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Vers la fin du Tafta ? Une annonce qui ne doit pas rester un trompe-l’œil

par Maxine Combes, Mediapart, 30 Août 2016

Matthias Fekl et François Hollande ont annoncé vouloir « demander l’arrêt des négociations du Tafta ». Si elle doit être confirmée par des actes, cette bonne nouvelle, mérite examen : qu’exprime-t-elle ? Quel crédit faut-il lui apporter ? Signifie-t-elle la fin des négociations ? Que change-t-elle vraiment ? Et que devons-nous faire ?

Une victoire des mobilisations citoyennes

Rappelons-nous : c’est en catimini que le Conseil européen a confié un mandat de négociations à la Commission européenne le 14 juin 2013, des négociations à propos desquelles François Hollande affirmait vouloir « aller vite » pour éviter « une accumulation de peurs, de menaces, de crispations ». Sans la détermination des nombreuses ONG, associations, syndicats et collectifs citoyens qui n’ont cessé d’exiger la transparence des négociations, d’en critiquer le contenu et de redoubler d’efforts pour informer la population, nul doute que ces négociations seraient restées opaques et inconnues du grand public – comme la très grande majorité des négociations d’accords commerciaux. Trois ans plus tard, l’opinion publique européenne, à commencer par la France et l’Allemagne, n’a sans doute jamais été aussi réservée sur le sujet. Au point qu’on ne compte plus les collectivités territoriales (dont les villes de Munich, Milan, Madrid, Barcelone, Vienne, Grenoble) à avoir exigé la fin des négociations. Une telle annonce, qui suit celle du vice-chancelier allemand ce dimanche 28 août, est le fruit de ces mobilisations citoyennes.



Quel crédit accorder à cette annonce ?

Au mois de mai, François Hollande avait déjà prononcé un cinglant désaveu vis-à-vis du Tafta : « à ce stade, la France dit non ». Des propos alors confirmés par Matthias Fekl, puis par Manuel Valls qui avait affirmé à la veille du Conseil européen du mois de juin qu’« il ne pouvait y avoir d’accord transatlantique ». Mais rien n’est venu. A l’occasion de ce même Conseil européen des 27 et 28 juin, Jean-Claude Juncker a déclaré avoir « demandé à tous les chefs de gouvernement si, oui ou non, la Commission devait poursuivre les négociations avec les Etats-Unis » : aucune réserve, critique ou demande d’arrêt des négociations n’a été prononcée. Ni par François Hollande, ni par aucun autre chef d’Etat ou de gouvernement.



Que faut-il alors penser de la nouvelle déclaration de Matthias Fekl ? A ce stade, ce n’est rien d’autre qu’une annonce de plus, sans effet immédiat : la Commissaire européenne au commerce, Cecilia Malmstrom ne vient-elle d’ailleurs pas d’affirmer par tweet que les négociations continuaient, laissant entendre qu’un certain nombre de chapitres pourraient être finalisés d’ici la fin de l’année ? Matthias Fekl prévoit d’officialiser cette exigence française lors de la réunion des ministres du commerce extérieur à Bratislava, les 22 et 23 septembre, alors que le prochain Conseil européen formel, seul à même de prendre une décision ferme et définitive en la matière, est fixé aux 20 et 21 octobre. Soit après le 15ème « round » de négociations du Tafta qui est envisagé pour la première semaine d’octobre aux Etats-Unis.

La France peut-elle stopper les négociations toute seule ?

Ce sont les articles 207 et 218 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne qui fixent les conditions et modalités de négociation des accords de commerce et d’investissement : si les négociations sont menées par la Commission européenne, c’est bien le Conseil qui « autorise l’ouverture des négociations, arrête les directives de négociation, autorise la signature et conclut les accords ». Rien de précis ne statue sur le cas de figure où l’un des Etats-membres de l’UE souhaite « l’arrêt des négociations ». Néanmoins, comme le précise l’alinéa 8 de l’article 218, « le Conseil statue à la majorité qualifiée tout au long de la procédure ». Si François Hollande décidait d’aller jusqu’au bout et proposait au Conseil européen d’arrêter les négociations, encore lui faudrait-il trouver a minima une majorité (détail ici) et des alliés. A ce stade, la France ne peut donc bloquer seule la négociation du Tafta sur le plan légal. Néanmoins, Matthias Fekl n’est pas sérieux quand il affirme que « la Commission a parfaitement la possibilité de continuer à négocier jusqu’à la fin des temps, et personne ne peut s’y opposer ». Avec suffisamment d’alliés et de détermination pour mener réellement bataille à Bruxelles, y compris en instituant un rapport de force politique, François Hollande et Matthias Fekl peuvent réellement bloquer ces négociations : au lendemain du Brexit, il paraît improbable que la Commission s’échine à négocier le Tafta sans la France si ces représentants à Bruxelles sont déterminés à le bloquer. Mais en matière européenne, nous ne sommes jamais au bout de nos surprises.

Hollande et Fekl veulent stopper le Tafta au nom du libéralisme !

Regardons de plus près les arguments utilisés pour justifier l’arrêt des négociations. Au printemps dernier, François Hollande avait indiqué qu’il n’était pas « pour le libre-échange sans règle ». Le 10 mai, sur France Inter, Fekl avait été encore plus clair : «  Après trente années de dérégulation néolibérale (…), il est temps de remettre des règles dans la mondialisation, il est temps que la puissance publique ait son mot à dire et que des choix démocratiques puissent être respectés. » Patatras. Les arguments avancés par Fekl ce 30 août pour justifier la décision française sont bien différents : « les américains ne donnent rien ou alors des miettes » a-t-il déclaré, se référant au refus américain d’offrir un meilleur accès à leurs marchés publics, qui sont protégés par différents dispositifs législatifs comme le « Small business Act » ou le « Buy American Act », qui réservent certaines commandes publiques, nationales ou fédérales, aux PME américaines.

Ce n’est donc pas au nom de la protection d’un éventuel modèle social et environnemental européen (et/ou français) que François Hollande et Matthias Fekl s’opposent au Tafta, mais parce que le gouvernement américain n’est pas assez libéral en matière de commerce transatlantique, refusant de libéraliser ses marchés publics. Matthias Fekl n’écarte d’ailleurs pas la possibilité de « reprendre de plus tard sur de bonnes bases » les négociations d’un accord transatlantique. A aucun moment, Matthias Fekl n’a justifié l’abandon des négociations du Tafta en raison des risques pesant sur les services publics, le secteur agricole, les normes environnementales ou encore la lutte contre les dérèglements climatiques (lire le petit guide d’Attac sur le Tafta pour le détail de nos réserves et nos révélations sur la façon dont le Tafta sabote le climat).

Une annonce pour faciliter la ratification du Ceta ?

Cette posture qui semble manquer de cohérence ne doit pas surprendre. Entre mai 2009 et septembre 2014, l’UE et le Canada ont négocié le Ceta qui peut-être vu comme le petit frère du Tafta, ou mieux, sa préfiguration : 80 % des entreprises étasuniennes opérant en Europe pourraient par exemple avoir recours aux tribunaux d’arbitrage privés pour attaquer les États européens via leurs filiales canadiennes. Que ce soit du point de vue agricole, des services publics, des mécanismes protégeant les investisseurs privés ou encore de la protection de l’environnement, les réserves et critiques rendues publiques par les ONG, syndicats et associations sont en tout point comparables au Tafta (voir ici le petit guide d’Attac sur le Ceta). Pourtant, François Hollande et Matthias Fekl appellent à sa ratification rapide, considérant le Ceta comme « un bon accord ».


Dans les deux cas, il s’agit de projets d’accord de libre-échange pilotés par des lobbies industriels et financiers nord-américains et européens rétifs aux réglementations, et qui mettront à rude épreuve nos modes de vie, nos choix démocratiques et la capacité des États et des collectivités territoriales à protéger notre santé, notre environnement et nos droits (voir ce nouveau rapport qui montre comment le Ceta met à mal notre sécurité alimentaire). Il est légitime de se demander si l’annonce de Matthias Fekl sur le Tafta n’a pas pour fonction, tout en envoyant un message à un électorat de gauche très critique envers le Tafta, de faciliter la ratification du Ceta, qui doit être approuvé au Conseil européen le 18 octobre prochain, et au Parlement européen en janvier.

Stopper le Tafta pour inverser l’ordre des priorités

Comme l’illustrent les relatives incohérences des positions de François Hollande et du gouvernement français, il est important de rappeler quels sont les enjeux : faut-il libéraliser un peu plus le commerce et les investissements mondiaux en affaiblissant les réglementations en vigueur et en donnant plus de pouvoirs aux acteurs privés, ou bien faut-il mettre sur pied de nouvelles régulations mondiales, régionales et nationales pour juguler l’instabilité économique et financière, lutter efficacement contre la crise écologique et climatique, assurer la satisfaction des besoins essentiels de l’humanité, tarir les sources du terrorisme et des guerres sur la planète, etc ?


Nous ne manquons plus de rapports et d’éléments factuels montrant comment la libéralisation sans limite du commerce et de l’investissement contribuent à la crise multi-dimensionnelle que nous traversons. Il est donc temps d’inverser la tendance et de faire d’un certain nombre de sujets, notamment la transition écologique et sociale, des priorités face aux logiques de concurrence et de compétitivité qui nous conduisent dans l’impasse. Pour ce qui nous concerne, nous avions fait la proposition d’un mandat commercial européen alternatif lors de la précédente élection européenne. Ces propositions restent valables et d’une urgente actualité.

C’est en ce sens que les mobilisations prévues en Europe contre la ratification du Ceta et pour mettre fin aux négociations du Tafta, en Allemagne, en Autriche et au Royaume-Uni le 17 septembre, en Belgique le 20 septembre, en France le 15 octobre, sont d’une importance cruciale : c’est à nous, aux citoyens et à la société civile de nous mobiliser pour exiger que le climat, l’emploi et l’agriculture priment sur le business as usual. Et pour faire en sorte que les annonces soient transformées en actes.

Maxime Combes, économiste et membre d’Attac France.