General

Uruguay : après la défaite de la gauche, remettre les pendules à l’heure

Luis Ernesto Sabini Fernández 15/03/2020
La défaite électorale du FAEPNM (Convergence progressiste-Front large-Nouvelle majorité) en novembre 2019, et surtout le triomphe d’une coalition franchement à droite, qui vient appliquer une fois de plus les politiques bien connues (pour les riches, richesse ; pour les pauvres, pauvreté), suscitent une attitude de revalorisation de la politique progressiste, celle du refus du conservatisme traditionnel.

Tradotto da Rosa Llorens
C’est une évaluation acritique de l’étape de fondation du FA [Frente Amplio, Front large] d’alors. On constate même cette tendance chez des activistes critiques radicaux, engagés dans des luttes de notre temps, et qui se trouvent en dehors, et à la gauche, des cadres politiques du FA ; que pouvons-nous donc attendre de ceux qui s’identifient et, de plus, s’accrochent, à la tradi-tion du Front large ?
Il convient plutôt, contre une certaine idéalisation du passé, de recourir à l’Histoire et d’essayer de comprendre ce que fut et, dans une certaine mesure, a continué à être le FA (y compris dans ses cycles d’élargissement, EP et NM). Surtout en ce moment où une droitisation ouverte peut nous faire croire que l’option existante, électoralement presque à égalité, constitue l’alternative la plus évidente et salutaire.
Dans les années 60, la crise du “petit pays”, à la “queue de paille” de Mario Benedetti[1], était impossible à occulter. Les vaches grasses de la guerre de Corée, qui avaient pro-longé celles de la Deuxième Guerre mondiale, étaient désormais amaigries. Et comme au football il était douloureux et contre-productif de s’endormir sur ses lauriers, avec la viande et la laine qu’on exportait et les “colachatas”[2] qu’on importait, dcomme il était trompeur de « faire la planche ». Ce qu’on fit… jusqu’au moment amer du réveil.
En 1957, le marché des importations se ferme brusquement. Pourquoi ? L’Uruguay n’avait plus de dollars.
À la fin de la IIe Guerre Mondiale, le pays avait nagé dans une mer de dollars ; mais, au lieu de faire ce que la Norvège sut faire lorsqu’elle “tomba” sur du pétrole dans son espace maritime – 50% de ces revenus inattendus pour la consommation, mais les 50% restants pour le développement d’une activité qui permette de ne pas dépendre du secteur primaire, de ce pétrole qu’on venait de découvrir[3]-, l’Uruguay développa certains éléments d’un État-providence, plutôt réduit à la capitale et un petit nombre d’autres points de la République (surtout, le territoire sous contrôle politique du Parti Colorado), et pas mal de gaspillage, comme le honteux flux de voitures bon marché (sans même disposer de l’infrastructure routière adéquate…).
Dans les années 60, nous étions économiquement un pays d’élevage de bovins et d’ovins. Avec un net et remarquable développement culturel tout au long de la première moitié du XXe siècle : le batllisme[4] et ses “ lois de progrès”, qui s’identifiait avec “la grande démocratie du Nord”, l’ariélisme[5], qui se méfiait de ce même pouvoir, et toute une série de diverses et enrichissantes constellations intellectuelles, comme celles que représentent Carlos Vaz Ferreira, philosophe et pédagogue, ou Carlos Quijano et l’inoubliable hebdomadaire Marcha.
La structure éducative de l’Uruguay répondait alors, dans ces années 60, à ce double courant : l’enseignement secondaire était “l’apprentissage” pour le savoir seulement, avec un résultat peut-être non souhaité : sur 16 000 étudiants[6], la moitié ou plus se destinaient au métier d’avocat (plus le notariat et professions annexes). Et, ce qui est le plus significatif, les facultés ou études les moins re-cherchées dans le pays de l’élevage par excellence étaient l’agronomie, le métier de vétérinaire et l’arpentage. C’était donc un pays d’éleveurs et de fils avocats.
Les domaines intellectuels qui n’entraient pas dans cette structure, les sciences (la médecine, par exemple, cataloguée, de façon simplificatrice, comme science médicale), et surtout la soi-disant science économique, encore plus à la mode comme science, commencèrent à réclamer une place dans le paysage politique[7].
Cette nouvelle intelligentsia qui se présente et se considère comme scientifique, souvent socialiste scientifique, crée progressivement des noyaux militants d’un style nouveau, qui repose moins sur les sentiments et plus sur des connaissances réelles ou présentées comme telles. Ces transformations se feront sentir, par exemple, dans la FEUU, le syndicat étudiant, “vivier” (entre autres postes d’influence) de la direction politique du Front large, ainsi parmi les économistes (Samuel Lichtensztejn, Alberto Couriel, Danilo Astori).
Le début de la crise de l’après-guerre coïncide avec une crise généralisée sur le continent ; et, dans notre pays, on la concevra comme une sorte de latino-américanisation, tant il se sentait “européen”. Le triomphe de Castro à Cuba, à la fin des années 50, apportera une option nouvelle pour notre pays : celle du socialisme le plus urgent, qui offrira une autre sorte de militantisme, qui donnera une fièvre guérilléra. Celle-ci parcourra, sous diverses formes, une bonne partie du continent, sans atteindre ses objectifs – réaliser “un second Cuba” – malgré tant de dévouement et de sang versé, sauf dans un pays de la région, et vingt ans plus tard : le Nicaragua.
1968 fut une année de luttes de plus en plus intenses. Et, au début des années 70, Quijano, dans les pages de Marcha, résumait ainsi les options : « el encierro, el destierro, el entierro » (l’enfermement, le bannissement, l’enterrement).
Le pays perdit des ingénieurs, des tapissiers, des menuisiers, des chercheurs, des sportifs, des professionnels de toute sorte et, surtout, des enfants[8]. Le pays allait en souffrir (et les émigrés et exilés aussi, à leur façon).
Il s’ensuivit un flot d’émigration au milieu d’une chute généralisée du niveau de vie et une violence politique croissante (avec deux aspects distincts, mais reliés surtout par le gouvernement : d’un côté, la répression de plus en plus généralisée contre les grévistes et les mécontents, et la volonté de ceux qui détenaient les leviers politiques et institutionnels du pays de faire payer la crise toujours aux mêmes, et, de l’autre côté, l’élan guérillero). Résultat, le pays subit non seulement une aggravation de l’émigration, mais aussi un flot de plus en plus abondant d’exilés, qui laissa le pays prostré dans la peur, la prison, l’auto-répression et le dépeuplement[9].
Ces nouvelles couches intellectuelles, techno-scientifique et guérilléra, dessinent un nouveau développement de la gauche, avec des variantes. Ainsi se forme, au début d’une décennie qui se révèlera dramatique, les années 70, le Front Large : c’est une alliance qui regroupe le Parti Socialiste ( qui évolue de plus en plus, d’une social-démocratie vers une incorporation ou satellisation croissante à l’égard de ce qu’on appelle le monde du socialisme réel[10], le Parti Communiste, en quête permanente du militaire péruvianiste en Uruguay[11], le Parti Démocrate-chrétien, dont la composante catholique s’était séparée du vieux et rance catholicisme de l’Union Civique (qui survivra de plus en plus en tant que momie politique jusqu’à ce qu’elle accompagne la dictature militaire de 1973).
À quoi il faut ajouter toute une série de groupes, de caractère trèsdivers, détachés de courants ou tendances des partis dits traditionnels, le Parti Colorado [rouge] et le Blanc [National] : des dirigeants d’envergure nationale, comme Alba Roballo ou Zelmar Michelini, du Colorado, avec leurs groupes, et d’autres groupes moins importants (ainsi un groupe qui se reconnaissait dans Julio C.Grauert, victime du régime de Gabriel Terra) ; ou des Blancs avec divers groupes comme le Mouvement Révolutionnaire Oriental dirigé par Ariel Collazo, le Mouvement Populaire avec Francisco Rodríguez Camusso.
Les membres de l’équipe qui éditait l’hebdomadaire Marcha furent aussi co-fondateurs du FA ; son directeur avait formé en d’autres temps le Groupement Nationaliste Démocrate Social, et ce qui en restait participait maintenant à cette création, de même que quelques petits groupes parfois même de type trotskyste. Le FA constitue alors une coalition, proprement multicolore. Le MLN-Tupamaros[12] se joindra à elle, au moins de manière collatérale.
Ce sera l’option de plus en plus décisive, jusqu’à ce qu’elle remporte, à la fin du XXe siècle, le gouvernement de Montevideo. Grâce à ce triomphe, elle élargira son influence jusqu’à obtenir – comme une maturation qui se serait produite malgré les efforts des partis traditionnels – le gouvernement national, au début du XXIe siècle (après la crise de 2002).
Nous pouvons dire qu’il s’agit de trente ans de domination politique relative du FA (étant donné l’influence de la capitale dans notre pays macrocéphale) et/ou de quinze en tant que gouvernement national. Jusqu’à maintenant.
La direction du Front Large s’est toujours proposé d’administrer “mieux” et avec un caractère social, “objectif” la chose publique ; à aucun moment elle n’a menacé d’un changement de régime. Admettons que le FA ait dû affronter les fruits amers de la crise financière de 2002 qui pulvérisa l’activité bancaire nationale, publique et privée[13].
Mais, outre cela, malgré sa phraséologie “socialiste”, le FA avait perdu l’ancrage idéologique de sa fondation. C’est pourquoi nous voyons qu’il ne propose même pas une vieille revendica-tion de la gauche uruguayenne : une réforme agraire capable de casser la struc-ture latifundiste du pays.
Pour le “petit pays”, cette crise suivit une série d’événements terribles comme la crise économique et donc sociale qui s’était accumulée tout au long des années 60 et 70, comme nous l’avons vu.
Le FA tenta de développer une politique à l’intérieur des cadres institutionnels du pays ; mais l’appui , reçu depuis le début, du MLN-Tupamaros fut mis à profit par les groupes les plus con-servateurs pour notifier leur condamnation (au moins pendant la période où le FA fut dans l’opposition). La présence communiste, qui était là depuis la fondation, suscita aussi dans la droite la plus dure le même re-jet et les mêmes désirs de répression.
Le FA essaya de revaloriser le meilleur du batllisme et, de fait, son ancrage territorial était ce qui se rapprochait le plus, historiquement, du Parti Colorado batlliste, le parti de la Défense, celui de la capitale. José Batlle y Ordóňez et le batllisme s’avérèrent être une question complexe : ils réveillaient la résistance de la droite la plus traditionnelle en reconnaissant et même en promouvant des syndicats, par exemple, ou la séparation de l’Église et de l’État[14], tout en constituant un anticolonialisme très particulier, antibritannique, mais pro-usaméricain.
La pierre de touche de la qualité politique du FA se manifesta en février 1973, avec les Tupamaros totalement vaincus par les militaires (avec un épilogue inattendu : la coïncidence “programmatique” d’un large secteur de la guérilla tupamara avec des militaires, pour engager, pen-sa-t-on, une lutte anti-oligarchique”).
En février 1973 commence la décomposition de la civilité uruguayenne, de la démocratie des droits civils, lorsque les militaires décident qui ils vont accepter pour leur chef – décision politique que justement la Constitution attribue à l’ordre politique, et non mili-taire.
Ce qui est grave, dans cette très délicate situation, sans précédents, c’est que l’Armée, la Force Aérienne et la Police se déclarent en rébellion, pendant que la Marine reste fidèle aux autorités institutionnelles. Le pays se trouve ainsi, pendant quelques jours, territorialement divisé : la Vieille Ville, Trouville, la base navale du Cerro, et quelques autres points, îles et enclaves côtières sont aux mains de la Marine, le reste de la capitale et, virtuellement, tout le pays, sous contrôle militaire et policier.
Devant une telle crise, pratiquement tout le FA se dissocia de tout ap-pui aux “institutions”, dont le titulaire était le (justement) répudié J. M. Bordaberry. Une fois de plus, certains jetèrent le bébé avec l’eau du bain. A la grande satisfaction des put-schistes.
Au sein du FA, seule l’équipe de l’hebdomadaire Marcha, dont nous avons déjà parlé, condamna les faits du 9 février 1973 (quelques autres gardèrent peut-être le silence, dans l’attente des événements…).
Certes, en dehors du FA, il y eut d’autres groupes qui rejetèrent ce coup d’Etat et le désignèrent comme tel. Comme le secteur (majoritaire dans le Parti National) de Wilson Ferreira Aldunate, qui estimait qu’on lui avait volé par fraude les élections de novembre 1971 ; de même, un secteur très réduit du Parti Colorado, dirigé par Amilcar Vasconcellos, et des groupes de gauche qui étaient restés en de-hors du FA, comme la ROE ou les PCR.
Mais les dirigeants du FA se montrèrent disposés à fermer les yeux sur certaines violations des droits humains régulièrement pratiquées par militaires et policiers – ce qui ne serait pas sans conséquences[15].
L’Histoire officielle nous parle de la résistance au coup d’État ; en effet, en juin, presque six mois après, quand les militaires décident de se passer de tout l’édifice politique uruguayen, le mouvement syndical, très orchestré, déclenche une grève impression-nante. Mais cette grève était une monnaie d’échange, car la direc-tion syndicale majoritaire, de tendance communiste, s’efforcera de trouver une concor-dance programmatique avec les militaires putschistes. Mais les militaires rejettent ce “mariage” : “nos chemins sont inconciliables”, diront-ils publiquement, et, dès le 30 juin ou le 1er juillet, les dirigeants syndicaux, ou du moins la tendance majoritaire, doivent entrer dans la clandestinité comme n’importe quel fugitif, définitivement rejetés dans l’opposi-tion.
À ce paysage politique désolant, du fait d’une grande partie des groupes qui constituaient le FA, il faut ajouter la défection de ce qu’on pourrait qualifier de “direction officielle du MLN”, qui cherchait de son côté une solution avec des militaires “péruvianistes” (qui, à la suite des “conversations”, concédèrent, en signe de rapprochement, la libération de quelques dizaines de militants de ni-veau modeste). Le paysage de la conscience critique du pays devient dès lors beaucoup plus problématique : nous ne sommes ni si révolutionnaires, ni même si démocratiques que veut bien le dire, quotidiennement, la presse, du moins la presse mainstream.
Et bien que le FA ait réalisé de nombreuses politiques d’amélioration de la consommation générale du pays, nous ne pouvons ni ne devons passer sous silence que ces réussites furent pour une large mesure liées au “petit été des matières pre-mières à bon prix” dont le pays a joui, comme d’autres pays pro-ducteurs de matières premières convoitées, entre 2004 et 2009 environ[16].
Mais jamais le pays n’a mieux servi le capital globalisé et transnational que sous les gouvernements du FA.
Il y a à cela deux explications qui ne sont pas contradictoires : depuis le début du siècle, le monde vit un processus de globalisation comme jamais auparavant : une globocolonisation, comme l’a si bien définie Frei Betto. L’Uruguay subit alors ce mouvement avec le FA à peine arrivé au pouvoir.
La deuxième explication est moins technico-économique et plus techno-philosophique. Nous avons vu au début comment les nouvelles directions du FA ont progressivement remplacé les directions intellectuelles liées au droit et à la littérature par de nou-velles couches qui se prétendaient plus objectives et scientifiques, chez lesquelles la science économique jouait un rôle de premier plan. Et bien que le FA ne se soit jamais proclamé “socialiste”, une grande partie de sa masse militante se sentait telle, appartenant ou devant appartenir à un avenir… socia-liste.
Or, le développement économique a été trop souvent confondu avec le développement technique, et celui-ci considéré comme le meilleur allié de l’avenir, c’est-à-dire, selon la pensée dominante du XXe siècle, du socialisme. Et, pratiquement jusqu’au moment même de l’effondrement soviétique, le socialisme était toujours pour presque toute “la gauche” le seul avenir, non pas possible, mais inévitable.
À partir de ces pitoyables fausses équivalences, tous les “grands progrès technologiques”, comme la Révolution Verte, l’emploi généralisé des engrais chimiques, les plantations transgéniques – pour ne parler que de la terre et de ses produits végétaux -, ont été vus comme autant de pas qui nous rap-prochaient du socialisme ou du moins comme des pas affirmatifs dans le développement humain.
C’est pourquoi la “patte” écologique du FA est si faible pour ne pas dire rachitique. Il y a une orthodoxie radicale qui nous déclare que les problèmes environnementaux sont secondaires par rapport aux contra-dictions principales, qui passent par… le développement des moyens de produc-tion, le développement économique, etc.
Et avec ces présupposés et une tendance économiciste à court terme, le FA a accepté les “business” les plus néfastes pour notre territoire, comme les méga-installations minières et leur effet désintégrateur pour notre territoire[17]. Ou la perte de qualité de l’eau, alors que notre pays avait été jusqu’ici parmi les mieux irrigués du monde. Il a peu à peu hypothéqué ses eaux au profit du capital financier global, au moyen de l’agro-industrie aussi bien agricole (soja) que forestière (eucalyptus) ou de la Loi d’Irrigation qui permet la gestion et par conséquent la jouissance de nos eaux par le capital transnational, qui ne le fera pas, évidemment, dans notre intérêt.
La trajectoire du FA ne permet pas de nourrir l’espoir que, en repre-nant ses présupposés, sa perspective, le pays pourra sortir du dépeuplement rural, qui, avec le FA, s’est poursuivi, ni de l’endettement perma-nent et croissant, quelle que soit la qualité du “degré d’investissement” que ses économistes mettent en avant.
Les grands échecs stratégiques et idéologiques du FA, celui qui n’a pas été parachevé avec Aratirí pour des raisons exogènes [projet de mine de fer à ciel ouvert d’une entreprise britannique, qui a été aban-donné], et celui qui est en train de s’accomplir avec UPM [lire UPM décide, l’Uruguay s’incline], malgré une résistance locale croissante, nous montrent que, dans notre pays, s’est formée, en marge des partis politiques existants, une résistance, et que de nouveaux “acteurs” sociaux et politiques sont appa-rus.
En 1962, Rachel Carson écrivit Primavera silenciosa [Printemps silencieux], pour accuser les pesticides de la mort massive d’oiseaux. Comme on voit, le problème n’est pas nouveau, il a plus d’un demi-siècle.
En 1971, il était peut-être déjà inacceptable de “ne pas être au courant”, mais on peut comprendre un cer-tain retard dans la réaction. Mais pas dans ce dernier demi-siècle, quand on voit la situation planétaire, avec des migrations forcées et des réfugiés environnementaux par millions ; les milliers de morts dans les naufrages successifs que le trafic des personnes de pays périphériques, “pressés” jusqu’à des limites incroyables, accumule ; un accès aux aliments (de qualité de plus en plus mauvaise) plus difficile qu’avant pour les “pauvres” d’aujourd’hui ; l’eau de l’océan planétaire contaminée de façon irrémédiable par les microplastiques ; une obésité qui touche 10 à 20% de la popu-lation dans les pays enrichis et plus de 30% dans les pays appauvris ; une progression irrésistible des maladies générées par des substances chimiques et radioactives ; un contexte international d’instabilité climatique ; une crise généralisée de la biosphère que nous habitons (ex-tinction massive et croissante d’individus et d’espèces) ; une financiarisation de l’économie… outre laquelle nous devons remarquer que les USA ont engagé une “guerre tournante” depuis l’effondrement des tours jumelles en 2001… guerre que le “commandement global “ fait circuler à travers le Proche-Orient, l’Afrique, les Caraïbes, le Moyen-Orient…
Pour en revenir à notre pays, il nous semble qu’est en train de se forger une nouvelle constellation de gens engagés dans la lutte et la résistance, capable de défendre la terre comme expression et lieu de vie, de défendre notre nature déclinante en tant que source de salut, de défendre l’eau qui est en péril planétaire… ; peut-être pourrons-nous repousser la progression totalitaire du capital financier, et nous sentir, en tant que pays, en accord avec le poète italien qui, “faisant ses comptes”, dans sa maturité, était content de lui parce qu’il n’avait jamais été ni lion ni mou-ton.
Notes
[1] El país de la cola de paja, Le pays à la queue de paille, est un essai pamphlétaire de Benedetti, de 1960, inédit en français, qui provoqua une tourmente dans l’Uruguay de l’époque, alors qualifié de « Suisse de l’Amérique latine ». Citation : « Le vrai brave n’est pas celui qui est toujours plein de courage, mais celui qui surmonte sa peur légitime. Mais si la peur est généralement quelque chose d’inévitable et de spontané, un argument plus primitif et donc plus puissant que tous les arguments de la haute et infaillible raison, il n’en va pas de même de la lâcheté. Alors que la peur n’est qu’un état d’esprit, la lâcheté est une attitude. Dans la lâcheté, donc, le degré de responsabilité est beaucoup plus grand que dans la peur, car à sa peur, le lâche ajoute la grave décision de ne pas faire face à quelque chose, de ne pas montrer son visage. L’état d’esprit particulier que le jargon populaire a appelé “queue de paille” est précisément une antichambre de la lâcheté ».
[2] Colachatas : litt. « queues plates », grosses bagnoles yankees (Chrevrolet, Plymouth et autres Buik) des années 1950 et 1960 [NdE]
[3] Depuis 1973, la Norvège est pionnière dans la construction de plateformes pour l’extraction du pétrole (du moins dans les eaux de moins de 200 m de profondeur).
[4] Batllismo : nom donné à un courant du parti Colorado en Uruguay, inspiré par les idées et la doctrine politique créées par José Batlle y Ordóñez (1856-1929, président en 1903-1907 et 1911-1915), qui – dans ses aspects les plus fondamen-taux – soutient que pour le développement d’un pays et d’une so-ciété, l’État doit contrôler les aspects fondamentaux de l’économie par le biais de monopoles d’État, et créer un large corps de lois sociales. Objectif : forger une société de classe moyenne sous la protection d’une économie prospère et d’un État-providence, interventionniste et redistributeur de profits. [NdE]
[5] L’ariélisme est un courant idéologique latino-américain du début du XXe siècle qui tire son nom de l’œuvre Ariel (1900) de l’écrivain uruguayen José Enrique Rodó. Elle opposait l’utilitarisme anglo-saxon aux valeurs de la culture gréco-latine. Elle exprimait une vision idéaliste de la culture latino-américaine comme modèle de noblesse et d’élévation spi-rituelle, par opposition à la culture yankee comme exemple de sensualité et de grossièreté matérialiste.[NdE]
[6] Premier recensement universitaire, 1968
[7] Le travail médical se fonde sur des développements technoscientifiques réels et progressifs, même si tout dépend de grands capitaux, ceux des laboratoires par exemple, et même si la science économique, l’économie, l’économie politique – pour em-ployer les diverses appellations utilisées dans l’UDELAR – sont politiques. Et l’aide de la science à l’économie, la statistique par exemple, est plus faible que l’aide scientifique à l’art de vaincre les maladies.
[8] Parce que le principal flux migratoire a été constitué par la tranche d’âge des 20-40 ans (on l’estime à 90%), souvent des couples avec enfants.
[9] Un tournant dans cette détérioration mêlée des instances institutionnelles et politiques et de la violence politique fut la fermeture, fin 1967, du journal Época, et la mise hors-la-loi des organisations ou partis qui le formaient : Parti Socialiste, Fédération Anarchiste Uruguayenne, Mouvement Révolutionnaire Oriental, Mouvement d’Action Populaire Uru-guayen, Mouvement de Gauche Révolutionnaire, et le “Groupe d’Indépendants réuni autour du journal” (qui étaient tout sauf indépendants).
[10] Avec un dénouement affligeant : la transformation du principal théoricien et dirigeant du PS, Vivian Trías, en espion des services secrets tchécoslovaques (et, finalement, soviétiques), avec une trajectoire plus qu’équivoque : il accompagna les militaires du Río de la Plata, aussi bien les Uruguayens, lors du “février amer” de 1973, que ce qu’on appelle l’aile vidéliste en Argentine, lors du coup d’Etat anti-péroniste en 1976.
[11] Comparable, dans son ardeur et son inutilité, à l’antique et très uruguayenne “quête du pétrole”.
[12] On pourrait ainsi dire que pratiquement toute la gauche rénovée, derrière Cuba maintenant socialiste, intégrera le FA. Ne resteront en marge que de très petites organisations, comme la Résistance Ouvrière-Etudiante, d’origine anarchiste, mais complètement marxisée et “cubanisée”, les partis communistes prochinois qui, malgré leur modeste importance, ne pourront constituer un seul groupe, et quelques noyaux anarchistes.
[13] C’était, dans une large mesure, une conséquence du “cimbronazo” (effondrement) argentin de 2001, résultant lui-même d’une crise financière, et d’une dette trop lourde et gaspillée par les titulaires argentins qui firent des dépôts en Uruguay, “chargeant” les comptes uruguayens lesquels, lorsque la crise se déclencha, devinrent insolvables.
[14] On constate ces types au tout début du XXe s., tandis que beaucoup d’autres pays n’arriveront à ces positions que des décennies plus tard (l’Argentine, par exemple, au milieu du XXe s.)
[15] Faisant preuve de myopie politique et d’opportunisme, le Parti Communiste eut la bonne idée de se moquer de l’isolement du Président Bordaberry, une sorte de phalangiste uruguayen qui tentera, peu après, d’abolir le régime démocratique, encore plus que les militaires. Mais ce qui était en jeu en février 1973, ce n’était pas le phalangisme, mais la militarisation du pays. Il faut remarquer que, dans une autre occasion, antérieure, le Parti National aussi sacrifia la défense des valeurs institu-tionnelles au nom du pragmatisme politique.
[16] C’est le cas de l’Argentine, où cela profita au kirchnérisme.
[17] Qu’il suffise de remarquer que ces entreprises se sont développées, dévastant des régions entières, dans des États de 9 millions de km₂ comme le Canada, de 7 millions de km₂ comme l’Australie, ou dans l’Argentine de près de 3 millions, sans mettre le pays à genoux. Mais quand les méga-installations minières s’abattent sur des pays plus petits, comme le Surinam ou les Philippines, les dégâts sociaux sont généralisés.