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Quand les classes subalternes racisées disent Ça suffit !, c’est de la violence

Jorge Majfud 04/06/2020
Le 30 mai 1921, un cireur de chaussures orphelin de 19 ans se dirigeait vers les toilettes réservées aux noirs d’un immeuble de Tulsa, dans l’Oklahoma, et, alors qu’il trébuchait, il toucha le bras d’une jeune blanche.

Tradotto da Fausto Giudice
Quelqu’un a vu l’incident et l’a dénoncé comme une tentative de viol (souvent l’imagination pornographique est basée sur la violence du pouvoir d’inversion). Bien que la jeune Sarah ait déclaré qu’il s’agissait d’un accident, les appels à « lyncher le Nègre » provoquèrent une série d’attaques par des hordes de Blancs et à des réactions des habitants noirs. En réaction à cette réaction, des avions privés bombardèrent quelques jours plus tard l’un des quartiers noirs les plus prospères du pays, faisant près de cent morts et des milliers de sans-abri.
Les grands traumatismes d’une société sont toujours déclenchés par de petites choses. Le 25 mai dernier, le soupçon qu’un billet de vingt dollars était contrefait a amené un caissier du Minnesota à appeler la police et a conduit à la mort du suspect suite à une brutalité policière inutile et pesante. Ce n’était pas un cas exceptionnel ; comme au Brésil, un autre pays avec un traumatisme historique similaire, chaque année aux USA, des milliers de personnes meurent des violences policières et la plupart des victimes ont un profil similaire : noires, métisses et pauvres. Quelques jours plus tôt, la Géorgie a été choquée par le meurtre d’Ahmaud Arbery, un jeune homme noir qui faisait son jogging avant que Gregory McMichael, un flic retraité, et de son fils Travis, l’assassinent en tant que suspect. Cette fois, le crime a été filmé par un certain William Bryan, qui était en contact avec la « sécurité » des McMichael – il faut rappeler que les Irlandais, avant de devenir blancs au cours du XXe siècle, étaient considérés comme aussi indésirables que les Noirs. 
Il y a quelques années, pour protester contre le racisme, le footballeur Colin Kaepernick a commencé à s’agenouiller lorsque l’hymne national était joué avant chaque match (entre autres raisons, les paroles de l’hymne menacent les esclaves : « Aucun refuge n’a pu sauver ni le mercenaire ni l’esclave/ De la frayeur des déroutes et de la tristesse de la tombe »). Des cris d’indignation se sont fait entendre de la Maison Blanche jusqu’à la plus humble des fermes. Plus d’un, dont le président Trump, a proposé que tous ceux qui suivraient son exemple « anti-américain » soient virés (« fired ») de leur boulot. De toute évidence, le courageux footballeur n’enfreignait aucune loi, et encore moins la constitution ; ceux qui menaçaient sa liberté d’expression, oui. L’idée de Theodore Roosevelt selon laquelle « les Noirs sont une race parfaitement stupide » n’a pas faibli ; seulement la manière de ne pas le dire.
Colin Kaepernick protestait contre la violence policière. Il avait échoué, comme tous ceux qui n’ont pas d’yeux pour la violence internationale historiquement raciste à laquelle Washington a été accroché pendant de nombreuses générations au nom de la liberté – la liberté d’imposer ses vues et ses intérêts à tout prix. « Nous voulions tous tuer des Noirs ; c’est comme un jeu addictif ; nous en avons tué des milliers et tout le monde était fou ; quand les tueries ont cessé, ça n’avait pas l’air bien, mais c’est à ça que ressemble la guerre », écrivait un volontaire de la compagnie H du premier régiment de l’État de Washington aux Philippines. Pour ne pas parler des dictatures tropicales, ou du bombardement aveugle de 80 % de la Corée, des fusillades de réfugiés, ou des massacres au Vietnam (où des millions de personnes ont été exterminées sous les bombes ou avec des produits chimiques défoliants), ou de la torture et du bombardement d’enfants et d’innocents, monnaie courante en Irak, en Afghanistan et à Guantanamo, sans aucune conséquence juridique. Pour ne pas revenir sur l’Amérique latine, où depuis le début du XXe siècle, des dictatures sanglantes ont été imposées pour « apprendre aux Nègres à se gouverner eux-mêmes » avant que la merveilleuse excuse de la lutte contre le communisme n’émerge quelques générations plus tard et que les supposés patriotes latino-américains ne commencent à la répéter jusqu’à ce jour faute de meilleures excuses. Lorsque le mépris des races colonisées est devenu incorrect, on a continué à diaboliser les nations et les « cultures malades » s afin de poursuivre le même exercice d’arrogance.
Comme dans de nombreux autres cas qui n’ont pas fait les gros titres parce qu’ils n’ont pas été filmés, le caissier du Minnesota a appelé la police et celle-ci a réagi avec le réflexe raciste qui est ancré dans une partie de la société (surtout une partie qui, comme nous l’avons expliqué précédemment, grâce au système électoral et représentatif hérité de l’esclavage, a un pouvoir politique disproportionné). Peu après, trois policiers blancs étaient agenouillés sur le corps de George Floyd, qui, comme une autre victime connue, Eric Garner, a répété plusieurs fois « Je ne peux pas respirer ». L’un d’entre eux, l’officier Derek Chauvin, qui avec son genou sourd a provoqué la mort de Floyd, avait travaillé comme agent de sécurité dans le même night-club que sa victime, El Nuevo Rodeo. À partir de là, la violence a éclaté et quarante villes du pays ont été mises sous couvre-feu.
Les manifestations pacifiques ont tourné à la violence peu après. La mairesse d’Atlanta, Keisha Bottoms, une femme noire, double représentante à double titre [ ???!!! les femmes seraient-elles une minorité ?, NdT] des minorités de ce pays, a fait un discours passionné devant les caméras de télévision, accusant les vandales qui ont mis le feu à certains bâtiments d’être des ennemis des protestations légitimes. Toute personne de bon sens devrait soutenir sa position [ces propos n’engagent que leur auteur, pas le traducteur, NdT]. Cependant, il faut également se demander jusqu’à quand les personnes victimes de violence raciste doivent être modérées lorsque les agresseurs ne le sont pas et se perpétuent de génération en génération. Le grand James Baldwin, à l’occasion d’une rébellion similaire en 1968, avait déclaré : « Les seules fois où la non-violence a été admirée, c’est lorsqu’elle est pratiquée par des Noirs ». De toute évidence, ni Baldwin ni Malcolm X ne sont devenus des saints nationaux.
Oui, la violence est toujours condamnable [???]. Nous sommes tous contre la violence et certains d’entre nous considèrent que c’est la pire stratégie pour changer la société et la meilleure excuse pour la répression et la réaction de laisser les choses telles qu’elles sont. Comme toujours, les protestations ont été décrites comme une « incitation étrangère ». À ce stade, il est difficile de déterminer s’il y a une quelconque vérité dans tout cela. Ce qui est prouvé, c’est que depuis 250 ans, la violence raciste a accompagné cette société de l’intérieur et s’est projetée hors des frontières (il suffit de se rappeler les expériences de syphilis au Guatemala par des médecins usaméricains, avant la tristement célèbre destruction de sa démocratie par la CIA) et n’a pas diminué du fait de la générosité de ceux d’en haut mais de la rébellion de ceux d’en bas.
Aucun pays au monde n’est exempt de racisme, mais certains sont hors compétition et ont été fondés et enrichis par les valeurs les plus radicales et persistantes du racisme. Le racisme usaméricain est enraciné dans ses fondements mêmes. Il suffit de se souvenir de Benjamin Franklin, qui s’inquiétait de l’arrivée d’Européens pas tout à fait blancs. Ou des dirigeants comme le grand Thomas Jefferson qui, quand, comme c’était la coutume à son époque, ils avaient des enfants de leurs esclaves, ne les libéraient même pas libéré parce qu’ils n’étaient pas de purs blancs, les condamnant à l’esclavage sous la dictature la plus parfaite, dont la Déclaration d’indépendance de 1776 reconnaissait que « tous les hommes sont créés égaux » et sa constitution, dix ans plus tard, a insisté sur le « Nous le peuple », dont ni les Noirs, ni les Indiens, ni les Mexicains ne faisaient partie, si bien que même les États arrachés au Mexique, comme l’Arizona, ont dû attendre une bonne partie du XXe siècle pour obtenir le droit de vote lorsque la majorité de la population est devenue blanche.
Quand les peuple disent ça suffit !, ceux qui sont au pouvoir ont deux options : augmenter la répression ou céder un peu pour limiter les pertes. Il ne s’agit en aucun cas d’une révolution, mais à partir d’un certain moment, la révolte pourrait se transformer en une rébellion similaire à celle des années 60 qui mettrait fin à l’héritage des années 80.