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De Minneapolis aux rues italiennes, le bras long de la police d’Israël

Antonio Mazzeo 07/06/2020
Je n’arrive pas à respirer. Je n’arrive pas à respirer. Je n’arrive pas à respirer.

Tradotto da Rosa Llorens
Les dernières paroles de l’Afro-Américain George Floyd, sauvagement assassiné par un agent de police à Minneapolis, ont produit dans la conscience des Etats-Unis d’Amérique une blessure déchirante qui ne pourra jamais plus être refermée. Ce n’est pas la première fois qu’un crime atroce, marqué par le racisme xénophobe et de classe, a été enregistré par une caméra et transmis de façon virale par les télévisions et les réseaux sociaux. Mais la nouveauté réside peut-être dans les difficultés narratives du pouvoir à en justifier les raisons d’“ordre public” et “défense de la propriété privée”, au point qu’il recourt, in extremis, à la culpabilisation de l’individu pour sauver le système policier répressif des USA tout entier.
Des observateurs attentifs et les associations qui luttent pour la défense des droits du peuple palestinien ont fait observer que les images de Minneapolis sont parfaitement identiques à celles qu’on enregistre quotidiennement à Jérusalem, en Cisjordanie, à Gaza, dans le Golan, etc., où opèrent impunément les forces de police et les soldats israéliens dans l’ “endiguement” des protestations et dans la répression de toute forme d’opposition à la violence structurelle du régime sioniste d’occupation. La ressemblance des corps écrasés sous les rangers, les pistolets et les tenues de camouflage n’est pas fortuite, hélas. Il s’agit en effet de techniques d’intervention apprises dans les mêmes centres de “formation” des mêmes “instructeurs”: les écoles de police et des forces armées de l’État d’Israël et les innombrables agences-entreprises privées surgies partout avec des investissements et un personnel de vétérans du complexe militaro-industriel israélien.
Aux USA, la criminal connection Tel Aviv-polices locales, de district et interservices est bien connue depuis longtemps ; elle a été documentée et dénoncée même par Amnesty International. Dans un rapport d’août 2016, l’ONG signalait une incompréhensible omission du Département de la Justice US qui, tout en stigmatisant les “nombreuses violations constitutionnelles, l’augmentation des discriminations et la culture de représailles” au sein du Département de Police de Baltimore (responsable de crimes analogues à celui de Minneapolis), n’en avait pas rappelé les liens très étroits avec Israël. “La police nationale, les militaires et les services de renseignement israéliens ont formé la Police de Baltimore au contrôle des foules, à l’usage de la force et à la surveillance”, écrivait Amnesty International. “Les officiers et les agents de police de Baltimore, avec des centaines d’autres provenant de Floride, du New Jersey, de Pennsylvanie, de Californie, du Connecticut, de New York, du Massachusetts, de Caroline du Nord, de Géorgie, de l’État de Washington, de même que la police de la capitale, se sont rendus en Israël pour des activités de formation. Des milliers d’autres policiers ont été formés par des officiers israéliens aux USA. Beaucoup de ces voyages ont été financés par des fonds publics, d’autres par des fonds privés. A partir de 2002, l’Anti-Defamation League, l’American Jewish Committee’s Project Interchange et le Jewish Institute for National Security Affairs ont payé la formation en Israël et dans les Territoires Occupés des chefs de la police et de leurs subordonnés. Et cela bien qu’Amnesty International, d’autres organisations de droits humains et le Département d’Etat lui-même aient mis en cause la police israélienne pour s’être livrée à des exécutions extrajudiciaires et d’autres homicides illégaux, avoir fait usage de traitements inhumains et de torture (même contre des enfants), supprimé la liberté d’expression et d’association et fait un usage excessif de la force contre des manifestants pacifiques”.
Il y a aussi de nombreux pays latino-américains qui coopèrent avec Tel Aviv pour la formation à la “gestion de l’ordre public” d’unités d’élite et de police, Chili, Colombie et Brésil en tête. Et l’Italie, historique partenaire politico-stratégique d’ Israël ? En vérité, on en sait peu sur le sujet, et les seules informations qui ont percé sur les médias se sont intéressées à l’usage par la Police nationale, les polices locales et l’Arme des Carabiniers de mini-drones et de technologies sophistiquées de vidéo-surveillance, de renseignement et informatiques, produits dans les départements industriels et universitaires israéliens.
Il existe pourtant, entre le Gouvernement de la République italienne et celui de l’Etat d’Israël, un Accord en matière de sécurité publique, signé à Rome le 2 décembre 2013 par Angelino Alfano, alors ministre de l’Intérieur, et le ministre de la Sécurité publique israélien, Yitzhak Aharonovich. L’accord, ratifié par les Chambres, par un vote unanime de la majorité et de l’opposition le 19 mai 2017, couvre un large spectre d’activités d’échange et collaboration entre les forces de police des deux États. “Les gouvernements d’Italie et d’Israël – peut-on lire dans la longue introduction à l’Agreement – reconnaissent leur mutuel désir de coopérer dans le but de protéger des menaces leurs peuples, biens et intérêts, en luttant contre la criminalité en général afin de garantir la sécurité publique ; (ils sont) conscients que les phénomènes criminels liés à la criminalité organisée, la migration illégale, la traite d’êtres humains, le commerce illicite de stupéfiants, substances psychotropes et précurseurs de drogues, frappent considérablement les deux États, portant atteinte aussi bien à la sécurité qu’à l’ordre public et au bien-être et intégrité physique de leurs concitoyens ; (ils sont) désireux de faciliter et développer la coopération entre eux, à travers aussi l’échange de connaissances, expériences, informations et technologies”.
L’article 2 de l’accord énumère les secteurs de “prévention et répression” auxquels devraient collaborer le Département de la Sécurité publique du Ministère de l’Intérieur italien et le Ministère de la Sécurité publique israélien: “contre” la criminalité organisée transnationale et les trafiquants de personnes, drogues, armes, munitions et explosifs ; les délits contre le patrimoine, y compris la protection des biens de valeur historique et culturelle ; les délits économiques et le recyclage ; la criminalité informatique et, cerise sur le gâteau, le “terrorisme”, terme utilisé de façon indiscriminée au niveau mondial pour réprimer toute forme de désaccord envers le modèle néo-libéral.
L’article 3, quant à lui, énumère les formes de coopération bilatérale : “l’échange des informations sur les délits, les organisations criminelles, leur modus operandi, leurs structures et leurs contacts ; les types de stupéfiants, les lieux et les méthodes de production, les canaux et les moyens utilisés par les trafiquants, les techniques de dissimulation, de même que les méthodes de fonctionnement des contrôles anti-drogue aux frontières et l’emploi de nouveaux moyens techniques ; les méthodes pour la lutte contre la migration illégale ; les passeports et autres documents de voyage, visas, tampons d’entrée et de sortie ; les infiltrations criminelles dans les entreprises participant à des procédures de passation de marchés publics ; la formation et la mise à jour professionnelle et l’échange d’expériences concernant la gestion de l’ordre public à l’occasion de grands événements et manifestations de masse ; les méthodes scientifiques et les instruments technologiques appliqués dans le secteur de la sécurité publique ; les unités d’artificiers, les méthodes et technologies employées dans le repérage d’engins et matériels explosifs ; les systèmes adoptés pour la protection d’infrastructures et objectifs sensibles ; le déroulement d’opérations conjointes, tel le soutien aux initiatives d’info-enquête et à l’échange des données sur les individus suspectés d’être impliqués dans des activités criminelles, etc.”. Tous ces secteurs sont très délicats et un nombre infini d’informations sont partagées avec la police partenaire qui aura ensuite pleine autonomie et pleins pouvoirs pour en faire ce qu’elle veut. Et les craintes et inquiétudes ne sont certainement pas atténuées par la lecture de l’art. 8 de l’Accord en matière de sécurité publique, selon lequel “chaque partie garantit un niveau de protection des données personnelles acquises conforme à celui assuré par l’autre partie et adopte les mesures techniques nécessaires pour les protéger de la destruction accidentelle ou illicite, de la perte, de la diffusion ou altération accidentelles, de l’accès non autorisé ou de tout type de traitement non autorisé”. En outre, de larges garanties d’impunité et d’action pourraient être assurées aux criminels-terroristes “amis” ou aux agents secrets en mission spéciale. L’art. 5 prévoit en effet que “la demande d’assistance peut être refusée en tout ou partie si l’Autorité compétente fait observer que son exécution pourrait compromettre la souveraineté, la sécurité intérieure, l’ordre public ou d’autres intérêts fondamentaux de son État”.
On prévoit aussi l’institution d’un Groupe de Travail Conjoint auquel confier la tâche de discuter et d’approuver d’autres programmes de coopération et de “se mettre d’accord” sur des échanges de délégations et le “détachement” d’experts pour la sécurité, surtout en ce qui concerne l’échange d’informations et la réponse à de demandes d’assistance. L’Accord du 2 décembre 2013 a une durée illimitée, mais attribue aux deux parties la faculté d’en suspendre temporairement l’effet, “si cette mesure s’avère nécessaire pour garantir la sécurité de l’État et de l’ordre public, ou la sécurité et la vie de ses concitoyens”. Selon ce qui ressort du dernier paragraphe, avec l’entrée en vigueur de l’agreement bilatéral, un précédent accord entre le Gouvernement italien et celui d’Israël “sur la coopération dans la lutte contre le trafic illicite de substances stupéfiantes et psychotropes, le terrorisme et autres délits graves”, signé le 10 février 2005 à Jérusalem, arrivait à échéance.
C’est la mission à Tel Aviv et Jérusalem, le 18 et le 19 janvier 2010, du préfet Antonio Manganelli*, alors chef de la Police, prématurément disparu trois ans plus tard, qui avait jeté les bases du nouveau, et plus large, modèle de collaboration entre les forces de police italiennes et israéliennes. “Renforcer la coopération et intensifier l’échange d’informations pour lutter ensemble contre le terrorisme et les crimes informatiques : ce sont les principaux sujets sur lesquels se sont centrées les rencontres opérationnelles auxquelles a pris part M. Manganelli en Israël”, lit-on sur le site institutionnel de la Police nationale, le seul à avoir rapporté l’événement avec abondance de détails. “L’objectif est de mettre en place un groupe d’experts qui puisse rendre permanent l’échange d’expériences dans ces secteurs (…) Le préfet Manganelli a rencontré de hauts fonctionnaires locaux de la sécurité et discuté avec eux des stratégies communes à entreprendre et le ministre israélien de la Sécurité publique, Yitzhak Aharonovich”. Ce dernier, comme on l’a vu, devait ensuite apposer sa signature sur l’Accord, aux côtés du ministre Alfano. Ex- général, et commandant en chef de la police des frontières, Aharonovich a dirigé jusqu’à la fin des années 90 les forces de police déployées en Cisjordanie ; après avoir quitté la vie politique, il exerce aujourd’hui la charge de président d’ IMI Systems (anciennement Israel Military Industries), un des plus grands groupes industriels israéliens producteurs de véhicules de guerre terrestres, d’armes et munitions, récemment acquis par la holding Elbit Systems.
“Dans la même matinée, le chef de la Police italienne s’est rendu à Tel Aviv pour rencontrer le directeur général du ministère de la Défense, Oudi Shami, qui est aussi responsable de la protection des infrastructures industrielles et stratégiques”, poursuit la note de la Police nationale. “L’objectif est l’échange d’informations sur les systèmes de lutte contre la cybercriminalité et des services de la police informatique. Un secteur dans lequel, a observé Antonio Manganelli, l’Italie, avec la spécialisation atteinte par la Police Postale, peut s’enorgueillir d’un rôle reconnu de leadership mondial aux côtés des USA, de la Grande-Bretagne et du Canada”.
Au cours de sa mission en Israël, le chef de la Police nationale de l’époque rencontrait aussi son homologue responsable des forces de police israéliennes, Dudin Cohen, son second Ilan Franko et le directeur général de la Sécurité publique du ministère de l’Intérieur, Hagaï Peleg. “Parmi les sujets spécifiques abordés, on n’a pas même laissé de côté celui – très actuel – de la possible introduction du body scanner dans les aéroports internationaux”, ajoutait l’agence de presse de la Police. “Un instrument délicat, a déclaré le Préfet, dont l’efficacité dépend surtout d’un contexte de coopération internationale et de la définition d’une best practice commune”.
Le site institutionnel de la Police consacrait un autre article à la visite “historique” du préfet Manganelli, daté du 21 janvier 2010 : “Il n’a pas été question que de sécurité et de lutte contre le terrorisme, au cours des deux journées de rencontres que le chef de la Police italienne a eues avec les hauts responsables israéliens de la sécurité ; mais aussi de techniques de protection des personnalités du Gouvernement et des “repentis”, et de lutte contre le trafic de drogue et d’êtres humains, et contre le recyclage d’argent sale, outre des sujets d’actualité comme la sécurité des voyageurs”, peut-on y lire. “Le but est d’activer au maximum des synergies communes dans tous ces secteurs et de mettre en place un groupe de travail conjoint italo-israélien capable de donner de l’efficacité à l’échange d’informations et d’expériences, renforçant ainsi la coopération entre les deux pays, déjà instaurée par un accord signé en 2007 (S’agit-il d’un autre agreement, en plus de celui signé le 10 février 2005 à Jérusalem ? NdA)”.
“Au cours des conversations avec les hauts responsables de la sécurité israélienne, on a défini les objectifs spécifiques sur lesquels on pourra travailler ensemble, mais surtout on a mis en évidence les meilleures expériences opérationnelles de chaque pays, qui peuvent être mises en commun pour une collaboration toujours plus bénéfique”, poursuit l’article de la Police nationale. “L’Italie peut offrir l’expérience mûrie sur le front de la lutte contre la criminalité organisée, à commencer par les programmes de protection des témoins et de gestion logistico-administrative des collaborateurs de justice ; l’Etat hébreu, de son côté, peut partager sa pratique dans le secteur de la protection des personnalités et, en général, des techniques de lutte contre le terrorisme, à travers aussi l’intensification des programmes de formation communs déjà mis en action par les forces spéciales de la police italienne, le NOCS [Noyau opérationnel central de sécurité, créé en 1978 pour combattre les Brigades rouges et semblables], avec leurs collègues israéliens…”.
NdE
*Manganelli le bien-nommé : manganello signifie matraque en italien