cisjordanie ? »

Une meilleure question est celle-ci : « Comment Israël devrait-il répondre ? »

Si Israël défendait réellement des idéaux démocratiques, la réponse évidente serait que tout le monde ait le droit de vote dans un État décolonisé et non sectaire.

Au lieu de pousser Israël à faire route dans cette direction, Kerry demande d’« activer dès maintenant le processus de séparation » – un autre terme pour désigner ce qui serait de l’apartheid.

Dans la lutte américaine pour les droits civils rappelée par Kerry, la position des gens défendant des idéaux démocratiques était que les États-Unis devaient mettre un terme à toutes les formes de discrimination raciale légale, accorder le droit de vote à tout le monde et garantir une pleine et égale citoyenneté à tous.

Ce furent les suprémacistes blancs qui recoururent au prétexte des « droits des États » pour justifier qu’on leur permette sans restriction de poursuivre la ségrégation et d’autres politiques racistes garantissant leur pouvoir et leurs privilèges, comme ce fut le cas en Alabama, au Mississippi et en Géorgie.

Aujourd’hui, ce sont toujours les suprémacistes blancs, y compris les sympathisants nazis comme Richard Spencer, le dirigeant d’« Alt-Right », qui prétendent que les États-Unis devraient être scindés de telle façon qu’« un État ethnique puisse constituer un point de ralliement pour tous les Européens ».

Spencer a même un nom, pour cette idéologie : le sionisme blanc.

En bons libéraux, Kerry et le président Barack Obama, rejetteraient certainement ces idées, pour les Américains. Mais leur solution à deux États pour les Israéliens et les Palestiniens constitue tout simplement une autre forme de ségrégation.

Après la solution à deux États

Quoi qu’il en soit, la vision américaine des deux États est morte et l’administration Obama a contribué à l’enterrer.

Comme l’a avoué Kerry, l’administration sortante a fait tout ce qui était en son pouvoir pour fournir à Israël un soutien inconditionnel et pour décourager toute tentative de lui réclamer des comptes.

« Nous sommes fortement opposés aux boycotts, aux campagnes de désinvestissement et aux sanctions visant Israël sur les scènes internationales », s’est vanté Kerry, ajoutant que l’administration Obama avait signé récemment l’octroi à Israël d’un cadeau en armements d’une valeur de 38 milliards de dollars, lequel « dépasse tout paquet d’aide militaire jamais fourni par les États-Unis à quelque pays que ce soit ».

Les choses ne sont pas près de s’éclaircir pour ceux qui croient encore en cette fantaisie à deux États.

Ce n’est pas une surprise si le Premier ministre Benjamin Netanyahou et ses ministres ont rejeté avec colère le discours de Kerry.

Même avant que le ministre des Affaires étrangères prenne la parole, le nouveau président Donald Trump a tweeté : « Nous ne pouvons continuer de tolérer qu’Israël soit traité avec un mépris et un manque de respect aussi complets » que ne l’a prétendument fait l’administration Obama. « Reste fort, Israël, le 20 janvier approche rapidement », a insisté Trump.

La réalité est celle-ci : Même en y mettant les formes, on ne peut suggérer à Israël de mettre un terme à son régime brutal d’occupation, d’apartheid et de colonialisme d’implantation.

À l’instar de l’Afrique du Sud de l’apartheid, il doit être placé sous des pressions et un isolement croissants jusqu’au moment où il sera bien obligé de changer d’attitude.

Publié sur le 28 décembre sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal