General

John Catalinotto: « Aux USA, nous assistons à la plus grande lutte de masse depuis la Guerre de Sécession»

Romin Denis 13/06/2020
En 2019, il y avait les Gilets jaunes, un mouvement social sans précédent en France depuis mai 68 et réprimé sans vergogne par un gouvernement au libéralisme en roue libre. 

Nous voici en 2020, témoins et peut-être acteurs d’une vague de contestation sociale qui a déferlé sur tous les États-Unis et qui s’exporte doucement à nos frontières. L’ignoble meurtre de George Floyd par un policier de Minneapolis a donné l’impulsion à une « réaction sociale catalytique », un soulèvement des masses opprimées, discriminées et victimes des disparités socio-économiques aux États-Unis. Nous avons interviewé John Catalinotto, partisan du mouvement, journaliste communiste, anti-impérialiste et antiraciste, pour en apprendre davantage sur les caractéristiques du mouvement et son ampleur réelle.

Le meurtre de George Floyd a déclenché une vague massive de protestations. Ce n’est malheureusement pas la première fois qu’un Afro-Américain est tué de la sorte par un policier. Comment expliquez-vous cet embrasement ?
Que se passe-t-il réellement ? C’est tout simplement la plus grande rébellion nationale aux États-Unis, la plus grande lutte de masse, depuis la guerre civile (la Guerre de Sécession, 1861-1865). L’événement qui s’en rapproche le plus dans ma vie est la rébellion en réaction à l’assassinat du Dr Martin Luther King en avril 1968. Mais il y a une différence importante : la communauté noire était alors presque complètement isolée. Les autres secteurs ne lui apportaient que très peu de soutien. Les manifestants pouvaient être réprimés par la force militaire – et le furent d’ailleurs – sans réveiller d’autres secteurs de la classe ouvrière. Cette fois, il y a un grand nombre de personnes issues de la population latino-américaine, asiatique, autochtone et blanche, en particulier des jeunes, qui participent à toutes les formes de lutte.
La police est plus isolée et les chefs militaires veulent éviter d’utiliser l’armée ; ils craignent la réaction générale de la population. Ils utilisent la force, bien sûr. D’ailleurs, des milliers de personnes sont arrêtées et des centaines sont blessées. Mais jusqu’à présent, cela a plus mis en colère la population que l’effrayer, ça l’a galvanisée.
Lorsque des organisations créent un fond de caution pour sortir les gens de prison, l’argent afflue de toute la société. Les athlètes et les célébrités font des dons, prennent ouvertement la parole. Et même les grandes entreprises – hypocrites, bien sûr – déclarent que « black lives matter ».
Pourquoi un tel mouvement de protestation éclate-t-il maintenant? Le meurtre de George Floyd est-il la goutte d’eau qui a fait déborder le vase?
Vous pourriez tout aussi bien vous demander pourquoi, lors de la Journée internationale de la femme en 1917 en Russie, une grève de 200 000 ouvrières du textile s’est transformée en une révolution qui a mis fin à des siècles de domination de l’aristocratie russe, surprenant tout le monde, même des organisateurs et des politiciens aussi astucieux que V.I. Lénine. Sans parler du tsar, qui n’en savait rien. 
Ici, nous avions la menace du Covid-19, l’agitation parmi les « travailleurs essentiels », trois mois de confinement, une réouverture menaçant de tuer plus de gens au nom du profit des riches. Sans oublier un pillage de milliards de dollars du trésor public par les grandes entreprises et les milliardaires. Nous avions également 40 millions de travailleurs mis au chômage en 2 mois. Et enfin, une administration nationale incompétente et ouvertement raciste. C’était un contexte explosif.
Le problème du racisme est loin d’être nouveau aux États-Unis. En quoi la présidence de Donald Trump marque-t-elle une évolution, en comparaison aux précédentes présidences démocrates ?
Des rébellions ont également éclaté sous les présidents démocrates. Obama aurait certainement géré la situation différemment, du moins avec ses mots. Et les démocrates auraient adopté plus d’allocations pour les chômeurs. Mais cela n’aurait pas changé grand-chose au problème de fond. Ce n’est donc pas juste Trump. Cependant, il est difficile d’imaginer un leader national de la classe dirigeante américaine plus incompétent que Trump pour gérer cette crise. Seul son noyau dur – malheureusement, il y en a encore beaucoup – peut le prendre au sérieux. La classe dirigeante aime Trump parce qu’il lui cède une part de plus en plus importante de la richesse, produite par la classe ouvrière. Il leur appartient. Mais à présent, la classe dirigeante a peur de tout perdre.
Il y a une croyance répandue chez les partisans de Trump, selon laquelle les émeutes seraient utilisées pour déstabiliser le président juste avant les élections. Trump serait antisystème, et le système voudrait reprendre le contrôle en semant le chaos et en divisant la population. Qu’en pensez-vous?