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L’assassinat du chanteur populaire Hachalu Hundessa met le feu à l’Éthiopie Plus de 81 morts

Abdi Latif Dahir – Tiksa Negeri 02/07/2020
Au moins 81 personnes ont été tuées et des dizaines blessées dans les troubles qui ont suivi l’assassinat de Hachalu Hundessa, ce qui souligne les tensions persistantes dans ce pays de la Corne de l’Afrique.

Tradotto da Fausto Giudice
NAIROBI, Kenya – Dans la vie, les chants de protestation d’Hachalu Hundessa ont réveillé et uni les Ethiopiens qui aspirent à la liberté et à la justice. Il fait de même dans la mort, avec des milliers de personnes qui ont affl jeudi pour l’enterrer à Ambo, la ville située à 98 km à l’ouest de la capitale éthiopienne Addis-Abeba où il est né et a grandi.
M. Hundessa, 34 ans, a été abattu lundi soir par des assaillants inconnus à Addis-Abeba et est mort plus tard de ses blessures dans un hôpital. Sa mort a déclenché des manifestations nationales qui ont fait 81 morts, des dizaines de blessés et causé d’importants dégâts matériels. Les autorités ont bloqué l’internet et arrêté 35 personnes, dont un éminent magnat des médias et critique du gouvernement, Jawar Mohammed.
Jeudi, des groupes de jeunes hommes, certains armés de machettes, ont parcouru les quartiers d’Addis-Abeba, désignant des personnes appartenant à des groupes ethniques rivaux pour des attaques – ce qui a incité le gouvernement à déployer des soldats pour patrouiller dans les rues. Et à Ambo, des témoins ont déclaré que la police avait empêché certaines personnes d’assister aux funérailles du chanteur, allant même jusqu’à leur tirer dessus.
Selon les analystes, ces troubles menacent la stabilité du deuxième pays le plus peuplé d’Afrique et aggravent la crise politique dans un pays qui connaît déjà une transition démocratique en dents de scie. 
« Je suis dans une tristesse amère », dit Getu Dandefa, un étudiant universitaire de 29 ans. Lorsqu’il a vu le cercueil de M. Hundessa à Ambo, il a dit qu’il s’était laissé tomber par terre et s’était mis à pleurer.
« Nous avons perdu notre voix », dit-il. « Nous continuerons à nous battre jusqu’à ce que Hachalu obtienne justice. Nous n’arrêterons jamais de protester. »
Les funérailles de M. Hundessa ont porté les tensions à un point d’ébullition dans un pays déjà confronté à une myriade de défis politiques, économiques et sociaux. La fureur suscitée par sa mort constitue un défi pour le Premier ministre Abiy Ahmed, qui a accédé au pouvoir en 2018 à la suite d’une vague de protestations antigouvernementales que M. Hundessa – membre du groupe ethnique le plus important mais historiquement marginalisé du pays, les Oromo – a contribué à galvaniser par sa musique.
Depuis lors, M. Abiy, lui-même oromo, a introduit une série de changements visant à démanteler la structure autoritaire de l’Éthiopie, à libérer les prisonniers politiques, à libéraliser l’économie centralisée, à s’engager à réviser les lois répressives et à accueillir de nouveau les groupes d’opposition et séparatistes exilés.
En 2019, M. Abiy a reçu le prix Nobel de la paix pour son initiative visant à résoudre le conflit qui dure depuis des décennies avec l’Érythrée voisine et pour avoir été le fer de lance de la paix et de la coopération régionales dans la Corne de l’Afrique.
Nation d’environ 109 millions d’habitants, l’Éthiopie a l’une des économies à la croissance la plus rapide d’Afrique, accueille le siège de l’Union africaine et est un allié clé USA dans la « lutte contre le terrorisme ».
Mais si le premier ministre de 43 ans a fait de grands progrès, les changements ont déclenché des forces qui ont produit une forte augmentation de l’anarchie dans de nombreuses régions du pays, avec des tensions ethniques croissantes et une violence qui a déplacé 3 millions de personnes.
Yohannes Gedamu, professeur éthiopien de sciences politiques au Georgia Gwinnett College, à Lawrenceville (Géorgie), a déclaré que la coalition au pouvoir avait perdu son emprise sur les structures qu’elle utilisait autrefois pour maintenir l’ordre dans une nation ethniquement et linguistiquement diverse. En conséquence, a-t-il ajouté, alors que le pays se dirige vers une démocratie multipartite, des factions ethniques et politiques rivales se sont affrontées pour les ressources, le pouvoir et l’orientation future du pays.
Le gouvernement a été critiqué pour ne pas avoir mis fin à l’assassinat de ses détracteurs et de personnalités importantes, comme le chef d’état-major de l’armée éthiopienne, et pour son incapacité à sauver une douzaine d’étudiants universitaires enlevés il y a quelques mois.
Pour lutter contre ce désordre, les autorités ont eu recours aux tactiques des gouvernements précédents, répressifs, non seulement en bloquant l’internet, mais aussi en arrêtant des journalistes et en promulguant des lois qui, selon les défenseurs des droits humains, pourraient limiter la liberté d’expression. Les forces de sécurité éthiopiennes ont été accusées de violations flagrantes des humains, notamment de viols, d’arrestations arbitraires et d’exécutions extrajudiciaires.
La pandémie de coronavirus a compliqué tout cela, ce qui a conduit le gouvernement à reporter les élections prévues en août que beaucoup considéraient comme un test critique du programme de réforme de M. Abiy. Cette décision a été condamnée par les partis d’opposition, qui craignent que le gouvernement n’utilise ce délai pour tenter une prise de pouvoir.
« Ces derniers jours montrent à quel point la situation en Éthiopie est explosive” », dit Murithi Mutiga, directeur de projet pour la Corne de l’Afrique à l’International Crisis Group.
Il ajoute : « La moindre étincelle peut facilement déclencher toutes ces passions ethnonationalistes ui avaient été mises sous le boisseau et qui sont devenues la caractéristique déterminante de la politique éthiopienne, surtout au moment où elle traverse cette transition très délicate ».
Bien que M. Abiy ait une tâche redoutable à accomplir, beaucoup disent que la réponse énergique du gouvernement au récent mécontentement pourrait aggraver la situation. Laetitia Bader, directrice pour la Corne de l’Afrique à Human Rights Watch, a déclaré que le groupe avait reçu des rapports selon lesquels les forces de sécurité avaient utilisé une force meurtrière contre des manifestants dans au moins sept villes.
« Les premiers signes ne sont pas bons », dit Laetitia Bader. « Le gouvernement doit montrer clairement qu’il est à l’écoute de ces griefs, en créant un espace pour qu’ils soient entendus et en y répondant de manière adéquate sans recourir à la répression ou à la violence ».
Compte tenu de la stature de M. Hundessa, et de la façon dont sa musique a fourni une bande sonore remuant les gens contre la répression, les autorités devraient se retirer et permettre « aux gens de faire leur deuil en paix », a déclaré Henok Gabisa, le co-président de l’Association internationale des avocats oromo, basée à Saint-Paul, au Minnesota (USA), où environ 200 membres de la communauté oromo de la ville ont protesté mardi.
« Les Oromo sont incrédules, choqués et confus», a déclaré M. Gabisa, qui connaissait M. Hundessa et l’a rencontré il y a quelques mois en Éthiopie. Mais l’arrestation de leaders de l’opposition politique comme Bekele Gerba, du Parti du Congrès Fédéraliste Oromo, et le raid contre le réseau médiatique Oromia de M. Mohammed ne font qu’exacerber des tensions qui durent depuis longtemps, dit-il.
“Abiy a été flottant », ajoute M. Gabisa. « Il a baissé les bras. »
Cependant, malgré les récents bouleversements, les analystes donnent toujours une bonne note à M. Abiy pour ses efforts visant à mettre l’Éthiopie sur une nouvelle voie.
M. Gedamu dit que le Premier ministre avait fait d’énormes progrès sur de multiples fronts, en créant le Parti de la prospérité, qui unifie le pays, en supervisant un projet de plantation d’arbres qui bat tous les records pour lutter contre le changement climatique et en accélérant les efforts pour achever le Grand barrage de la Renaissance éthiopienne. Ce projet a alimenté le conflit avec l’Égypte au sujet des droits sur les eaux du Nil, mais il permettrait de renforcer l’approvisionnement en électricité de l’Éthiopie.
« Je crois comprendre que des changements positifs révolutionnaires pourraient prendre un certain temps », déclare M. Gedamu. « Mais dans l’ensemble, les bénéfices de la réforme l’emportent sur les défis ».
Pour l’instant, les tensions restent élevées en Éthiopie, alors qu’on enterre Hachalu. L’armée a été déployée dans certaines parties de la capitale mercredi, et des témoins ont déclaré avoir entendu des coups de feu.
Rawera Daniel, 24 ans, un diplômé chômeur à Addis-Abeba, a déclaré que les autorités ne devraient pas sévir contre les citoyens qui veulent faire leur deuil.
En apprenant la mort de M. Hundessa, « j’ai pleuré comme si j’avais perdu ma mère », a-t-il déclaré. ” »l s’est battu pour notre liberté. Ses paroles parlaient en notre nom. »
M. Mutiga, de l’International Crisis Group, a déclaré que M. Abiy devrait se montrer à la hauteur de la situation, non seulement en tant que leader politique, mais aussi en tant que guérisseur en chef de l’Éthiopie {sic].
« Je pense que là où Abiy pourrait certainement faire mieux, c’est en essayant de créer un consensus », a-t-il dit, « de persuader ses adversaires, d’être plus délibératif et consultatif et d’essayer d’entraîner les gens avec lui ».