# Supertuesday : vers une percée de Bernie Sanders ? Les travailleurs face à Trump et à la primaire démocrate. Interview de John Catalinotto
Initiative Communiste 01/03/2020 |
Aux États-Unis d’Amérique, la campagne des élections présidentielles est lancée, avec comme drôle de premier tour, les primaires. Celles du parti Démocrate mettent aux prises un candidat se réclamant du “socialisme”, Bernie Sanders, face à des libéraux et même au milliardaire magnat de la presse financière Bloomberg, ex maire républicain de New-York.
Les derniers scrutins ont mis en évidence une percée importante de Sanders. Ses propositions phares, notamment de généraliser un système de sécurité sociale publique obligatoire, d’augmenter le salaire minimum, de combattre les prêts étudiants mais également ses positions modérées vis à vis de la Palestine ou de Cuba lui valent désormais de violentes attaques, sur le mode d’un anticommunisme virulent. Ce qui n’est pas sans paradoxe puisque le sénateur du Vermont, s’il se revendique progressiste, n’est assurément pas communiste, ni même socialiste au sens dont on pourrait le comprendre en France.
Initiative Communiste : Comment évaluez-vous le premier mandat de Trump en termes sociaux, politiques, culturels et géopolitiques ?
John Catalinotto : Trump a réussi à transférer une énorme quantité de richesses de la classe ouvrière, y compris des secteurs les plus opprimés vers les secteurs les plus riches et les plus élitistes de la société américaine. Il l’a fait principalement de deux manières :
l’une consistait à modifier les lois fiscales afin que les revenus les plus élevés soient imposés à un taux beaucoup plus bas, en réduisant également les impôts sur les bénéfices des sociétés, les gains en capital et la richesse héritée – ces changements aident tous les super riches ;
la deuxième façon était par des privatisations, par l’ouverture des terres publiques à une exploitation privée, comme la côte de l’Alaska et certaines parties de l’Ouest américain. Ce cadeau à sa classe milliardaire lui a valu le soutien continu de ce secteur de la société, même si une partie de la classe dirigeante considère Trump comme un président incompétent qui ne comprend rien aux affaires étrangères. Il remplit leurs coffres avec de l’argent. Et ils l’aiment pour ça.
Politiquement, Trump a polarisé la société. Il y a moins de coopération que jamais ces derniers temps entre le Parti Républicain de Trump et le Parti Démocrate, qui sont à la fois des partis pro-capitalistes et pro-impérialistes. Tous les présidents américains disent des mensonges. Culturellement, Trump a éliminé les faits du discours public et les a remplacés par une rhétorique qui souligne son idéologie réactionnaire : racisme, misogynie, islamophobie, commentaires anti-LGBTQ sont le fil d’actualité quotidien du président des États-Unis. En réaction à cette évolution, à gauche, il y a eu une croissance d’un mouvement social-démocrate qui est contre Trump et aussi pour les réformes sociales. La plupart de ces réformes avaient déjà été conquises dans de nombreux pays impérialistes européens entre 1945 et 1990, comme les soins de santé universels, l’éducation gratuite, de meilleures prestations de retraite. Les commentaires réactionnaires quotidiens de Trump ont également dopé la dynamique des partis fascistes, des milices d’extrême droite, etc.
Géopolitiquement, Trump a poursuivi ses efforts pour atteindre les mêmes objectifs que les administrations avant lui, à savoir la domination impérialiste américaine des pays opprimés et l’hégémonie américaine au sein du monde impérialiste. Il appelle plus ouvertement à des traités plaçant les «États-Unis d’abord» par opposition aux traités mondiaux. Ses attaques ont d’abord semblé menacer l’alliance formée à travers l’OTAN, mais elles se sont révélées n’être que des demandes que les puissances impérialistes européennes paient plus cher pour l’alliance militaire et acceptent de n’avoir que moins de miettes dans le partage du butin impérialiste. Les États-Unis ont perdu une part relative de leur puissance économique (par rapport à la Chine, à l’UE) et Washington essaie de surmonter cette perte en recourant à plus de puissance militaire. C’était vrai sous Bush, Obama et maintenant sous Trump.
Y a-t-il un vrai enjeu politique, du point de vue de la classe ouvrière, lors des élections primaires du Parti Démocrate ? Pensez-vous qu’il existe vraiment des candidats du Parti Démocrate qui peuvent porter une alternative plus favorable au mouvement ouvrier et au camp du progrès social et de la paix dans le monde ?
Il est difficile d’imaginer une situation où un simple changement électoral, même l’élection du candidat le plus progressiste, apporterait un réel changement au caractère pro-capitaliste et pro-impérialiste de l’appareil d’État américain. Ce que Lénine a écrit sur le capitalisme et l’impérialisme il y a plus de 100 ans est toujours vrai : vous ne pouvez pas changer la nature procapitaliste du pouvoir d’État sans l’écraser et le remplacer par une forme d’État ouvrier ou populaire ; ce n’est pas une tâche facile.
Il y a cependant un nouveau développement à travers ces primaires démocrates. C’est la croissance d’un mouvement en faveur de Bernie Sanders, le sénateur du Vermont. Sanders se qualifie de «socialiste démocratique», mais sa version du «socialisme» est vraiment un programme de réforme du capitalisme. Néanmoins, la classe capitaliste n’est pas d’humeur à autoriser des réformes telles que la gratuité des frais de scolarité, Medicare for All (la sécurité sociale pour tous) ou l’annulation de la loi antisyndicale Taft-Hartley. Pourtant ses paroles, dans le contexte de la situation sociale réactionnaire aux États-Unis, ont conduit de nombreux jeunes à s’identifier comme prosocialistes. Sanders est le seul candidat qui recueille de grandes sommes d’argent grâce à des millions de petits dons. Les autres candidats dépendent de riches donateurs. Sanders est le seul candidat qui rassemble un public de masse enthousiaste, avec de nombreux jeunes, qui semblent vraiment prêts à se battre pour ces propositions.
La direction du Parti Démocrate s’agite pour chercher un moyen d’empêcher Sanders d’obtenir l’investiture. Sanders a déclaré que s’il perd l’investiture, il soutiendra celui que les démocrates nommeront. Cela signifie qu’une campagne sérieuse indépendante du Parti Démocrate est peu probable. Si le mouvement Sanders est suffisamment fort pour remporter les primaires et vaincre la direction du Parti Démocrate, les dirigeants du Parti Démocrate abandonneront probablement Sanders. Dans le même temps, le grand capital déplacera son soutien vers Trump. Et Trump mènera une campagne qui dépeint Sanders comme un communiste radical. C’est une lutte qui est en train de se mener.
Quelle est la situation de la classe ouvrière et du mouvement démocratique, en termes sociaux, culturels et politiques aux États-Unis ?
Comme dans le monde entier, la défaite du socialisme en URSS en 1989-1991 a continué d’avoir des répercussions négatives sur la classe ouvrière et le mouvement démocratique aux États-Unis. Il y a eu des gains partiels sur ce que les gens appellent ici des «problèmes sociaux» (NdT sociétaux), c’est-à-dire une lutte croissante pour l’égalité des sexes, une plus grande acceptation des questions sociétales comme le mariage et les droits d’adoption pour les couples homosexuels, une plus grande présence publique pour les personnes trans. Bien sûr, Trump mène une guerre réactionnaire sur toutes ces questions. Et des attaques physiques contre des gays, des lesbiennes et des meurtres de personnes trans, des meurtres misogynes de femmes ont toujours lieu. En ce qui concerne la lutte contre le racisme, le fait d’avoir un président afro-américain pour deux mandats, ce qui semblait presque incroyable quand cela s’est produit, n’a rien fait pour empêcher la brutalité policière raciste et la discrimination raciale dans de nombreux domaines.
Les manifestations les plus massives depuis 2017 ont toutes été dirigées contre l’administration Trump et ont été en partie sous le contrôle du Parti Démocrate ou de son aile gauche. Il y a eu des manifestations de femmes contre la misogénie ouverte de Trump, en faveur du contrôle des armes à feu pour arrêter l’épidémie de décès par balle, en solidarité avec les réfugiés et les migrants, et pour la défense de l’environnement.
Les luttes de la classe ouvrière ont également pris la forme d’importantes grèves des enseignants, en particulier dans certains États où de telles actions sont illégales (Virginie-Occidentale, Oklahoma, par exemple) et à Chicago et Los Angeles. Ceux-ci ont montré qu’une résistance de la classe ouvrière est possible, bien que cette résistance ne se soit pas encore largement répandue dans la classe ouvrière.
Un grand défi pour la gauche non parlementaire aux États-Unis cette année sera de savoir comment participer aux côtés du mouvement soutenant Bernie Sanders tout en réussissant à conserver un rôle révolutionnaire indépendant. Beaucoup plus de jeunes qu’auparavant au cours des trois dernières décennies sont aujourd’hui déçus par le capitalisme et cherchent un changement radical dans la société. En ce moment, ils s’orientent vers la social-démocratie, vers les socialistes démocrates d’Amérique (DSA) par exemple. Vont-ils progresser de l’activité électorale et sociale-démocrate à consacrer leur vie à la lutte pour un changement fondamental du système ? Pendant la campagne électorale et après le vote, les organisations communistes aux États-Unis s’adapteront à cette lutte vivante, tout comme vous en France avez dû vous adapter aux changements dans le mouvement des Gilets Jaunes et à la vague de grèves défendant les droits à la retraites contre les attaques de Macron.
Pour la Palestine, Cuba, les patriotes et les progressistes d’Amérique latine, du Proche-Orient ou d’Afrique, cela ferait-il une grande différence si un candidat “Parti Démocrate” ou “Parti Républicain” était élu?
Lorsque Trump, lors du discours sur l’état de l’Union, a présenté Juan Guaidó comme le «président du Venezuela», tous les Républicains et presque tous les Démocrates ont ovationné ce commentaire – et c’est à ce moment-là qu’il y avait tellement d’hostilité entre les deux partis que le président de la Chambre, la Démocrate Nancy Pelosi, a déchiré le discours imprimé de Trump. De plus, la procédure de destitution (Impeachment) déclenchée contre Trump était basée sur sa menace de retenir l’aide militaire au gouvernement ukrainien réactionnaire. Nous dirions donc que les deux parties ont une approche agressive et belliqueuse envers le reste du monde. Même si Sanders était élu, il devrait affronter le Pentagone, la CIA et l’énorme bureaucratie gouvernementale pour mener une politique étrangère plus pacifique. C’est plus facile à dire qu’à faire.
Traduction JBC pour www.initiative-communiste.fr