Le Bateau des femmes pour Gaza prêt à rompre le blocus
30 Septembre 2016
« Si quelqu’un passe par-dessus bord, tout ce qu’on voit, c’est sa tête. Elle a environ la taille d’une noix de coco. »
C’est par ces mots que la capitaine Madeleine Habib capte l’attention de ses passagères qui, désormais, ont toutes assimilé l’idée de l’immensité de la mer lorsqu’elle se referme sur un corps humain.
Habib, Tasmanienne de naissance égyptienne et capitaine expérimentée chez Greenpeace et Médecins sans frontières, donne son briefing de sécurité à toutes les passagères de son navire, le Zaytouna-Oliva. Les trois membres de l’équipage et les dix passagères se préparent à quitter le port d’Ajaccio, la préfecture de la Corse, pour Messine, en Sicile.
Le Bateau des femmes pour Gaza a l’intention de rompre le siège naval de Gaza par Israël. (Photo : Eoin Wilson)
Le Zaytouna-Oliva est le dernier des deux navires de la flottille des Bateaux des femmes pour Gaza, depuis que l’autre, l’Amal, a été forcé de regagner Barcelone pour des ennuis de moteur. Ce n’est pas le seul bateau dans le port d’Ajaccio, mais il est certain que l’objectif du Zaytouna-Oliva – la solidarité internationale, et non la plaisance – est unique.
Le long des quais s’alignent les yachts des gens aisés, venus de Monaco et des Caraïbes. Ils ont l’air de nains à côté des énormes navires de croisière qui accostent et partent quotidiennement, avec leurs passagers qui débarquent pour déambuler dans les rues étroites et le long des corniches bordées de palmiers d’une ville pittoresque parmi tant d’autres sur la Méditerranée.
La flottille des Bateaux des femmes pour Gaza constitue la tentative internationale la plus récente de rompre le siège maritime, aérien et terrestre de Gaza, qui dure depuis près de dix ans. Il y a eu d’autres tentatives et certaines, comme celle du Mavi Marmara en 2010, s’était terminée dans la violence quand la marine de guerre israélienne avait pris le navire d’assaut. Neuf activistes avaient été tués à bord du Mavi Marmara et un dixième était décédé après quatre années de coma.
Un briefing de sécurité
Bien que la journée soit chaude et lumineuse, avec le soleil matinal qui scintille et miroite sur le port d’Ajaccio, Habib est claire à propos des dangers potentiels en mer au cas où le temps devrait changer.
« Par une journée comme celle-ci, on peut voir une noix de coco à longue distance. Mais personne ne passera par-dessus bord, par une journée comme celle-ci. Les gens tombent à l’eau quand il fait gros temps », explique-t-elle. Les chances de « récupérer une noix de coco », sur une mer agitée, et particulièrement la nuit, ajoute la capitaine, sont minimes.
Habib rassure ses passagères, dont certaines viennent d’embarquer avant la traversée pour Messine : « Vous êtes prudentes, si vous êtes sensées et si vous suivez les instructions de l’équipage, et vous ne tomberez pas à la mer. » Puis vient l’inévitable « mais ».
Si quelqu’un passe par-dessus bord, poursuit-elle, les passagères doivent crier immédiatement « Homme à la mer, femme à la mer, je me moque de ce que vous allez crier, mais la personne qui pilote le navire doit savoir. »
On appuierait alors immédiatement sur un bouton, informe encore la capitaine, afin de bloquer le tableau de bord sur ces coordonnées précises, ce qui permettrait au navire de faire demi-tour et d’entamer les recherches.
Le risque d’incendie est également discuté et Habib, qui a de l’expérience en la matière, est soulagée d’apprendre qu’il n’y a pas de fumeuses à bord, bien que les réchauds au gaz utilisés pour les repas communs posent eux aussi un risque potentiel d’incendie.
La mise en garde finale concerne la nécessité d’abandonner toutes le navire, le pire des scénarios, mais qui, insiste Habib, est très improbable. Elle pointe le doigt sur deux petits caissons blancs arrimés sur le rouf du bateau, au-dessus des cabines. Un peu plus gros que des valises à roulettes dans les aéroports, ces caissons sont censés se gonfler et accueillir chacun huit personnes.
Une fois le briefing de sécurité terminé, on se dit adieu pour de bon et on échange des étreintes. Le bateau largue ses amarres et s’écarte du quai, dans l’ombre de l’énorme masse d’un paquebot de croisière qui débarque ses passagers pour une journée de tourisme. La plupart ignorent ce à quoi ils assistent.
Une tentative symbolique
Pour l’essentiel, la flottille constitue une tentative symbolique d’attirer l’attention internationale sur un blocus qui a poussé Gaza dans une pauvreté et un isolement accrus, et elle adresse en même temps un message de solidarité aux Palestiniens vivant dans l’enclave.
Le bateau, qui n’a embarqué que des femmes, vise également à éclairer davantage le rôle des femmes palestiniennes dans la lutte, alors qu’elles sont confrontées aux effets – particulièrement discriminatoires sur le plan du genre – de l’occupation et du colonialisme d’implantation. Les femmes assument également le gros des responsabilités dans les soins aux enfants traumatisés. Selon les Nations unies, plus de 160 000 enfants de Gaza nécessitent un soutien psychologique permanent.
La flottille des femmes a également des raisons très pratiques. Elle encourage la participation des femmes qui, autrement, se sentiraient mal à l’aise dans un espace restreint à partager avec des hommes durant plusieurs jours d’affilée.
Il y a de plus un élément de dissuasion. Claude Léostic, présidente de la Plate-forme des ONG françaises pour la Palestine et porte-parole pour la France de la Coalition de la flottille de la liberté, a fait allusion à la violence infligée aux précédentes flottilles et qui a très fortement marqué les esprits des passagères du Zaytouna-Oliva.
« Nous estimons qu’il est très possible que les Israéliens tentent d’attaquer à nouveau la navire, parce qu’ils l’ont fait chaque fois que nous avons envoyé un bateau pour rompre le siège. Chaque fois, ils l’ont attaqué et pris d’assaut, enlevé les personnes à bord. Et ils se sont conduits comme des pirates de haute mer », a expliqué Léostic dans The Electronic Intifada.
« Nous espérons qu’avec des femmes à bord, ils [la marine de guerre israélienne] seront dissuadés de recourir à une telle violence », a-t-elle ajouté.
« Peut-être ne s’agit-il que d’un voeu pieux, mais leur image est si importante, pour eux. Et, ainsi, si on les voit attaquer un bateau de femmes, les maltraiter, voire les battre comme ils l’ont fait avec toutes les autres, leur image sera catastrophique. Et cela pourrait donc constituer une dissuasion. »
Léostic a déclaré qu’il n’y avait pas de preuve de sabotage du navire Amal, qui a désormais regagné Barcelone. Toutefois, Ann Wright, une vétérane de précédentes flottilles et chef de mission à bord du Zaytouna-Oliva, a déclaré que cette menace devait être prise au sérieux.
« Nous avons eu des gardes en permanence sur les bateaux depuis… Barcelone. Il y a eu quelqu’un sur les bateaux 24 heures sur 24. »
La vigilance de mise pour la dernière étape
Wright, une ancienne colonelle de l’armée américaine et fonctionnaire du Département d’État [= ministère des Affaires étrangères] américain dont elle avait démissionné en 2003 pour protester contre l’invasion de l‘Irak, a rappelé les soupçons de sabotage concernant les flottilles précédentes.
« Il y en a eu un aux chantiers navals d’Athènes. Nous avions un chiffon dans notre moteur [ce qui peut provoquer une panne complète]. »
« En 2015 », ajoute Wright, « nous avions un bateau en provenance de Corfou [Grèce], et il avait à peine quitté les docks qu’il s’est mis à couler. »
Wright, qui participait également à la flottille de 2010, qui comprenait le Mavi Marmara, met en garde : « Ainsi, la conclusion est que, pour chacune de ces flottilles, il y a eu du sabotage. »
Les personnes à bord sont toutes absolument conscientes que les récentes tentatives de rompre le siège de Gaza ont toutes échoué. Le raid israélien de 2010 contre le Mavi Marmara a connu un épilogue d’une violence extrême ; une série d’autres tentatives se sont terminées par des sabotages ou par le fait que la marine israélienne a procédé à des abordages, des prises d’assaut et des réquisitions de navires alors que ces derniers se trouvaient toujours dans les eaux internationales.
La probabilité d’accostage du Zaytouna-Oliva au port de Gaza est minime. Étant donné ce qui s’est passé avec les précédentes flottilles, le navire est susceptible d’être intercepté par des commandos de marine israéliens lourdement armés et, avec une quasi-certitude, en haute mer et au beau milieu de la sécurité théorique des eaux internationales.
Si le Zaytouna-Oliva doit être réquisitionné par des commandos israéliens, ou si Habib est forcée à obtempérer, le navire sera probablement acheminé vers le port d’Ashdod, où les femmes seront prises en charge avant d’être finalement expulsées.
Jusqu’à présent, toutefois, les choses se passent bien. Après trois jours de navigation, sous la force combinée du moteur et des voiles, le Zaytouna-Oliva est arrivé à Messine dans la matinée du 23 septembre. Des activités et des rencontres ont été organisées dans le port sicilien, avant que le Bateau des femmes ne quitte la Sicile le 27 septembre pour la dernière et dangereuse étape finale de la traversée vers Gaza.
« Ces femmes savent qu’elles peuvent être en danger à un moment ou l’autre », a déclaré Léostic. « Mais leur sens de la justice et leur conscience en tant qu’êtres humains sont tels qu’elles ne peuvent se permettre de ne rien faire. »
Publié le 27 septembre 2016 sur The Electronic Intifada
Traduction : Jean-Marie Flémal
Lisez également : Des femmes en bateau pour rompre le siège de Gaza.
Eoin Wilson est un journaliste free-lance qui se concentre sur la Palestine, la solidarité internationale et les mouvements sociaux et de protestation. Twitter: @eoin_wilson