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Sanctions et maladies en Iran : la réalité derrière la propagande occidentale

Vira Ameli 29/04/2020
Dans la pandémie mondiale actuelle, l’Iran occupe une position unique. L’un des premiers pays à avoir connu l’épidémie de covid-19, il est en même temps la cible d’un blocus économique qui ne remonte pas à des années, mais à des décennies. La manière dont l’Iran s’en sort dans ce double assaut est déterminée par l’interaction entre sa place singulière dans l’ordre géopolitique et le caractère distinctif de ses propres institutions.

Tradotto da Fausto Giudice
La puissance dominante dans la politique internationale et ses alliés ont mis la société iranienne sous une pression énorme, mais parmi les pays ayant un PIB similaire, peu – peut-être aucun – ont des résultats plus impressionnants dans l’édification d’un système de santé efficace. Le déroulement de la pandémie en Iran est le résultat d’une collision entre ces deux facteurs. Pour le comprendre, chacun d’eux doit être examiné avec soin. Mais d’abord, un bref aperçu de son arrivée et de sa propagation.
Les rumeurs selon lesquelles le virus avait atteint l’Iran ont commencé à circuler en janvier, mais ce n’est que le 19 février que les deux premiers cas d’infection ont été confirmés à Qom. Destination clé pour les pèlerinages et les études religieuses, la ville attire chaque année environ 20 millions de visiteurs, dont des universitaires et des touristes de quelque 80 pays – dont la Chine, qui est désormais le plus proche partenaire commercial de l’Iran, avec des relations d’affaires et des projets de construction à Qom et dans d’autres villes. Pourquoi ce retard dans l’annonce de l’arrivée du covid-19 ? Bien que les médias occidentaux l’attribuent à la tentative du gouvernement de dissimuler l’information, le fait est que les kits de dépistage ne sont arrivés de Chine que le 17 février. Un autre retard s’est produit lorsque l’envoi des kits de dépistage à l’Iran a été retardé par les restrictions imposées par le régime de sanctions usaméricain. Les kits sont finalement arrivés par un vol commercial de Bagdad, mais le retard a empêché la détection précoce de cas cruciaux pour contrôler la pandémie. Il est rapidement apparu que le virus était plus répandu qu’on ne l’avait imaginé, qu’il se propageait à Téhéran, Arak et Gilan, et que les responsables de la santé étaient à la traîne dans la course à la détection des cas – un retard qui n’était pas propre à l’Iran, bien sûr, mais qui était omniprésent dans les pays qui n’avaient pas su faire face à la contagion en temps voulu.
Le 21 février, dix-sept cas avaient été confirmés, et quatre personnes sont mortes peu après le diagnostic. Le même jour, le pays a tenu des élections législatives malgré la panique croissante autour de la pandémie. Le calendrier était prévu de longue date, mais il a soulevé des questions ultérieures quant à savoir si les élections auraient dû être annulées, et pourquoi Qom n’avait pas été rapidement mise en quarantaine.
En réalité, le jour des élections, le virus s’était déjà propagé dans tout le pays : la mise en quarantaine de Qom n’aurait pas permis d’empêcher le virus d’atteindre Téhéran. Néanmoins, d’un point de vue de santé publique, l’Iran aurait sans doute dû reporter les élections et intensifier la détection de cas et de contacts. Pourtant, si la réponse du pays à la pandémie semble avoir été gâchée par l’incompétence et l’inaction politique, il ne s’agit pas d’une négligence malveillante, mais plutôt du même mélange d’ahurissement et de complaisance face à une menace colossale pour la santé publique qui a ensuite paralysé d’autres nations. La France et les USA ont également organisé des élections et n’ont pas réussi à mettre en place une distanciation sociale plusieurs semaines après la détection des premiers cas. À l’époque, l’Iran ne bafouait aucune des directives de l’OMS sur l’endiguement de la propagation. Le 26 février, il avait fermé les écoles et les universités dans tout le pays, tandis que les entreprises non essentielles étaient fermées juste avant le Novruz, la fête du Nouvel An iranien.
La première ligne de défense contre la pandémie est désormais le système de santé du pays. Après la révolution de 1979, des réformes historiques ont permis d’étendre l’accès aux traitements médicaux dans tout l’Iran grâce à un vaste réseau d’agents de santé communautaires et de centres de soins de santé primaires. Institué pendant la guerre de 1980-88 avec l’Irak, le système a ensuite été décrit par l’OMS comme un « incroyable chef-d’œuvre »[1]. Orchestré dans une structure pyramidale avec un système d’orientation efficace, ses réalisations ont été remarquables : vaccination universelle, réduction spectaculaire des taux de mortalité maternelle et infantile, planification familiale efficace et contrôle de la population. Les avancées stratégiques en matière de réactivité, d’équité et d’universalité ont été axées sur le suivi permanent des besoins de la population et la modification des systèmes de prestation de services pour y répondre. Parmi les progrès réalisés en matière de santé publique, on peut citer « la baisse la plus rapide des taux de natalité dans l’histoire mondiale » qui est passée d’une moyenne de sept à deux enfants par mère à la fin du siècle – « une transition démographique aux proportions immenses »[2].
Actuellement, le système de santé iranien compte 150 000 médecins, 1 500 hôpitaux et 140 000 lits d’hôpitaux pour une population de 82 millions d’habitants, soit une moyenne de 1,7 lit pour 1 000 personnes. Il se classe également au 16e rang mondial en termes de résultats de la recherche médicale. Dans la lutte contre le VIH et la consommation de drogues, deux épidémies interconnectées dans le pays, l’Iran est remporté un succès notable, tant au niveau régional que mondial, en offrant un accès gratuit et universel à la thérapie antirétrovirale et aux programmes de réduction des risques, et en fournissant des soins adaptés aux besoins culturels et communautaires locaux.En outre, une politique postrévolutionnaire d’autosuffisance a permis de faire de grands progrès dans la fourniture de médicaments et d’équipements abordables, en n’important que des matières premières. Avant la Révolution, 80 % des médicaments utilisés étaient importés. Aujourd’hui, 97 % sont produits en interne, fabriqués par une centaine de sociétés pharmaceutiques locales, la plupart privées. Pourtant, alors que seulement 3 % de la demande est couverte par les importations, celles-ci comprennent des médicaments vitaux pour les enfants et les patients vulnérables atteints de maladies rares ou avancées, dont l’accès a été perturbé par les sanctions US.
Car ces succès ont été remportés dans l’étau de l’un des régimes de sanctions les plus longs et les plus vicieux de l’histoire. Il est utile de rappeler que les sanctions contre l’Iran ont d’abord été imposées par Carter, puis par Reagan, Bush père, Clinton et Bush fils, et qu’elles ont été fortement intensifiées par Obama, avant d’être encore aggravées par Trump. Contrairement à la croyance populaire, le JCPOA [Plan d’action global commun sur le nucléaire] qu’Obama a extorqué à Rouhani et Zarif n’a pas levé les sanctions contre l’Iran : il a simplement suspendu celles que la Maison Blanche avait imposées via l’ONU (avec une clause permettant de les réimposer rapidement), laissant intactes celles imposées par les USA seuls, qui sont restées en vigueur et ont depuis été renforcées par la campagne « Pression maximale » de Trump, imposée en mai 2019. Les sanctions de l’administration Trump sont ouvertement conçues pour faire tomber le gouvernement iranien par strangulation économique. Les puissances européennes qui étaient également signataires du JCPOA – la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne – bien qu’heureuses que les vis soient encore plus serrées sur l’Iran afin de garantir les objectifs occidentaux communs au Moyen-Orient, n’ont pas soutenu la décision de Washington de mettre fin à l’accord nucléaire et, en 2019, ont mis en place un véhicule à usage spécial, l’INSTEX [Instrument de soutien aux échanges commerciaux], pour contourner les sanctions contre l’Iran. Cependant, lorsqu’il est devenu évident que cela entraînerait une sanction de la part des USA, le projet a été discrètement abandonné : INSTEX n’a réussi à traiter qu’une seule transaction depuis sa création.
L’impact actuel de ce blocus sur le système de santé iranien se ressent dans trois domaines principaux. Premièrement, les sanctions bloquent la plupart des transactions financières dont l’Iran a besoin pour son commerce général, y compris les achats médicaux ; les exemptions pour les articles “humanitaires” ne couvrent pas les vêtements de protection. Deuxièmement, les sanctions interrompent les chaînes d’approvisionnement de la production nationale, car même les médicaments et les équipements produits localement dépendent souvent des intrants de plusieurs fabricants dans différents pays. L’absence ne serait-ce que d’un seul ingrédient, comme les emballages sous vide pour les pilules, peut entraîner l’arrêt de la production.
Troisièmement, en réduisant le pouvoir d’achat dans l’ensemble de l’économie, les sanctions frappent aussi bien les prestataires de soins de santé que les consommateurs. Alors que l’administration Trump célèbre la contraction de 14 % de l’économie iranienne et la hausse rapide de l’inflation causée par la « pression maximale », ce ralentissement a réduit les recettes publiques, mettant à rude épreuve le programme d’assurance maladie universelle du pays, et a augmenté le coût des soins de santé de près de 20 % en raison de la hausse de l’inflation. Pour protéger les patients de l’instabilité du marché, le ministère de la santé réglemente tous les prix des médicaments. En conséquence, les sociétés pharmaceutiques sont également sous pression, n’ayant que peu ou pas de marge pour surmonter le poids de l’inflation et des fluctuations de prix. Le contrôle bureaucratique des prix dans des conditions de pénurie conduit généralement à la thésaurisation et au marché noir, et l’Iran ne fait pas exception. Il en résulte de nouvelles pénuries pour tous les Iraniens, mais surtout pour les travailleurs qui ne peuvent pas se permettre de payer des prix exorbitants sur le marché noir.
En plus des sanctions, l’Iran a été assailli par des crises au cours de l’année dernière, tant naturelles que politiques, mettant à l’épreuve la confiance du public dans le gouvernement. En mars 2019, des inondations majeures ont commencé dans les villes du nord et se sont rapidement déplacées vers le sud et l’ouest du pays, causant des centaines de morts et de déplacements. En mai, la campagne « Pression maximal » » de Trump s’est intensifiée, renforçant les sanctions sur les ventes de pétrole. L’administration Rouhani a été contrainte de réduire les subventions aux carburants, ce qui a entraîné le triplement du prix de l’essence en novembre et a provoqué de vastes manifestations dans tout le pays. Début janvier 2020, les USA ont assassiné le général Qasem Soleimani, chef de la Force Al-Qods du Corps des Gardiens de la révolution islamique (GRI). L’Iran a riposté par une attaque de missiles sur une base aérienne usaméricaine en Irak. Plus tard, ses forces armées ont abattu par erreur un avion de ligne ukrainien, tuant 176 passagers et provoquant un chagrin et une colère de masse dans le pays, une erreur qui, en cette année chaotique, a alimenté la méfiance de la société envers l’État.
Dans ce contexte, la tâche consistant à trouver un équilibre entre une menace pour la santé publique et une crise économique à la veille du Novruz était redoutable. Les Iraniens vivent dans une grande interdépendance, et il aurait probablement fallu un déploiement militaire pour confiner la population pendant les festivités annuelles, au risque de confrontations hostiles du type de celles que l’on observe ailleurs. L’administration Rouhani avait également des préoccupations légitimes quant au risque de famine généralisée parmi les pauvres si l’économie, déjà mise à mal par la « pression maximale », était soudainement fermée. Au lieu de cela, le 22 mars, elle a ordonné la fermeture de toutes les entreprises non essentielles qui auraient repris le travail le 4 avril, date de la fin de la fête du Novruz, et a engagé 18 % du budget du pays, soit plus de 6 milliards de dollars, pour couvrir le chômage, la santé et les assurances sociales, le soutien étant étendu aux petites entreprises qui ne licencient pas de travailleurs. Un milliard de dollars supplémentaires provenant du fonds souverain du pays est maintenant alloué à la lutte contre le coronavirus. Un nouveau QG a été créé pour coordonner une réponse centralisée à la pandémie, sous les auspices du ministre de la Santé.
De plus, malgré la chute de la confiance dans le gouvernement, la société civile iranienne a réussi à se mobiliser et à coopérer efficacement. Des groupes issus de classes sociales et de positions idéologiques différentes se sont regroupés autour d’une campagne visant à mettre en commun les ressources humaines et financières dans la lutte contre le virus. Alors que le gouvernement s’est engagé à couvrir 90 % des frais médicaux pour chaque patient atteint de covid-19, ces militants ont collecté des fonds, se sont procuré les respirateurs essentiels auprès de cliniques privées et ont augmenté la production de kits de dépistage, de masques, de blouses et de respirateurs pour soutenir les hôpitaux publics spécialement désignés. Un hôpital de 300 lits, entièrement équipé, a récemment été construit dans le cadre d’une campagne « Le secteur privé pour le bien public ». Des capitaux sont également venus de la diaspora iranienne, malgré les entraves venant des sanctions financières. En plus de ces efforts de la société civile, l’armée a libéré un total de 4 000 lits de sanatorium, avec des lits d’hôpital attenants pour les soins d’urgence, et le Corps des gardiens de la révolution a construit de petits hôpitaux dans des régions éloignées du pays.
Les travailleurs des centres de soins de santé primaires ont lancé une campagne de dépistage de cas et de contacts, par le biais d’appels téléphoniques, de textos et d’applications mobiles sur mesure. Avec l’aide de la société de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge d’Iran, l’armée s’est également mobilisée pour vérifier la température des voyageurs et isoler les cas symptomatiques et leurs contacts. Enfin, des investissements rapides dans la production nationale de respirateurs ont permis de s’assurer qu’aucun patient ne soit laissé sans le soutien ou l’équipement nécessaires. Au moment où nous écrivons ces lignes, les hôpitaux et les lits de soins intensifs du pays ne sont pas entièrement occupés, ce qui montre que l’Iran a jusqu’à présent réussi à maintenir la pandémie dans les limites de ses capacités en matière de soins de santé – la principale raison pour laquelle il faut « aplatir la courbe ». Ainsi, malgré le choc initial de la crise, qui a pris l’Iran par surprise, les forces du système de santé, ainsi que la mobilisation institutionnelle, se sont combinées pour réduire les décès dus aux coronavirus.[3]
Après le déclenchement de la pandémie, les pays européens ont respectueusement appelé les USA à desserrer leur étreinte, au moins sur le plan médical, mais Mike Pompeo a déclaré que « les fournitures humanitaires et les médicaments ne sont pas autorisés ». Et ce, malgré l’obstruction par Washington des circuits financiers et de transport – les compagnies maritimes internationales et les services de messagerie ayant soit cessé toute relation avec l’Iran, soit augmenté les prix sur le marché iranien – ce qui, comme nous l’avons vu, a empêché l’Iran d’assurer la livraison en temps voulu de kits de dépistage et de matériel médical. L’une des conséquences a été de rendre l’Iran exceptionnellement dépendant des plateformes régionales pour les transports aériens et le fret – une situation qui a aggravé les difficultés lorsque les pays voisins ont imposé des restrictions de voyage pour combattre l’épidémie. Néanmoins, les USA ont renforcé leurs mesures punitives, en bloquant la demande de l’Iran d’un prêt d’urgence de 5 milliards de dollars du FMI – la première demande de ce type depuis la fondation de la République islamique – pour lutter contre le coronavirus.
Dans ce contexte, l’affirmation du New York Times selon laquelle « les sanctions usaméricaines ne sont pas responsables de la propagation des coronavirus en Iran » est une déformation flagrante de la réalité. Les USA – dont la stratégie a été qualifiée de « terrorisme économique » par les responsables iraniens – sont les premiers responsables de l’entrave à la capacité de l’Iran à gérer une crise qui a paralysé certains des systèmes de santé les plus avancés du monde. [4]
Pourtant, la culpabilité de l’administration Trump et la complicité des puissances européennes qui s’en dissocient en paroles mais s’y conforment en actes, ne risquent pas d’échapper aux Iraniens ordinaires. En cas de pandémie mondiale, il est essentiel de remettre en question les actions des gouvernements nationaux, mais le but de la discussion critique doit être d’apporter des avantages en matière de santé publique, et non des gains politiques. La couverture occidentale désobligeante de la réponse de l’Iran à la crise a eu l’effet inverse : la campagne médiatique visant à délégitimer la République islamique a sapé les efforts mondiaux de santé publique en entravant la circulation d’informations exactes. La mesure dans laquelle l’analyse épidémiologique de l’expérience de l’Iran a été faite dérailler par des dénonciations aussi grossières devrait être suffisamment claire quand on voit que les USA, le Royaume-Uni et la France n’ont pas réussi à éviter des erreurs de calcul similaires en matière de santé publique. Plutôt que de briser la chaîne de transmission des virus, les gouvernements et les médias occidentaux ont brisé la chaîne de transmission des connaissances.
Le schéma asymétrique de la condamnation ajoute une dimension supplémentaire de chaos à une crise humanitaire déjà complexe et difficile. Les exemples abondent. Lorsque l’Iran a imposé une interdiction de voyager dans ses villes du nord, les médias occidentaux l’ont condamnée, un titre du Guardian claironnant « l’Iran menace de recourir à la force pour restreindre les voyages ».[5] Pourtant, l’interdiction était une mesure policière, et non un verrouillage militaire, et a été critiquée par la suite pour ne pas avoir été mise en œuvre suffisamment tôt. La restriction des déplacements est donc considérée comme un abus de pouvoir, tandis que le fait de ne pas le faire est dénoncé comme un risque pour la vie. La tenue d’élections témoigne d’un mépris pour la santé publique ; leur annulation serait un prétexte pour éviter une faible participation électorale.[6] Pratiquement toutes les décisions prises par la République islamique – quels que soient leurs mérites ou leurs démérites – font l’objet d’un dénigrement médiatique incessant de la part de toutes les parties du spectre politique occidental. Lorsque le vice-ministre iranien de la Santé et d’autres responsables gouvernementaux ont été testés positifs au covid-19, cela a été la preuve du dysfonctionnement de la réponse iranienne au virus. Lorsque des politiciens des USA, du Royaume-Uni et du Canada ont contracté la maladie, un tel sensationnalisme n’était pas de mise.
Les campagnes de désinformation sont également diffusées par des réseaux en langue persane, financés par les opposants géopolitiques de l’Iran – l’Arabie Saoudite, les USA et le Royaume-Uni – et accessibles dans le pays par des canaux satellites. L’une de ces chaînes, Radio Farda, une branche de Radio Free Europe/Radio Liberty, a récemment annoncé que « le nombre de décès dus au coronavirus en Iran est cinq fois plus élevé que ce qui a été rapporté ». Le journal usaméricain Foreign Policy a suivi cet exemple, citant Radio Farda comme source.[7] Toutefois, cette affirmation est une déformation d’une remarque d’un représentant de l’OMS selon laquelle le nombre d’infections – et non de décès – pourrait être jusqu’à cinq fois plus élevé que ce qui a été détecté. Étant donné la proportion d’individus asymptomatiques et la pénurie de kits de dépistage dans pratiquement tous les pays touchés, il est évident que le nombre de personnes détectées sera inférieur à celui des personnes infectées. Mais les truismes de ce genre influencent rarement les médias libéraux en Occident. Un autre exemple des gaffes et des distorsions dont ils sont capables est offert par le Washington Post, qui a fait état des « fosses communes du coronavirus » en Iran – « si vastes qu’elles sont visibles depuis l’espace » -, le Guardian suivant le mouvement sans aucune critique[8]. En fait, il s’agissait de tombes normales dans un cimetière normal, agrandi par l’imagerie satellite en « fosses communes » clandestines dans lesquelles, a-t-on laissé entendre, les autorités se débarrassaient secrètement de centaines de corps, et ce à un moment où l’on ne contestait pas les statistiques sur les décès en Iran. Il semble donc que des facteurs idéologiques plutôt que scientifiques aient largement influencé la couverture de la pandémie dans le pays, les experts de la santé ayant été écartés au profit des politologues et des journalistes.
La politisation de la pandémie de coronavirus – et d’autres crises – en République islamique est, bien entendu, entremêlée de campagnes en faveur d’un changement de régime. Des lobbies comme United Against Nuclear Iran [Unis contre l’Iran nucléaire], qui réclament depuis longtemps des sanctions toujours plus sévères, ont, ces derniers mois, pointé du doigt les ventes de produits pharmaceutiques au pays, ciblant les sociétés occidentales qui continuent à commercer avec l’Iran. Un concert d’indignation s’est fait entendre lorsque l’Iran a rejeté l’offre de Médecins sans frontières d’un hôpital de campagne de 50 lits, ignorant le fait que son co-fondateur, l’ancien ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner, a, au cours des trois dernières années, abordé et soutenu les rassemblements dits « de l’Iran libre » des Moudjahidines du peuple d’Iran, une secte visant le changement violent de régime qui, suite à la chute de son précédent patron Saddam Hussein, est actuellement basée en Albanie.
En observant la pandémie de covid-19 à travers le prisme de la politique de puissance internationale, les gouvernements occidentaux, les observateurs politiques et les experts des médias ont non seulement échoué à comprendre les faits sur le terrain, mais ils ont manqué des occasions d’apprendre de l’expérience de l’Iran – à la fois ce que le pays a fait de bien en répondant à la pandémie et ce qu’il a fait de mal – qui aurait pu profiter à leurs propres populations, dans un monde qui est aujourd’hui interdépendant non seulement économiquement et culturellement, mais peut-être surtout en matière de santé publique.
Notes
[1] Seyyed Meysam Mousavi, Jamil Sadeghifar, ‘Universal health coverage in Iran’, The Lancet Global Health, vol. 4, no. 5, May 2016, pp. 305–6.
[2] Kevan Harris, A Social Revolution: Politics and the Welfare State in Iran, Oakland 2017, pp. 18–19, 119 FF.
[3] ‘Coronavirus Deaths by us State and Country Over Time’, New York Times, 1 April 2020.
[4] ‘This Coronavirus Crisis Is the Time to Ease Sanctions on Iran’, New York Times editorial,2 5 March 2020.
[5] ‘Coronavirus cases pass 100,000 globally as Iran threatens force to restrict travel’, Guardian, 6 March 2020
[6] Les élections législatives du 21 février ont été présentées comme un test décisif de l’unité entre l’État et la société, mesurée par la participation des électeurs. Avec un peu plus de 40 %, la faible participation a été attribuée à la pandémie de coronavirus par les partisans de l’État, et à la disqualification massive de nombreux candidats réformistes et centristes, dont certains, comme Ali Motahari, se sont néanmoins rendus aux urnes à Téhéran.
[7] Maysam Behravesh, ‘The Untold Story of How Iran Botched the Coronavirus Pandemic’, Foreign Policy, 24 March 2020.
[8] ‘Coronavirus burial pits so vast they’re visible from space’, Washington Post, 12 March 2020; ‘Satellite images show Iran has built mass graves amid coronavirus outbreak’, Guardian, 12 March 2020.