Rencontre inattendue sur le front de la Syrie
Rita Daou, photo Delil Souleiman, 31 Mai 2016.
Je me trouve dans le
village de Fatsa, dans le nord de la Syrie.
Ce mercredi 25 mai,
l’endroit vient tout juste d’être repris au groupe Etat
islamique par les Forces démocratiques syriennes, les FDS. Celles-ci
sont formées principalement de combattants kurdes, mais elles
comptent aussi dans leurs rangs des arabes sunnites et des chrétiens.
La chaleur est accablante. Tous les habitants ont fui. Après une
dure bataille, les combattants des FDS que j’accompagne depuis
plusieurs heures se reposent à l’ombre d’une maison. Et puis nous les voyons
arriver.
Ils sont une vingtaine,
juchés sur des pickups armés de mitrailleuses et de lance-grenades.
La plupart n’ont vraiment pas le physique de la région. Ils
parlent entre eux en anglais.
Le fait que des «
conseillers militaires » américains soient présents dans le nord
de la Syrie pour aider les FDS n’est pas un secret.
Les Etats-Unis
l’admettent officiellement, même si le rôle exact de ces
«conseillers» n’est pas très clair.
Et voilà que nous avons
l’occasion rarissime de voir ces soldats en chair et en os ici,
tout près du front.
Je suis venu avec le
reporter vidéo Jihad Darwish, et nous sommes ravis. Nous avons
parcouru plus de 600 kilomètres en voiture pour arriver jusqu’ici.
Comme tout le monde, nous savons depuis longtemps que des soldats des
forces spéciales américaines se promènent dans les parages. Mais
les voir pour de vrai et pour la première fois, c’est quand même
impressionnant.
Fatsa est situé à une
cinquantaine de kilomètres au nord de Raqqa, la capitale de facto du
« califat » autoproclamé en Syrie et en Irak par l’Etat
islamique (EI). Depuis quelques jours, les FDS ont lancé une
importante offensive pour chasser les jihadistes de cette partie de
la province de Raqqa. Nous sommes à moins de deux kilomètres des
territoires contrôlés par l’EI. C’est un endroit dangereux,
truffé de mines et d’engins explosifs improvisés.
La plupart des
maisons sont piégées, il n’est pas question d’y entrer.
Dans le ciel, au-dessus
de nos têtes, nous voyons passer des avions de la coalition
militaire internationale, ce qui contribue à nous rassurer
légèrement. De toute façon je suis habitué aux zones de combats.
Peu importe le risque, c’est mon métier.
Au début, je n’ose pas
trop photographier les soldats américains.
Comment pourraient-ils le
prendre?
Donc je commence par les shooter à bonne distance.
Petit à
petit, je m’enhardis, je m’approche.
Je m’efforce d’agir
calmement et de sourire, histoire de les mettre en confiance.
Certains arborent le
drapeau américain sur leur treillis. Plusieurs autres portent à
l’épaule un écusson des Unités de protection du peuple (YPG)
kurdes, ou de leur brigade féminine, les Unités de protection des
femmes (YPJ).
Pourquoi ? Impossible de le savoir. Ce n’est pas moi
qui vais aller le leur demander…
Un combattant des FDS
nous confirme qu’il s’agit des «forces d’opérations
spéciales américaines», et qu’elles sont là pour leur apporter
un soutien en formation et en entraînement.
Et plus tard, un
responsable du Pentagone expliquera que les commandos américains
arborent couramment sur leurs uniformes les emblèmes des unités
qu’ils entraînent.
Voilà sûrement l’explication…
Notre présence ne semble
pas vraiment déranger ces mystérieux soldats, dont certains ont les
yeux dissimulés derrière d’épaisses lunettes de soleil, même si
certains préfèrent regarder dans une autre direction quand nous
pointons nos objectifs vers eux. Ils refusent de nous parler, mais
personne ne nous empêche de prendre des photos et de filmer. Tous
restent très calmes.
Au bout d’un moment,
les Américains et les FDS se dirigent vers une école dans les
environs du village, où se situe vraisemblablement leur camp
d’entraînement. Nous les suivons.
Sur le chemin, nous passons
devant d’autres soldats américains qui sont en train de
transporter des missiles anti-char en haut d’une bâtisse.
«Sur
le toit de cette maison, les militaires américains utilisent des
missiles TOW pour tirer sur les voitures piégées auxquelles l’EI a
recours pour attaquer les FDS», nous explique un commandant
rebelle, Hawkar Kobané.
Un des militaires
américains, qui a l’air d’être le chef du groupe, se dirige
vers nous et nous crie en anglais d’arrêter de photographier et de
filmer. Nous continuons notre route, mais arrivés près de l’école,
des combattants rebelles nous bloquent pour de bon. Pas question de
continuer, ordre du commandement des FDS. De toutes façons, la nuit
tombe.
Alors nous rebroussons chemin.
AFP