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Aumône et mendicité : un autre regard sur la question des talibé au Sénégal


de Papa Oumar Ndiaye, Cahiers de la recherche
sur l’éducation et les savoirs, [En ligne], 14 | 2015.
Papa Oumar Ndiaye est sociologue,
Université de Poitiers, laboratoire GRESCO (Groupe de Recherche et d’Études
Sociologiques du Centre Ouest).
Référence
électronique:  
Papa Oumar Ndiaye, « Aumône et mendicité : un
autre regard sur la question des talibé au Sénégal
 », Cahiers de la recherche sur
l’éducation et les savoirs
 [En ligne], 14 | 2015, mis en
ligne le 20 mai 2015, consulté le 17 mai 2016. URL :
http://cres.revues.org/2848 
L’insuccès renouvelé des politiques gouvernementales
du Sénégal pour lutter contre la mendicité des enfants talibé amène à se
demander pourquoi, en dépit des efforts menés par le gouvernement et soutenus
par la société civile et les agences internationales, la situation ne parvient
pas à évoluer 
? Ce travail tente de répondre en proposant une hypothèse qui
fournit des clefs originales de compréhension de ce phénomène. Il montre, à
partir d’une étude menée dans une zone de la banlieue dakaroise, que la
mendicité des talibé remplit, en réalité, une réelle fonction sociale, en permettant
aux donateurs de s’acquitter du devoir d’aumône, devoir d’autant plus important
que la vie citadine laisse moins de temps au rite musulman. Cette remarque
apporte un complément de connaissance important dans le débat actuel sur cette
question des talibé, qui reste orienté par une approche strictement juridique,
visant la protection des enfants et limitant son analyse aux seuls acteurs que
sont les parents/maîtres coraniques/enfants, sans tenir compte de la population
et sans prendre en compte ce contexte du “marché” de l’aumône.
« Il faut beaucoup de
naïveté ou de mauvaise foi pour penser que les hommes choisissent leurs
croyances indépendamment de leur condition. » (Claude Lévi-Strauss,
1955 : 169)
Les talibé sont des élèves en
formation apprenant l’arabe et le coran, sous la tutelle d’un maître appelé (en
wolof, la langue la plus parlée au Sénégal) seriñ daara. Celui-ci
se charge de leur formation et de leur éducation, au sein d’un daara1.
Le daara est un mot arabe qui fait référence à une maison, ou
une école, où se déroule la formation du talibé. Dans la plupart
des cas, c’est la maison du seriñ daara, qu’elle lui appartienne ou
qu’elle lui soit une prêtée. Précisons que ces daaraont existé bien
avant la colonisation occidentale en Afrique Noire et continuent d’exister au
Sénégal. Ils sont aujourd’hui présents dans toutes les régions du pays et
particulièrement dans la capitale2.
Dans la plupart des cas aussi, le seriñ daara ne
dispose pas de moyens financiers suffisants pour répondre à tous les besoins
dits élémentaires des talibé. De plus, le nombre de talibé est
souvent pléthorique, compte tenu des capacités d’accueil des daara :
les effectifs peuvent aller jusqu’à la centaine d’élèves, voire au-delà. À cela
s’ajoute le fait que l’adhésion à ces daara se faisait et se
fait jusqu’à présent sans aucun contrôle légal de la part de l’État. Ce sont
les parents qui décident volontairement d’envoyer ou pas leur fils vers cette
école.
Les talibé consacrent une part
importante de leur temps à des activités autres que les apprentissages. L’une
des plus importantes reste la mendicité. Outre sa fonction d’éducation
religieuse (apprendre l’humilité, cfinfra), celle-ci
procure des revenus qui permettent d’autofinancer le daara (ENDA,
2005 : 20). Ces talibé constituent la grande majorité des
enfants se livrant à la mendicité, dans la région de Dakar : 90 %,
selon un rapport de l’Unicef (2007 : 35-37) qui chiffrait la totalité de
ces enfants à environ 7 600 individus. Dans l’ensemble, ceux-ci étaient
très jeunes : leur moyenne d’âge se situant autour de 11 ans ; lors
de l’enquête, le plus jeune avait 2 ans, et près de la moitié n’avait pas 10
ans.
Aujourd’hui au Sénégal, les daara sont
de plus en plus objets de polémiques. Le principal reproche qui leur est fait
est de ne pas respecter les droits de l’enfant talibé. Les
conditions d’apprentissage restent en effet particulières et s’appuient le plus
souvent sur des violences, physiques ou au moins symboliques. Dans la banlieue
de Dakar par exemple, le talibé offre l’image de ce jeune qui
erre nuit et jour dans les rues, habillé en haillons, une boite de conserve
vide à la main en guise de sébile, et parfois même pieds nus, en quête
d’aumône. Dans la capitale, ils font, pour ainsi dire, partie du décor. On les
retrouve surtout dans les lieux d’affluence comme les places publiques, les
marchés, les arrêts de bus, les croisement marqués par des feux de circulation,
etc. On ne peut pratiquement pas ne pas les rencontrer, ce qui a favorisé des
représentations largement partagées sur la situation de ces talibé.
Elles se résument, dans la plupart des cas, à un sentiment de compassion envers
le talibé, mais également à une condamnation, soit du seriñ daara,
soit des parents de ces enfants, qui semblent négliger leurs droits
élémentaires.
On pourrait pareillement penser qu’il n’existe pas de
volonté politique de la part de l’État pour faire face à ce cas particulier. En
réalité, nous verrons que, depuis la colonisation française et jusqu’à
aujourd’hui, des mécanismes de contrôle, de maîtrise, voire de récupération des daara ont
été mis en œuvre. Mais ces volontés politiques n’auront que peu, voire pas
d’effets. Il convient dès lors se demander pourquoi, en dépit de ces efforts
menés par le gouvernement et soutenus par la société civile et les agences internationales,
la situation semble ne pas évoluer ? Les politiques de l’État sont-elles
adéquates ? Quelle est le rôle, si implicite soit-il, de la population
sénégalaise dans le maintien de cette mendicité ?
Pour répondre à ces questions, nous procéderons en
deux étapes : d’abord, une présentation du contexte de la mendicité des talibé à
Dakar. Cette partie traite du processus d’implantation des daaraau
Sénégal, souvent source de conflit avec le pouvoir politique. La deuxième
partie tentera de montrer comment les populations locales sont impliquées dans
le maintien de cette mendicité et, en dernière analyse, comment s’explique
l’échec des politiques du gouvernement dans notre zone d’étude.
L’ensemble des observations et entretiens
ethnographiques se sont déroulés en banlieue dakaroise, plus précisément dans
la commune d’arrondissement de Mbao (ville de Pikine, Région de Dakar). Cette
commune est historiquement un village traditionnel de pêcheurs lébou, avec, sur
une superficie de 20 km2, une population officielle estimée, en
2005, à 35 000 habitants. La zone d’extension qui nous a servi de terrain
d’investigation est le quartier de Keur Mbaye Fall. C’est une des zones de la
commune qui connaît une des plus fortes croissances démographiques. C’est en 2008
que je suis allé pour la première fois dans cette localité. À l’époque il n’y
avait qu’un seul daara, aujourd’hui, il y en a 6 officiels.
Les observations se sont déroulées en plein rue, au moment où les jeunes
mendient, ou bien encore aux seins des daara. Les personnes
interviewées, dans le cadre de ce travail, sont d’abord en relation directe
avec les deux principaux daara de la zone. Il s’agit des talibé,
des deux seriñ daara et des maggu daara qui
les assistent. Nous avons aussi rencontré les anciens talibé devenus
commerçants dans le grand marché de Keur Mbaye Fall. Ces derniers sont des
jeunes hommes âgés entre 20 et 30 ans. Ensuite d’autres personnes, telles que
le premier Imam de la grande mosquée, deux sociologues travaillant au service
petite enfance de la case des Tout-petits du Sénégal et quelques populations de
la localité ont également été interrogées pour ce travail.

Le daara, une école
particulière au Sénégal

Au Sénégal, co-existent des conceptions très
différentes de la réussite humaine et du rôle de l’école. L’institution
scolaire, c’est-à-dire l’école gérée à travers les institutions de l’État, y
est la plus récente des formes d’éducation. Elle n’apparaît, en Afrique de
l’Ouest, qu’avec la colonisation3. Un auteur comme F. Flis Zonabend
(1968) a montré que l’école au Sénégal était devenue, à l’époque, le facteur
capital de différenciation sociale entre deux parties de la population. Par
contre, bien avant la colonisation, les daara jouaient depuis
longtemps le rôle social dédié à l’école. Leur avènement est lié à l’arrivée de
l’islam au Sénégal, par l’intermédiaire des migrations des peuples arabes qui,
entre 640 et 1840, furent la seule puissance étrangère en Afrique (Monteil,
1986 : 57) : c’est dès cette époque que vont se constituer les
premiers daara.
Ceux-ci sont définis comme « une structure où
l’on transmet l’éducation islamique à travers les générations, grâce aux
efforts conjugués d’un maître, d’élèves et de leur parents » (Mbacké,
1994 : 7). Mais, malgré tous ces « efforts conjugués », les
conditions d’apprentissage de ces jeunes talibé ne sont pas de
tout repos. À Keur Mbaye Fall par exemple, ils se lèvent toujours très tôt,
avant la prière du matin4, pour suivre leur premier cours, qui
finit avec la prière. Ce qu’on appelle “cours”, ici, renvoie à des récitations
par cœur du coran, dont la finalité est la mémorisation. Aussitôt après, ils
sortent en groupe pour aller mendier leur petit déjeuner, jusqu’aux environs de
9 h du matin, où ils retournent au daara pour le cours
suivant. Les heures consacrées à se procurer leur repas constituent les seuls
moments de détente pour les talibé. C’est ainsi qu’un seriñ daara m’affirma,
lors d’une de nos discussions : qu’« en réalité, il n’y a rien de
plus difficile pour un talibé que de [se voir] interdire de
mendier, car c’est son moment de liberté ». Cette dernière phrase est
symptomatique de leurs conditions difficiles d’apprentissage, si l’on songe que
ce « moment de liberté » consiste à devoir tendre la main et
supporter l’indifférence, voire le mépris des donateurs.
Le maître, dans ces écoles coraniques, ne dispose pas
d’équipements comme ceux auxquels nous sommes habitués dans les écoles dites
modernes. Les élèves, pour apprendre, ont chacun un aloubé, c’est-à-dire un
support de bois en forme rectangle ou ovale d’environ 50 cm de longueur, où le
maître écrit des versets coraniques. Ce système d’enseignement religieux
caractéristique au Sénégal correspond à ce qu’Abdoulaye Bara Diop a appelé
« l’islam wolof » (1981 : 213), fortement influencé par la
tradition. Cela se fait à travers des modèles pédagogiques divers, dont
certains sont fortement contestés parce qu’ils s’appuient sur des violences
symboliques et physiques.
Cet apprentissage a une dimension religieuse
essentielle, selon l’analyse de Jean-Émile Charlier (2002) : par des
années d’ascèse, l’enfant acquiert la connaissance religieuse qui va l’aider à
mener une vie juste et droite, qui lui vaudra une récompense éternelle.
L’épreuve initiale est, dans ce cas, la condition indispensable pour accéder à
des états désirables de grandeur. Convaincues par ces arguments à la fois
religieux et pragmatiques, des familles préfèrent le daara à
l’enseignement officiel, même en connaissant les conditions d’existence
réservées aux enfants. Ainsi, « les objectifs de l’école coranique sont
invariables : elle ne prépare pas à un métier ou à un rôle mais seulement
à un être croyant, un homme parfait en utilisant toutes les techniques
d’inculcation qui visent la domestication du corps et de l’esprit »
(Gandolfi, 2003 : 267). La réussite, dans le contexte sénégalais, ne
renvoie donc pas forcément à l’obtention de diplôme ou de grade scolaire, mais
également à d’autres titres socialement définis, tels l’intériorisation des
codes de conduite, dans une société qui accorde encore de l’importance à
certaines valeurs humaines, dont la courtoisie, la persévérance, la patience ou
la solidarité, le savoir vivre en communauté.
Mais notons aussi qu’il existe d’autres
interprétations de cette mendicité, comme n’étant rien d’autre qu’un instrument
d’exploitation des enfants, qu’une mendicité forcée et autres formes de mauvais
traitements à l’encontre des enfants. Ainsi, un rapport de Human Rights Watch
(2010 : 2) affirme qu’« au moins 50 000 enfants fréquentant des
centaines d’internats coraniques (daaras) au Sénégal sont soumis à des
conditions qui s’apparentent à de l’esclavage. Leurs professeurs (marabouts),
qui font office de tuteurs de facto, les soumettent à des formes
souvent extrêmes de maltraitance, de négligence et d’exploitation ». Mais
d’un autre coté, et paradoxalement, ces écoles gardent une particularité qui
leur vaut une certaine adhésion de la part des populations : le fait est,
en effet, qu’« aujourd’hui, l’enseignement coranique reste la seule
opportunité de formation et d’alphabétisation pour beaucoup d’individus »
(Gandolfi, ibid. : 271). Car, comme le montre cet auteur,
l’éducation n’est entachée ni de conditions d’accès, ni de sélectivité, ce qui
constitue un avantage important, comparé aux conditions d’accès à
l’enseignement officiel.

Le daara, une opposition
à l’école officielle ?

Avec la domination coloniale française, c’est une
autre conception de l’école qui s’impose au Sénégal : l’école de l’État,
une école où l’État détient le monopole des programmes et de l’orientation des
enseignements. Mais cette forme d’école a dû cohabiter sur place avec l’ancien
système éducatif où, l’État n’avait à décider ni des modalités de
fonctionnement, ni des contenus ou de l’orientation des enseignements. Cette
cohabitation est à l’origine d’oppositions historiques entre ces deux systèmes
d’enseignement : l’école de l’État a toujours essayé de se substituer, à
travers les politiques des gouvernements, à cette forme plus ancienne de
scolarisation que sont les daara. « Ces écoles
non-officielles, “informelles”, ou “parallèles” se sont développées sous des
formes et à des niveaux très variés, allant des écoles coraniques simples aux
“écoles franco-arabes” assez bien sophistiquées. En les voyant comme des
concurrentes du système éducatif officiel, les États ont tenté de confiner,
contrôler, ou bien parfois d’ignorer ces instances éducatives alternatives au
cours des trois premières décennies des indépendances » (Villalón &
Bodian, 2012 : 1).
Cette cohabitation – toujours actuelle –
entre ces deux systèmes scolaires s’est traduite par des séries de conflits et
de crises durant leur histoire commune. Le rapport de Human Rights Watch (2010)
revient sur le début de ces oppositions. Les premiers conflits peuvent se
situer dès l’implantation de la puissance coloniale dans le pays, et pendant
toute la période coloniale, malgré les tentatives de récupération, de contrôle
ou de suppression des daara par l’administration française, le
modèle des daara traditionnels a perduré. à la fin du XIXsiècle,
l’administration avait tenté de limiter le nombre de daara et
d’écarter les marabouts hostiles à la colonisation. Il fallait une autorisation
pour exercer, on exigeait que les talibé apprennent aussi le
français. Par la suite, au début du XXsiècle, l’attitude
change. La nouvelle stratégie consiste d’abord à proposer des sortes de
subventions aux daara qui donneraient des cours de français.
Ensuite, elle s’est traduite par la création de médersas dirigées par les
autorités coloniales, afin de former des marabouts « officiels ».
Mais cette tentative sera vouée à l’échec et, en 1945, l’administration
française y renonce, et prend un  « arrêté (qui) stipulait que les
écoles coraniques ne devaient plus être considérées comme des institutions
éducatives et qu’elles ne devaient donc sous aucune circonstance recevoir le
moindre subside » (Human Rights Watch, 2010 : 23-24). Cette rivalité
entre les deux systèmes s’est maintenue avec l’Indépendance, suivant des formes
diverses. Elle s’est, selon les situations, aggravée malgré les mécanismes de
conciliation souvent adoptés.
À partir de 1970 par exemple, deux politiques majeures
pour lutter contre la mendicité des talibéont été prônées, nous dit
Sophie D’Aoust (2012). D’abord, il y eut la mise en place des médersas,
institutions privées musulmanes financées par des pays arabes et dotées de
matériel didactique moderne. « Globalement, ces écoles ont été créées par
des enseignants réformistes insatisfaits de l’éducation offerts par les écoles
coraniques qui déformaient les textes sacrés » (D’Aoust, 2012 : 50).
Ensuite, ce fut la création d’un fonds d’aide à l’enfance déshéritée et aux
actions non conventionnelles. « Ce dernier permit l’octroi, entre
1983 et 1988, d’une aide, estimée à 92 174 000 francs CFA (soit
140 500 €), à 1 386 écoles coraniques. Dans les années 1990, le
gouvernement sénégalais collabora avec l’Unicef pour lancer un projet de
réhabilitation des droits des talibés, dont l’objectif général
était de contribuer à la lutte contre la mendicité, tout en améliorant leur
condition de  vie et d’éducation. Ce projet comptait rejoindre 30 000 talibés
pour la première phase (1992-1996) et 50 000 pour la deuxième phase
(1997-2001). Les maîtres coraniques ciblés recevaient de la nourriture  et
des médicaments ainsi que des formations sur la santé et la malnutrition. Selon
Perry, le projet ne fut pas, par contre, renouvelé en 1997, alors qu’une
attention grandissante était portée au phénomène.  Il s’agissait là d’une
décision stratégique de l’Unicef qui avait compris la réticence du gouvernement
à intervenir à cause de l’opposition de marabouts influents » (ibid. :
71).
Plus récemment, le 24 aout 2010, à l’issue d’un
conseil de ministres, le Premier ministre Souleymane Ndéné Ndiaye annonçait la
décision du gouvernement d’Abdoulaye Wade de lutter efficacement contre la
mendicité dans les rues de Dakar. À l’époque, les tribunaux sénégalais avaient
procédé à des arrestations de seriñ daara qui avaient laissé
leur talibé mendier. Cette volonté politique du gouvernement
avait suscité de nombreuses manifestations des musulmans sénégalais. Rappelons
que le Sénégal compte plus de 90 % de musulmans dans sa population
globale. Tous ces mouvements avaient conduit à l’abandon précipité de cette
politique. C’est ainsi que le 8 octobre (c’est-à-dire moins de deux mois après
la déclaration du ministre), un autre communiqué du conseil des ministres
déclarait que le président Wade était en désaccord avec son gouvernement,
estimant que « l’aumône est une pratique recommandée par la
religion ».
Cette déclaration n’a eu lieu qu’après les diverses
manifestations des populations contre la nouvelle politique. Force est de se
demander si les réactions des populations ne sont pas la première raison de
l’abandon du projet : s’il est vrai que l’aumône est recommandée, pourquoi
essayer d’abord de l’interdire ? Alors même que quatre ans plus tôt, le
même président avait déclaré lors de son discours à la nation du 31 décembre
2006 :
« Tous m’ont conforté dans
ma conviction que le triste sort fait aux talibé, en haillons,
pieds nus, errant sans cesse à la quête d’une pitance aléatoire et exposés aux
pires formes d’exploitation et de délinquance, est une pratique qui n’est
conforme ni à nos valeurs traditionnelles, ni aux “enseignements” authentiques
de la religion. Elle est légalement condamnable et moralement inacceptable.5 »
Un autre événement est l’incendie qui a frappé dans la
soirée du 3 mars 20136 un daara en plein
Dakar. À la suite de cet incendie, un débat national a ressurgi à propos de la
question de l’enfant talibé. Au sommet de l’État, des
décisions « instantanées » ont été prises sur le lieu même de
l’incendie. Comme d’habitude, elles se résumaient tout simplement à arrêter et
à emprisonner, avec une amende cette fois-ci, tous les marabouts dont on
retrouvait les talibé dans la rue. Le président Macky Sall
déclarait, lors de sa visite au lieu de l’incendie : « Surtout,
des mesures très fortes seront prises pour mettre fin à l’exploitation des
enfants sous prétexte qu’ils sont des talibé. » Mais la
question qui se posait était de savoir si le président Macky Sall et son
gouvernement iraient jusqu’au bout, après l’échec du régime précédent. Des
arrestations ont certes repris, et à nouveau, les réactions se sont multipliées
partout au Sénégal. À Touba et à Diourbel, les maîtres coraniques déclaraient
« qu’aucun daara ne sera fermé. L’État est dans une
logique de règlement de compte […]. Le talibé est un petit
mendiant et l’État est le grand mendiant. L’État a une vieille envie de
liquider les daara et l’incendie de Médina s’offre à lui comme
une occasion inespérée7 ». Et là encore, à la suite de ces
manifestations, le gouvernement a reculé (mais cette fois sans donner de
raisons…). Les arrestations ont cessé et la mendicité a continué. Ce qui est
sûr, c’est qu’aujourd’hui encore, la mendicité des talibé est
plus que jamais présente dans toutes les rues de Dakar. Les daara,
malgré leur apparente « position de faiblesse », ont encore résisté à
la volonté des pouvoirs politiques de mainmise sur leur fonctionnement.
La mendicité apparaît comme un argument majeur dans la
plupart des disputes qui opposent les gouvernants et les défenseurs des daara.
Qu’elle soit appréhendée dans ces conflits en termes
d’« opportunité », dans « une logique de règlement de
compte » ou en termes d’« exploitation » ou d’atteinte à
l’intégrité physique, morale et sociale de l’enfant, il se pose toujours des
problèmes concernant les mesures d’application et de prise en charge qui devraient
découler de l’application des politiques anti-mendicité. Cette volonté
institutionnelle ne semble pas, a priori, parvenir à modifier
durablement la situation contestée, mais persistante, de ces jeunes.
Mon propos est de porter un regard critique sur ces
différentes conceptions politiques ou scientifiques, selon lesquelles des
propositions d’experts ou de politiques suffiront à régler le problème. Cette
relecture historique des différents programmes pour contenir la pratique de la
mendicité dans les daara et de leur échec constant montre bien
qu’il est nécessaire d’une part, de revenir sur le sens émique de la pratique
de la mendicité, non pas pour les daara uniquement, mais pour
le donateur en particulier ; d’autre part, de voir si l’une des raisons
pour lesquelles ces politiques ne prennent pas le dessus sur la mendicité des talibé ne
serait pas qu’elles sous-estiment les représentations de la population
sénégalaise sur cette pratique. Comme l’affirme Durkheim (1912 : 3) :
« C’est, en effet, un
postulat essentiel de la sociologie qu’une institution humaine ne saurait
reposer sur l’erreur et sur le mensonge : sans quoi elle n’aurait pu
durer. Si elle n’était pas fondée dans la nature des choses, elle aurait
rencontré dans les choses des résistances dont elle n’aurait pu triompher […].
Sans doute, quand on ne considère que la  lettre des formules, ces
croyances et ces pratiques religieuses paraissent déconcertantes et l’on peut
être tenté de les attribuer à une sorte d’aberration foncière. Mais, sous les
symboles, il faut savoir atteindre la réalité qu’ils figurent et qui lui
donnent sa signification véritable. Les rites les plus barbares ou les plus
bizarres, les mythes les plus étranges traduisent quelque besoin humain,
quelque aspect de la vie soit individuelle soit sociale. »
Approche de la mendicité à travers
les « abonnés » des talibé

Les « abonnés » renvoient à toutes ces
personnes qui donnent systématiquement, quotidiennement, une aumône aux 
talibé.
C’est une catégorie que j’ai découverte et spécifiée à travers mes observations
de terrain. Ils ne donnent pas seulement de l’argent aux 
talibé,
mais aussi, et même surtout, de la nourriture, des objets, des volailles. Nous
ne pouvons pas évaluer leur nombre en termes statistiques, car ils constituent
une population insaisissable, ne se caractérisant qu’en situation. En d’autres
termes, nous ne les définissons qu’à travers le moment et en rapport avec la
nature de l’aumône qu’ils donnent. Nous allons essayer de voir qui sont ces
populations, d’analyser les représentations tournant autour de leurs dons et de
l’aumône en général.
C’est d’abord devant l’allée principale du quartier de
Keur Mbaye Fall, où passent quasiment toutes les populations de cette localité
pour gagner leurs lieux d’activité, que j’ai remarqué que chaque matin, une
mère de famille attendait les talibé pour leur donner
l’aumône. Elle ne leur donnait pas de l’argent, mais du riz et du sucre. Je
connaissais quelques-uns de ces talibé, avec qui j’avais l’habitude
de discuter. Je les voyais chaque jour avec une sébile remplie de riz, de sucre
et parfois des bougies à la main, ou des colas. J’ai ainsi décidé de les suivre
discrètement le matin, lorsqu’ils quittent leur daara pour
aller mendier, afin de comprendre d’où venaient tous ces produits. Après
plusieurs jours, je me suis rendu compte que cette mère de famille n’était pas
la seule « abonnée » à ce service des talibé. En effet,
depuis le daara, il y a comme des sortes d’arrêts réguliers que
marquent les talibé : chaque jour, ils s’arrêtent
systématiquement devant les mêmes maisons, aux mêmes heures. S’il arrive qu’un
abonné accuse du retard, le ou les talibé (parce qu’ils se
divisent le plus souvent en binôme) font un arrêt devant la porte de la maison
et prononce leur « laa rabi laara8 »
pour régler le problème. Il arrive également que le talibé soit
interpelé par d’autres « abonnés » en plein chemin. Ceux-là sont plus
difficiles à reconnaître parce qu’ils n’ont aucun contact dans la durée avec le talibé.
Leur interaction avec lui se déroule en quelques secondes, juste le temps de
lui donner un sachet rempli de sucre, de bougies, de pain, etc., et de
continuer leur chemin. De la sorte, même s’ils se rencontrent le lendemain, ils
ne pourront pas se reconnaître. Ainsi, de maison en maison, de personne en
personne, les talibé reçoivent presque les mêmes choses, avec
une dominante en riz et en sucre. Mais dans toutes ces situations, le talibé offre
lui aussi ses services, sous forme de prières : « Que vos vœux soient
exaucés, que Dieu vous compte parmi les pèlerins à la Mecque, que vos peurs
soient dissipées, etc. » Ces scènes se déroulaient quasiment tous les
jours. Restait à savoir ce que cela signifiait pour les donateurs.
Pourquoi le riz et le sucre plutôt que l’argent ?
En réalité, le riz, le sucre, mais aussi le lait, les colas, les bougies, etc.
renferment des significations symboliques. Cela ne peut s’appréhender qu’à
travers l’analyse des choix du nombre ou de la couleur des objets, qui donnent
toute leur efficacité symbolique au don9.
En tant que sénégalais, il nous est souvent demandé – que ce soit après un rêve
(de malheur ou de bonheur), en situation de conquête (d’un titre, examen,
emploi), en situation de peur, etc. – de faire ce genre d’offrandes. Elles sont
réputées le plus souvent efficaces par elles-mêmes. Même si personne, parmi
ceux qui pratiquent cette forme de don, ne peut expliquer rationnellement la source
de cette efficacité, cela n’empêche en rien qu’elle demeure une croyance
fortement partagée. C’est une forme de qualité abstraite, une efficacité
symbolique supposée habiter certains objets à travers leur nombre (pairs ou
impairs) et leur couleur. Ce qui renvoie dans une large mesure au mana chez
Marcel Mauss (1922-23). La seule particularité, ici, reste la couleur ou le
nombre des objets.
« On ne donne pas parce que la religion prescrit
l’aumône, mais parce que c’est le seul moyen d’éviter un mal, et plus celui-ci
semble redoutable, plus le geste est consistant » (Mbacké, 1994 :
48).
Ainsi, une observation fine de la pratique de cette
aumône des talibé nous a permis de constater que, dans la
plupart des cas, nous avons affaire à « une charité colorée ». Les
couleurs principales sont le rouge (les colas) et le blanc (bougie, sucre, riz,
coq blanc). L’aumône reste, dans cette situation, ce « seul moyen d’éviter
un mal » à la disposition de ces « abonnés » et fonctionne comme
une « soupape de sécurité » sociale face aux incertitudes de la vie
quotidienne. Ce don pourrait ainsi préserver contre les peines, les accidents,
la malchance, etc. Ce qui explique le fait que, chaque matin, avant d’entamer
quoi que se soit, ces populations font ce don symbolique, synonyme de
protection pour eux. Les donateurs rendent, certes, un service aux talibé,
mais réciproquement, les talibé leur permettent de faire ce
don nécessaire ; les donateurs, en réalité, ont quotidiennement recours au talibé pour
pouvoir donner leur aumône. Car, même s’il existe d’autres mendiants à Dakar,
le service des talibé semble beaucoup plus simple.
En effet, ces talibé offrent, malgré
ce qu’on pourrait penser, plusieurs avantages à cette catégorie de population
que nous appelons les « abonnés ». D’abord, de réaliser un acte sacré
(Ndiaye, 2008), en l’occurrence l’aumône. Car même s’il n’y avait pas de talibé,
cette population ferait l’aumône. C’est un acte qu’on qualifiera ici de nécessaire,
pour ne pas dire obligatoire pour elle. L’exemple, donné par Aminata Sow Fall
(2004), du fonctionnaire qui voulait promouvoir le tourisme en débarrassant la
ville de l’aumône est assez illustratif : finalement, le fonctionnaire,
aspirant à de plus hautes fonctions, doit donner l’aumône à un mendiant. Ne
trouvant personne à qui donner, il finit par perdre le poste convoité. Cet
exemple, aussi “romanesque” puisse-t-il paraître, révèle l’acte de donner
l’aumône comme faisant partie intégrante de la société sénégalaise. Ainsi, il
ne s’agit pas ici de mendicité comme dernier degré de la misère, mais d’une
forme de solidarité collective, où la société accepte de prendre en charge ceux
qui, en retour, prieront pour elle (à l’instar des bonzes d’Asie, qui
“mendient” leur repas quotidien, selon la même logique de réciprocité). Ce don
est d’ailleurs beaucoup plus visible à l’approche des examens des élèves ou
étudiants, où la récompense attendue semble être plus immédiate. Ainsi,
l’apport premier du talibé pourrait correspondre à une sorte
de satisfaction d’un devoir (peut-être implicite) réalisé, puisqu’il est
nécessaire de donner l’aumône. Dans cette perspective, chacun tire son épingle
du jeu : le talibé reçoit sa charité et l’abonné
accomplit un devoir, si implicite soit-il.
Avantage secondaire, c’est à domicile (ou sur sa route
habituelle) que le talibé offre à l’abonné la possibilité
d’effectuer cet acte. Il se présente ainsi comme un facilitateur, dans ce
processus entre la société et l’acte sacré de donner. C’est ce qui contribue
dans une large mesure au caractère insaisissable de certains de ces abonnés.
Puisque c’est le talibé qui se déplace vers eux, l’interaction
se déroule dans une certaine sobriété et, surtout, selon le trajet du talibé.

Conclusion

Au terme de cette étude, nous pouvons retenir un point
qui nous semble important : la mendicité des talibé, aussi
controversée qu’elle puisse paraître, ne concerne pas exclusivement ces
derniers et les seriñ daara. Au-delà de ces acteurs visibles, il y
a de nombreux autres acteurs impliqués mais difficiles à voir. La mendicité
fait en effet partie intégrante de la société sénégalaise. Cela se constate
dans une large mesure à travers les moments d’échange entre les talibé et
les populations. Tant que cette dimension sociologique n’est pas prise en
compte, on risque de passer à côté d’un fait essentiel, ce qui naturellement va
« produire une situation telle que l’incompréhension systématique réduit
une forme traditionnelle d’action à une farce sociale » (Geertz,
1998 : 6). Qu’on se place en partisan ou en détracteur de la cause des daara traditionnels,
des aspects de cette mendicité (comme sa persistance ou ses réels excès)
restent inexpliqués. Il est donc nécessaire de considérer la relation étroite
qui existe entre la pratique de la mendicité au Sénégal, la nature des
donations de la part des populations, et les représentations collectives dans
la vie sociale. L’État ou les organismes internationaux, en voulant condamner
puis supprimer systématiquement cette pratique, se heurtent toujours à des
blocages. Le problème semble donc être plus complexe qu’il ne le paraît.
Dans ce cas précis, il me semble que la distinction
wébérienne (Weber, 191910) entre une éthique de responsabilité et
une éthique de conviction n’est pas suffisamment prise en compte dans ces
politiques contre la mendicité. « Celle-ci justifie les moyens par la fin
de l’action. Celle là au contraire s’efforce d’anticiper les conséquences
prévisibles de cette action. » (Fassin, 2005 : 99) À partir de cet
instant, « l’enjeu de la misère » (Vuarin, 1990) ne sera pas vu de la
même manière selon qu’on se situe du point de vue des daara et
des seriñ daara, du point de vue des chefs religieux et des
populations abonnées ou du point de vue de l’État et des organismes
internationaux.
Pour les deux premiers groupes d’acteurs que nous
venons de citer, l’éthique de conviction semble guider les réactions. Comme l’a
remarqué Vuarin (1990), quatre pôles forment les systèmes de protection sociale
africains : l’État (sécurité sociale, politique sociale), le marché (assurances,
tontines), la « société civile » (système populaire d’entraide,
parenté) et enfin, la religion (charité). Ce dernier élément est omniprésent
dans les différentes sphères de la vie des Sénégalais, avec 94 % de
musulmans rattachés à des confréries (Mouride, Tidiane, Layenne, Qadiriyya)
(Niang, 2013). Une autre remarque, non moins importante, est que les fidèles
adhérents à ces mouvements sont aussi appelés talibé, qu’on oppose
souvent aux enfants talibé. Chose qui est partiellement acceptée
puisque, dans la réalité et dans certains cas, des fidèles adultes, à l’image
de Baye Fall (un sous-groupe des mourides), mendient d’une manière semblable à
celle des enfants talibé : c’est-à-dire qu’ils mendient pour
leur marabout-chef religieux, dont la finalité est de leur inculquer par-là les
nobles caractères (la décence, la courtoisie…) du bon musulman.
Il est dès lors vain d’espérer que sa seule
condamnation va permettre d’agir sur ce phénomène. Ne serait-ce d’abord parce
ce que ces croyances ont eu tout le temps pour s’installer dans le quotidien de
ces Sénégalais. Il faudra donc nécessairement du temps pour espérer les
changer : cela fait maintenant plus d’un siècle que des actions sont
menées sans un grand résultat. Ensuite parce que, numériquement, les populations
concernées sont majoritairement opposées, en la matière, à ce que l’État se
livre à l’éthique de responsabilité. Ce second argument est pour le moins
secondaire, cependant : en effet, le dernier rapport de Human Right Watch
(HRW) (2014) a identifié, au nombre des obstacles aux politiques
anti-mendicités du Sénégal, ce qu’ils ont nommé « un manque de volonté au
plus haut niveau ». Cette absence de volonté se révèle dans le fait que
les hommes politiques reculent systématiquement face aux revendications des
marabouts ou des populations, quand il s’agit des talibé. D’où la
pertinence de cette remarque de Niang (2013) sur le fait qu’il existe de fait,
au Sénégal, un accord tacite entre pouvoir maraboutique et pouvoir étatique
pour maintenir cet ordre social. Ce consensus, qui date de la période
coloniale, s’est vu consolider en 1962 (la première élection présidentielle),
lorsque Senghor remporta sa bataille contre son rival Mamadou Dia grâce au
soutien des marabouts (Niang, 2013 : 52).
Ce même rapport de HRW (2014) a proposé une liste
d’alliés potentiels pour faire face à la mendicité, qui se résume à deux
catégories : des dirigeants religieux et de nombreux enseignants du Coran.
Mais il est assez frappant de constater que ce rapport ignore complètement le
rôle des populations elles-mêmes, qui, en pratiquant l’aumône quotidiennement,
contribuent pour le moins au maintien de cette pratique. Cette posture n’est
d’ailleurs pas nouvelle et ne fait que reprendre des stratégies déjà
expérimentées, occultant les réalités socioreligieuses ; c’est l’un des
constats que faisait déjà Sophie d’Aoust. L’enjeu reste cependant de comprendre
comment cette dimension pourrait être prise en compte dans les politiques de
protection de l’enfant ? Dans quelle mesure pourrait-on imaginer un
système qui permettrait aux Dakarois de réaliser leur besoin d’aumône, tout en
assurant aux enfants des conditions d’apprentissage décentes ?
Bibliographie
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Notes
1  On distingue en général trois types de daara :
1) les daara modernes, qui demandent une contribution
financière aux familles et reçoivent des aides publiques et des dons
privés ; 2) les daara traditionnels, où un grand nombre
d’enfants, en dehors des temps où ils apprennent le Coran, sont « livrés à
eux-mêmes » : ils mendient, cherchent leur nourriture, tentent de
recueillir les quelques sous que le marabout leur réclame quotidiennement. Ce
sont ces daara précisément qui nous intéressent ici. Dans ces daara traditionnels
et modernes, l’enfant est coupé de sa famille, qu’il ne voit qu’à de très rares
occasions ; 3) tel n’est pas le cas des écoles coraniques de quartier, où
l’enfant ne passe que quelques heures par jour et qu’il quitte tous les soirs
pour rejoindre sa famille ; ces écoles visent à apprendre le Coran aux
enfants en congé scolaire ou trop jeunes pour aller à l’école publique.
2  Le rapport final d’Emergence Consulting
(2010) montre que sur l’ensemble des 558 daara sur lesquels
portaient leur étude, 25 % ont été créés après 2000, 21 % en
1990-2000, 18 % en 1980-1990 et 37 % avant 1980, soit une
augmentation régulière du nombre de créations de daara par an.
Dans la région de Dakar, plus de 34 % des daara ont été
créés dans les dix dernières années (après 2000) et 26 % il y a 10-20 ans
(1990-2000).
3  Tout à ses débuts (1817), l’école
publique au Sénégal était aussi une école catholique, car elle était confiée à
des religieux.
4  Dans l’islam, cette prière se fait avant
le lever du soleil. Donc, au Sénégal, selon les saisons, cette prière se fait
entre 5 h et 7 h du matin.
5  République du Sénégal, gouvernement du
Sénégal, Discours de la nation prononcé par le chef de l’État à la veille du
nouvel an, 31 décembre 2006, en ligne : <http://www.gouv.sn/spip.php?article655> (cité
par D’Aoust, 2012).
6  « De nombreux Sénégalais ont eu
droit, en la matinée d’hier, lundi 4 mars, à une vision cauchemardesque, à la
rue 6, X9, en plein quartier de la Médina. Un incendie d’une rare violence a
tout ravagé sur son passage. Bilan : 9 morts et un brûlé grave. Tous des
enfants. Leur âge varie entre 5 et 12 ans. Ils ont été retrouvés calcinés dans
les décombres. Sept (7) talibés d’un daara de
fortune, un garçonnet et une fillette d’une maison voisine ont perdu la vie
dans cette sinistre nuit de dimanche à lundi 4 mars 2013. Un incendie qui n’a
rien épargné, semant la désolation et la tristesse, vient d’endeuiller
plusieurs familles. » (Cf. : <http://www.sudonline.sn/9-morts-et-un-brule-grave-dans-un-incendie-a-la-medina_a_12719.html>, consulté
le 10/03/2013)
7  <www.Seneweb.com>, consulté le samedi 09 mai
2013.
8  C’est une expression qui vient de l’arabe
et qui est utilisée par tous les talibé pour demander de
l’aumône. La définition que nous en avons eue d’un seriñ daara est
la suivante : « En Dieu, nous appartenons. » Le véritable mot
serait « Yaa raballana ». C’est une formule qui permet de
demander l’aumône en dépersonnalisant la relation par l’introduction de Dieu.
9  Ici nous utilisons le don au sens de
Marcel Mauss. Dans son Essai sur le don. Forme et raison de l’échange
dans les sociétés archaïques
 (1923-1924), il revient sur la triple
obligation du don : obligation de donner, de recevoir et de rendre, qui
participe à une reproduction permanente du lien social. Mais dans ce cas
précis, ce qu’il a appelé le potlatch ne se place pas sous le
signe de la rivalité mais plutôt selon la situation particulière de chaque
individu en rapport aux finalités attendues de la donation.
10  Reprise notamment par Vuarin (1990) ou
Fassin (2005).