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Les USA déclarent la guerre des vaccins au reste du monde

Prabir Purkayastha 02/06/2020
Qu’est-ce qui empêche un pays de fabriquer des médicaments et des vaccins, une fois que ceux-ci ont été mis au point ? Est-ce la menace des USA, ou la certitude que, dans la guerre des vaccins entre les USA et la Chine, il faut se ranger du côté des USA ?

Tradotto da Jacques Boutard
Le président des USA Donald Trump a déclaré cette semaine une nouvelle guerre des vaccins. Pas contre le virus, mais contre le reste du monde. Les USA et le Royaume-Uni sont les deux seuls pays à ne pas s’être ralliés à la déclaration de l’Assemblée mondiale de l’OMS selon laquelle les vaccins et les médicaments pour COVID-19 doivent être considérés comme un bien commun, et non le monopole exclusif des détenteurs de brevet. Les USA se sont explicitement dissociés de l’appel à la mise en commun des brevets, au nom du « rôle crucial que joue la propriété intellectuelle » – en d’autres termes, les brevets de vaccins et de médicaments. Suite à sa gestion déplorable de la crise du COVID-19, Trump tente de sauver ses chances de réélection en novembre prochain en promettant un vaccin pour très bientôt. Son slogan « Make America Great Again » [Rendez sa grandeur à l’Amérique] signifie que les vaccins sont pour « nous » [les yankees], mais que les autres devront faire la queue et payer ce que les grandes entreprises pharmaceutiques demandent, dans la mesure où elles détiendront les brevets.
À l’inverse, tous les autres pays ont adopté la proposition du Costa Rica à l’Assemblée mondiale de l’OMS pour que tous les brevets de vaccins et de médicaments contre le COVID-19 soient mis en commun. Le président Xi Jinping a déclaré que les vaccins chinois seraient disponibles en tant que bien public, point de vue partagé par les dirigeants de l’Union européenne.
Sur huit vaccins à l’étude actuellement en phase 1 et 2 d’essais cliniques, quatre le sont en Chine, deux aux USA, un au Royaume-Uni et un en l’Allemagne.
Trump a lancé un ultimatum à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la menaçant de geler indéfiniment la contribution des USA si elle ne se réforme pas dans les 30 jours. Au contraire, presque tous les pays présents à l’Assemblée, y compris les proches alliés des USA, se sont ralliés à l’OMS. L’échec des Centers for Disease Control and Prevention [Centres pour le contrôle et la prévention des maladies] (CDC) dans la lutte contre le COVID-19, malgré un budget quatre fois supérieur au budget annuel de l’OMS, est patent. Les CDC n’ont pas réussi à produire un test de dépistage efficace du SARS-CoV-2, alors que l’OMS distribue de tels tests dans plus de 120 pays depuis deux mois. Trump n’a pas encore mis son administration et les CDC en face de leurs responsabilités dans ce fiasco criminel. Cet échec est, plus que pour tout autre cause, la raison majeure du nombre actuel de cas de COVID-19 aux USA, qui s’élève aujourd’hui à plus de 1,5 million, soit environ le tiers des infections au niveau mondial. Comparez cela avec ce qu’ont fait la Chine -premier pays à être frappé par cette épidémie inconnue, elle a limité son expansion à 82 000 cas- et des pays comme le Vietnam et la Corée du Sud.
La pandémie de COVID-19 pose actuellement un problème de taille. Si nous n’abordons pas la question des droits de propriété intellectuelle dans cette pandémie, nous risquons de voir se répéter la tragédie du sida. Pendant dix ans, des gens ont continué à mourir, tandis que les médicaments contre le sida brevetés coûtaient entre 10 000 et 15 000 dollars pour un an de traitement, ce qui n’était pas dans leurs moyens. Enfin, ce sont les lois sur les brevets de la République de l’Inde qui, jusqu’en 2004, ne reconnaissait pas de tels brevets, qui ont permis aux malades d’obtenir des médicaments contre le sida à moins d’un dollar par jour, soit 350 dollars pour un an de traitement. Aujourd’hui dans le monde, 80 % des médicaments contre le sida proviennent de l’Inde. Pour les grandes entreprises pharmaceutiques, les profits primaient sur la vie, et cela continuera, Covid ou pas, à moins que nous ne changions le monde.
La plupart des pays ont des dispositions en matière de licences obligatoires qui leur permettent de ne pas tenir compte des brevets en cas d’épidémie ou d’urgence sanitaire. Même l’Organisation mondiale du commerce (OMC), après une bataille acharnée, a admis dans sa déclaration de Doha en 2001 que les pays en situation d’urgence sanitaire ont le droit d’autoriser toute entreprise à fabriquer un médicament breveté, et même à l’importer depuis d’autres pays.
Comment se fait-il alors que des pays ne puissent pas passer outre les brevets, même si des dispositions à cet effet sont prévues dans leurs lois et dans l’Accord sur la propriété intellectuelle ? C’est dû aux menaces des USA et aux craintes qu’elles inspirent. En vertu de la loi usaméricaine sur le commerce intérieur, elle publie des rapports spéciaux [du Bureau du représentant US au commerce] (USTR 301) menaçant de sanctions commerciales tout pays qui tenterait d’accorder une licence obligatoire pour un produit quelconque. L’Inde y figure en bonne place chaque année, pour avoir osé délivrer une licence obligatoire en 2012 à Natco Pharma pour le Nexavar, un médicament contre le cancer, que Bayer AG vendait pour 65 000 dollars par an. La déclaration du PDG de Bayer Marijn Dekkers, qui a qualifié cette action de « vol », a été largement citée :« Nous n’avons pas élaboré ce médicament pour les Indiens… Nous l’avons élaboré pour les patients occidentaux qui peuvent se le permettre. »
Il reste à savoir combien de personnes, même en Occident, peuvent se permettre une facture de 65 000 dollars pour un traitement. Mais il est indéniable que cela équivaut à une condamnation à mort pour n’importe qui dans un pays comme l’Inde, sauf pour les super-riches. Bien que l’émission d’une licence obligatoire ait également été envisagée pour un certain nombre d’autres médicaments à l’époque, l’Inde n’a pas renouvelé cette disposition après les menaces usaméricaines.
C’est la crainte que les pays puissent ignorer les brevets en utilisant leurs dispositions en matière de licences obligatoires qui a conduit à des propositions de mise en commun des brevets. L’argument était que, puisque beaucoup de ces maladies n’affectent pas les pays riches, soit les grandes entreprises pharmaceutiques devraient renoncer à leurs brevets en faveur de telles communautés, soit les capitalistes philanthropes devraient fournir les fonds supplémentaires nécessaires pour développer de nouveaux médicaments à ajouter à ce bouquet. C’est cette idée de mise en commun des brevets qui a été soutenue par tous les pays lors de la récente Assemblée mondiale de la santé (WHA-73), à l’exception des USA et de leur fidèle allié, le Royaume-Uni. Les USA ont également fait part de leur désaccord avec la résolution finale de l’Assemblée mondiale sur cette question.
Si la mise en commun des brevets est la bienvenue en l’absence de toute autre mesure, elle donne également l’impression que les pays n’ont pas d’autre recours que la charité de la part des grands groupes capitalistes. Ce que cela occulte, comme la charité le fait toujours, c’est que les gens et les pays ont un droit légitime, propriété intellectuelle ou pas, à ne pas tenir compte des brevets.
Les USA, qui crient au meurtre si une licence obligatoire est délivrée par un pays, n’ont pas ce genre de scrupules lorsque leurs propres intérêts sont menacés. Lors de la crise de l’anthrax en 2001, le secrétaire usaméricain à la Santé , au nom de l’intérêt public, a adressé des menaces à Bayer qui avait accordé une licence à des concurrents pour fabriquer de la ciprofloxacine. Bayer a plié, et a accepté de fournir la quantité voulue par le gouvernement usaméricain au prix demandé. Et, sans broncher. Et c’est le même Bayer, qui considère l’Inde comme une « voleuse » pour avoir délivré une licence obligatoire !
Les vaccins pour COVID-19 pourraient devoir être renouvelés chaque année, car nous ne connaissons toujours pas leur durée de protection. Il est peu probable qu’il procure une immunité à vie comme le vaccin antivariolique. À la différence du sida, avec un plus faible nombre de malades qui pouvaient être stigmatisés de différentes manières, le COVID-19 est une menace tangible pour tous. Toute tentative de rançonner les gens et les gouvernements pour les vaccins ou les médicaments contre le COVID-19 pourrait entraîner l’effondrement de l’accord sur les brevets édifié par les grandes entreprises pharmaceutiques, soutenues par les USA et les principaux pays de l’UE. C’est pourquoi les capitalistes les plus intelligents ont opté pour la mise en commun des brevets pour les médicaments et le vaccin contre le COVID-19.
Contrairement aux capitalistes intelligents, la position de Trump envers le vaccin anti-COVID-19 consiste tout simplement à passer en force. Il pense qu’avec l’argent illimité qu’il est maintenant prêt à investir dans la recherche d’un vaccin, les USA pourraient soit battre tous les autres au poteau, soit acheter la compagnie gagnante. S’il réussit, il pourra alors utiliser « son » vaccin anti-COVID-19 comme un nouvel instrument de pouvoir global. Ce seront les USA qui décideront alors quels pays recevront le vaccin, et lesquels ne le recevront pas.
Trump ne croit pas à un ordre mondial fondé sur des règles, même si celles-ci sont biaisées en faveur des riches. Il a dénoncé divers accords de contrôle des armements et s’en est pris à l’OMC. Il estime que les USA, en tant que première économie et plus grande puissance militaire, devraient avoir le droit absolu de dicter leur loi à tous les pays. Les menaces de bombardement et d’invasion peuvent être assorties de sanctions unilatérales ; et la dernière en date dans son arsenal imaginaire est la rétention des vaccins.
Son problème est que l’époque d’un seul leader mondial est révolue depuis longtemps. Les USA offrent l’image d’un géant aux pieds d’argile et leur réaction à l’épidémie a été chaotique. Ils n’ont pas été en mesure de fournir à temps des tests de dépistage du virus à leur population et n’ont pas réussi à stopper l’épidémie ou à en atténuer les effets par des mesures de confinement, contrairement à un certain nombre d’autres pays.
La Chine et l’UE ont déjà convenu que tout vaccin mis au point par ces pays sera considéré comme un bien commun. Même sans cela, une fois qu’un médicament ou un vaccin est reconnu comme efficace, tout pays disposant d’une infrastructure scientifique raisonnable peut le reproduire et le fabriquer localement. L’Inde, comme beaucoup d’autres pays, dispose de cette capacité scientifique. Nous avons également l’une des plus grandes capacités de fabrication de médicaments génériques et de vaccins au monde. Qu’est-ce qui nous empêche, ou tout autre pays d’ailleurs, de fabriquer des vaccins ou des médicaments une fois qu’ils sont élaborés ? Seules les menaces creuses d’une puissance hégémonique en déclin à propos du non-respect des brevets ? Ou la conviction que, dans la guerre des vaccins entre les USA et la Chine, il faut se ranger du côté des USA ?