General

Lesbos : une tragédie européenne

Matteo Caranta 08/02/2020
Submergée par des conditions de vie catastrophiques dans les camps de réfugiés, Lesbos s’enfonce dans la violence.

C’est l’histoire d’une tragédie.
Au nord de la mer Égée à Lesbos, on peut lire des messages politiques sur les murs de Mytilène, sa capitale. L’un d’eux dit “les frontières sont des murs imaginaires qui enferment des personnes réelles”. Et bien, plus pour longtemps. Pour le ministre de l’immigration grec, “les règles du jeu ont changé”. C’est comme ça qu’il a justifié, fin janvier, le projet de construction très controversé d’une frontière maritime entre la Grèce et la Turquie. Une barrière flottante et lumineuse de 2.7 km de long censée empêcher les bateaux de parvenir jusqu’aux îles comme Lesbos ou Samos, où 46 000 demandeurs d’asiles sont arrivés l’année dernière.
À Lesbos, 25 000 personnes vivent dans un camp pensé pour en accueillir 3 000. À Samos, le nombre de résidents dans les camps a presque doublé en moins d’un an. Il y a aujourd’hui plus de réfugiés que d’habitants de l’île.
Ces chiffres tournent en boucle sur les réseaux sociaux ou dans les rapports des ONG qui alertent sur des conditions inhumaines, sur la vulnérabilité des mineurs isolés, des femmes enceintes et des malades. Mais depuis juillet 2019 et l’élection du parti conservateur Nouvelle Démocratie, le gouvernement grec a durci sa politique d’accueil. 
La situation est telle que selon Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l’ONU, qui a publié Lesbos la honte de l’Europe, Lesbos est “le seul endroit, dans le monde entier, où Médecins sans frontières a une mission spécifiquement pédopsychiatrique pour essayer de détourner la volonté de suicide des enfants et des adolescents”.
L’absence d’eau, de sanitaires, d’électricité ou d’accès aux soins sur ces anciens paradis touristiques devenus des cauchemars à ciel ouvert provoquent régulièrement des émeutes. Lors de la dernière d’entre elles, lundi, les manifestants qui bloquaient l’entrée du camp de Moria scandaient “stop à la déportation”, “liberté” ou encore “droit d’asile”. Ils ont fermement été réprimés par la police anti-émeute (MAT), et la situation s’est encore compliquée mardi, quand des habitants de l’île, excédés par la situation, ont décidé de prendre les choses en mains. Des demandeurs d’asiles ont été battus, les locaux d’ONG pris à parti et leurs voitures, parfois incendiées. Le fait est d’autant plus marquant qu’il est inédit. Les habitants de Lesbos se sont fait remarquer, depuis le début des arrivées de réfugiés, pour leur solidarité et l’intégration de ces nouveaux voisins à l’économie locale. Certains observateurs y perçoivent la montée du parti néo-nazi Aube Dorée, qui organiserait des milices sur l’île.
Lesbos est une véritable tragédie grecque.
À Samos, où un nouveau camp est en construction, le maire et les habitants de l’île ont fait une grève générale pour dénoncer une situation intenable, et toute l’île, pendant 24h heure, a cessé de fonctionner. Commence alors le jeu de la patate chaude. Pour les élus de ces îles dépassés par la gestion du flux migratoire et l’absence de moyens, le gouvernement doit organiser un déplacement massif de demandeurs d’asile en Grèce continentale. Mais pour le gouvernement de Kyriakos Mitsatakis, c’est l’Union européenne qui doit agir au plus vite, et partager je cite, “le fardeau migratoire”. La présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen a regretté, quant à elle, que la Turquie ne respecte pas ses engagements de 2016. Mais en attendant qu’un plan européen soit dévoilé au trimestre prochain, l’agence Frontex, en charge de la protection des frontières européennes, rapporte que le nombre d’entrées irrégulières n’a jamais été aussi bas depuis 2013. Il a même chuté de 92% par rapport à 2015. De quoi rassurer, peut-être, les gouvernements hongrois, polonais et tchèque, qui refusent catégoriquement les quotas de réfugiés.
Dans les témoignages, une phrase revient souvent. La mort est mieux que ça. La mort est mieux que ça. Et l’Europe, pourrait-on ajouter, vaut peut-être mieux que ça.